Paru dans la revu "Tintin" en 1977 et en album un ans plus tard cette 8° aventure de Yoko Tsuno aux allures d'anti "Starship troopers" se présente comme une réflexion en image sur le rapport à l'autre. Contrairement à mon habitude, mes références seront cette fois, plus anthropologiques que psychanalytique, aussi malgré l'impossibilité de créer des notes de bas de pages je vais intégrer les références bibliographiques au corps du texte. En espérant que le tout ne sera pas trop lourd.
Éléments d'analyse :
La dimension angélique des vinéens se confirme.
– La peau bleue des vinéens rappelle le bleu traditionnellement associé à la vierge marie dans l'iconographie traditionnelle.
– La planète fonctionne comme un espace vide sans végétation.
P8 2/2 :
Syndâ : « Vous le savez, la vie végétale a jadis été tué sur Vinéa... Mais depuis l'établissement d'un climat artificiel des mousses et des plantes ont gagné la bataille de la vie dans la zone tempérée... »
Négation de la nourriture :
– Les Vinéens tire du soleil leur énergie via de gigantesques panneaux solaires (P 6), énergie qui semble les nourrir. En gommant le cycle corporel de la nutrition / digestion / défécation les vinéens se rapprochent des dieux antiques se nourrissant des fumées et des os du sacrifice ( JP. Vernant “A la table des hommes, Mythe de fondation du sacrifice chez Hésiode” in M. Detienne, JP. Vernant La cuisine du sacrifice en pays grec). Mode de vie qui aboutit à les situer hors du temps.
Vision de la mort :
– La mort est sinon absente du moins très rarement évoquée, les vinéens accèdent même à l'immortalité via le processus de mise en léthargie. La mort véritable n'apparait que par accident (« Les 3 soleils de Vinéa »). La mise en léthargie s'assimile à la belle mort des corps des saints.
Référence implicite à la ruche et l'abeille :
– Les vinéens apparaissent également comme une société très collective où l'individualité est faiblement développé.
– Peu de personnages existent réellement à l'exception de Khany qui doit son individualité au contact de Yoko et des terriens qui incarne individualité et matérialité.
P 4 1/1, 2 :
Khâny : « Doucement, ces capsules renferment des vies qui me sont très chères !... Des vies sans lesquelles je n'aurais découvert le vrai sens de l'amitié ! Regarde comme Yoko semblent heureuse !... »
Les vinéens présentent plusieurs analogies avec les société d'insectes
– Les panneaux solaires ressemblent aux rayons d'une ruche d'abeilles auxquels ils empruntent leur structure hexagonale.(P6 1/1).
Notons que l'énergie solaire et le miel partage plusieurs caractéristiques communes
– La couleur.
– Les deux ne nécessite pas de transformation humaine. L'énergie solaire se récolte par le biais de panneaux solaire et n'implique pas de transformation humaine importante de type combustion comme pour d'autres énergies (charbon, pétrole, bois), de même le miel se récolte auprès des abeilles et se présente sous une forme directement consommable échappant au processus de cuisson.
– Dans les installations chacun occupe et effectue sa tache sans discuter à la manière d'une fourmilière ou d'une ruche ce que Pol remarque dans le « Trio de l'étrange » :
« Le trio de l'étrange » P 31 3/1 :
Pol : « Coucou ! Bonjour jolies butineuses !... »
– Précédemment les vinéens ont illustré des société entièrement dirigé par une entité abstraite et omnipotente (« Le trio de l'étrange », « Les 3 soleils de Vinéa ») à la manière de la loi comportementale qui régit l'organisation sociale d'une communauté d'insecte.
– Le monde vinéen apparaît à bien des égard comme une société matriarcale.
– L'essentiel des fonctions de commandement sont fréquemment attribué aux femmes en l'occurrence la tandem Khany / Syndâ.
– L'existence de Sadar, père de Khâny et Poky est totalement occulté après avoir été réduit à la portion congru (une voix) dans « Les 3 soleils de Vinéa ».
– Les tentatives d'établissement d'un pouvoir autoritaire incarné par le personnage masculin de Karpan (« Le trio de l'étrange », « La forge de vulcain ») sont finalement rejetées.
– Le référent divin des vinéens est d'ordre féminin « la suprême puissance ».
La métaphore de la ruche et de l'abeille n'est pas une nouveauté et renvoie à deux type de référence symbolique :
– L'abeille et le miel renvoie à l'ordre du divin (CORBARA (Bruno) La cité des abeilles Paris, Gallimard “découverte”, 2002 pp. 44-69).
– Le miel et la cire apparaissent comme des nourritures divine et sacrée.
– L'abeille s'assimile au soleil. En Égypte l'abeille est assimilé aux larmes du dieu Rê en Grèce elle est associé au dieu solaire Apollon. (CORBARA (Bruno) La cité des abeilles p. 64).
– L'abeille apparaît comme naissant de la charogne (mythologie grecque et ancien testament ) (Dans le mythe Aristée et le livre des juges des essaims émerge de carcasse mais il s'agit de carcasses sacrées soit issue d'un sacrifice expiatoire ou de l'action d'un héros (lion tué par Samson). Plus qu'une transmutation du mortel vers l'immortelle du l'ignoble au noble, l'abeille s'assimilerait plutôt à la part divine et imputrescible de corps mortel. CORBARA (Bruno) La cité des abeilles p. 65).)
– Le miel peut être associé à la prohibition de l'inceste (Cl. Lévi-Strauss Mythologiques 2 du miel aux cendres p. 17).
– Certain mythe font de l'abeille une créature intermédiaire entre la terre et le ciel se rapprochant ainsi des anges dont les vinéens possèdent plusieurs caractéristiques (Cl. Lévi-Strauss relève le cas d'un mythe des origines de l'agriculture où un peuple après avoir consommé la manikuera cru meure et se transforme en étoile et où d'autres hommes après l'avoir consommé crue puis cuite meurent et se transforment en abeilles. Mythologiques 2 du miel aux cendres p. 45).
On peut enfin relever que le seul cas de nourriture que Khany propose à ses amis terriens consiste en une boisson amère indispensable au voyage intersidérale (« Les 3 soleils de Vinéa ») qu'on peut en extrapolant rapprocher du miel aigre enivrant et toxique utiliser à des fins rituel de transe (Cl. Lévi-Strauss Mythologiques 2 du miel aux cendres p. 44).
– La ruche est utilisé comme métaphore de la société humaine (CORBARA (Bruno) La cité des abeilles pp. 82-85) .
Le thème d'une communauté régit à la manière d'une société d'insecte est à la même époque traité dans l'épisode de la saga de Luc Orient « Le 6° continent » (1975 environ) par Greg et E. Paape.
L'épisode des titans correspond pour les vinéens à une rencontre avec l'autre que constitue les insectes géants (les titans) avec lesquels ils partagent plusieurs caractéristiques ( ex léthargie, développement technologique).
La rencontre avec les titans (scarabées géants) est l'occasion pour les vinéens d'affirmer leur individualité par rapport à la logique collective des titans.
P 28 1/1, 2 :
Xunk : « Lors de notre voyage, j'ai été soumis à des radiations... Bientôt ce sera la paralysie... PUIS LA MORT !...
Khâny : Une irradiation, cela se soigne !...
Xunk : Le traitement nécessite une telle mobilisation d'éléments qu'il met en péril la réussite de l'expédition !
Khâny : CIVILISATION D'INSECTES ! Les faibles et les malades sont abandonnées !... NOUS TE SAUVERONS, XUNK !... »
Différence que Yoko une fois de plus dans un rôle d'intercesseur explique plus loin au grand migrateur.
P 40 2/1, 2 :
Yoko : « Si je m'en réfère à nos sociétés d'insectes, chacune de vos reines doit donner la vie à des milliers de ''larves'', chez nous, les ''reines'' s'appellent femmes et représentent la moitié de la population ! // Elles n'ont en moyenne, que deux à quatre enfants... C'est peu en regard de vos ''familles''... mais l'amour que nous leur portons est inversement proportionnel... Alors ?... Tu la réveilles ?... »
Confrontation aux figures fantasmatiques archaïque :
Il est à remarquer que la léthargie de Poky semble apparaître comme une élément mineur de l'histoire on ne comprend pas pourquoi l'expédition ne réussi pas à la réveiller quand Yoko réveille Pol d'une claque (P24 2/2).
L'épisode Poky semble avoir été constitué pour permettre l'apparition de Yoko en mère. Face au grand migrateur, elle présente graphiquement des analogie avec les représentations traditionnelles de la vierge à l'enfant. Le grand migrateur se présente sous la forme d'une figure archaïque parentale indifférenciée il est à la fois père et mère de sa communauté.
P 40 3/5 :
Le Grand Migrateur : « Jadis, nos engins automatiques sont venus à cet endroit, l'ont analysé puis ensemencé de plantes : future nourriture pour la communauté de ce vaisseau qui, sous forme de milliers d'œufs minuscules, attend que je libère son éclosion... »
Il maintient les autres membres de son espèce dans un état d'indifférenciation sexuelle. La présence de Poky dans les bras de Yoko contrebalance cette toute puissance, elle apparaît en mère face à une autre mère, la terreur vis à vis de formes parentales archaïque n'est plus de mise.
Ce rapport mère / fille entre Yoko et Poky tranche avec celui que les deux personnages entretenait dans « Le trio de l'étrange » où Yoko entretenait avec Poky un rapport de type complicité entre sœurs.
Notons que si la fonction maternelle de l'héroïne est ainsi révélée la sexualité reste dans l'univers vinéens dissimulé ou occulté
– Les personnages ont des tenues unisexe
– Le jeu des mise en léthargie réveil du trio Syndâ / Khâny / Poky suggère plus une reproduction de type parthénogenèse par duplication d'éléments identiques que par l'union d'un couple mâle / femelle, homme / femme. Jeu de ressemblance que l'auteur reprendra dans l'univers réaliste de « La frontière de la vie ».
La quête des origines pour Yoko ne débutera qu'ensuite dans le cadre réel et familial de « La fille du vent » et puis de « La spirale du temps ».