Voilà ce qui arrive, Light Yagami, lorsqu’on se laisse aller sur la fin de son cursus académique : on atterrit dans les méandres poisseux de l’Éducation Nationale. Du côté du professorat qui plus est ; disgrâce suprême.
Oui, à n’en point douter – et on s’en convainc assez tôt – Hasumi est une émule abâtardie de Light Yagami ayant viré prof pour s’astreindre à une vocation lui étant apparemment venue sur le tard. Un Light Yagami qui, de ruses en ruses, en deviendra maléfique au possible. Mais dans ce cadre-ci, sans que les médiations ne soient correctement établies, passant la première vitesse à la deuxième, puis la deuxième à la sixième au dernier tiers de son parcours. Toutefois, n’attelons pas la charrue avant les bœufs.
C’est donc une histoire de prof. Pas un quoi soit rigolo ou versé dans l’occulte, plutôt un machiavélien vicieux pour la seule finalité de l’être. On ne comprend pas franchement ses motivations à agir ainsi. Tout homme n’est pas tenu de se fixer un objectif clair et défini pour guider sa vie, il en va de même des personnages d’une fiction, néanmoins, Hasumi agit de manière résolue comme s’il chercha à parvenir à un but : un qui ne nous sera jamais rapporté. Kira tuait pour imposer sa Justice, Hasumi, si on lui avait remis un Death Note, aurait tué en jetant sur le papier des noms trouvés aléatoirement dans le bottin. Il a beau avoir l’air de savoir ce qu’il fait, ce qu’il fait, justement, n’œuvre pour aucune finalité concrète. On le croyait d’abord professeur débonnaire puis, on le devina sournois sans que cela ne se justifia d’une quelconque manière que ce soit. J’assure aux lecteurs de cette critique qu’il est franchement frustrant de suivre un protagoniste qui agit à tout vas sans trop que l’on sache ce qui guide sa conduite.
En premier lieu, le temps de la première moitié du récit environ, seront alors égrainés tous les poncifs dramatiques pouvant avoir cours dans un cadre scolaire. Les relations prof-élève – ou élève-infirmière scolaire chaude comme la braise –, les diverses formes de harcèlement entre camarade, les bastons, la tricherie aux examens, les familles à problème ; autant de sujet qui, en France, n’inquiètent jamais franchement les professeurs. Ce dont je ne leur tiens pas rigueur, au demeurant. Tudesque et littéraliste comme il m’arrive de l’être, je considère qu’un enseignant a vocation à enseigner. Son rôle premier – voire exclusif – consiste à transmettre le savoir, pas à agir comme une assistance sociale investie d’une mission divine comme je ne le vois que trop dans les œuvres de ce genre.
Mais le drame prend vite le pas sur la crédibilité de l’œuvre alors que nous attendrons trois chapitres d’ici à ce qu’un professeur de gym libidineux se pique de vouloir violer une élève. Élève heureusement sauvée par notre héros, l’insipide et faussement machiavélique professeur Hasumi.
Réellement, en dépit d’une scénographie plutôt sombre, tout concourt à nous faire comparer Aku no Kyouten à GTO. Le registre, certes, joue pour beaucoup, mais le traitement de l’affaire varie en réalité assez peu. L’approche diffère, mais uniquement pour se rejoindre sur le fond. Du reste, les élèves qui nous seront présentés, antagonistes tout trouvé, ne tiennent pas une chandelle à Kikuchi ou au reste de la 3e 4 d’Onizuka. D’autant que ceux-ci, sans franchement de personnalité outre que celle directement accolée au rôle qu’on leur confie, ne nous apparaîtront jamais attachant malgré leurs déboires. Ils ne paraissent avoir aucune volonté propre, uniquement guidés qu’ils sont par un récit les utilisant plus qu’il ne leur accorde d’espace narratif afin qu’ils s’expriment.
La désaffection – ou en tout cas le désintérêt qu’on exerce à leur endroit – si elle est d’abord regrettable, s’avérera franchement déplorable une fois l’acte final de l’œuvre engagé.
J’y viens à cette longue fin qui, censée nous surprendre – ce fut le cas – ne manque pas de décevoir pour autant. Le restant de l’intrigue que je m’apprête à égratigner, j’aurais pu le mettre sous une balise « spoiler », mais à quoi bon. Arrêteront ici leur lecture ceux qui souhaiteront découvrir le revirement entamé par Aku no Kyouten.
Après que nous soyons déjà partis assez loin pour frayer en compagnie de prof de science taxidermiste aux tendances sociopathiques exacerbées jusqu’au cinquième tome, la crédibilité de l’œuvre n’en finira pas d’être surinée à mort. J’ai connu des maisons d’arrêt où les criminels dans la cour étaient moins problématiques que ceux qu’on trouve ici en salle des profs.
Les occasions de croire à ce qu’on lit sont assez rares pour être notées sur un timbre-poste. Le personnage principal roule sur une intrigue un peu plus aberrante un chapitre après l’autre. Et cela, jusqu’à ce dernier acte finalement aussi erratique que frénétique.
On parle d’un dernier tiers de l’œuvre où, Hasumi, réputé calme, composé, et d’une intelligence redoutable, pour une bête histoire d’amourette avec une élève, en vient à tuer plusieurs dizaines de ses élèves au fusil à pompes.
Oui, au Japon.
Avec, bien sûr, à chaque début de nouveau volume, le décompte des élèves encore en vie, à la manière d’un Battle Royale, affichant ainsi le portrait des élèves morts noircis. Les auteurs d’Aku no Kyouten, à savoir messieurs Kishi Yusuke et Karasuyama Eiji sont partis d’une idée, ont divagué sans trop quoi savoir en faire, et ont bifurqué sur une histoire de massacre dans une école en souhaitant sans doute nous prendre à revers. Le pari est réussi, mais l’amorce de l’acte n’a que finalement bien trop peu de sens pour qu’on la trouve vraisemblable.
Qu’Hasumi – dont je rappelle qu’il est supposé être doté d’une intelligence remarquable – ait cru pouvoir massacrer plusieurs dizaines d’élèves avec un fusil-à-pompe, sans même avoir de quoi se masquer le visage, et échapper à la police en dépit du fait que deux témoins aient survécu, a un quelque chose de surréaliste. Les auteurs croyaient-ils eux-mêmes à ce qu’ils écrivaient avant de nous rendre leur copie ?
Vous me direz, Izumi s’en est bien tiré, mais il avait eu droit au soutien de la science-fiction pour qu’on justifia la grâce qui lui fut accordée par le récit. Cette référence peut paraître gratuite, mais le massacre à l’arme-à-feu d’Izumi – personnage issu de ce qu’on peut clairement catégoriser comme une série B – était autrement plus convainquant sur le plan narratif.
L’histoire d’un prof qui assassine ses élèves les uns après les autres aurait pu être poignant…pour peu que les élèves aient été méticuleusement développés auparavant, et que leur relation prof-élève fut sincère. Or, ils nous seront apparus d’un bout à l’autre de l’œuvre comme de parfaits inconnus dont la mort, à nos yeux, ne sera jamais que celui d’un ramassis d’anonymes écharpés au gré d’une trame ayant pris un soudain revirement aléatoire.
Et cette conclusion, qu’est-ce que c’est si ce n’est une fin ouverte sur un précipice ? L’histoire a voulu nous surprendre avec ce tournant du massacre, mais elle nous aura simplement fait hausser les sourcils pour susciter chez nous des airs dubitatifs puis lassés. L’idée de cette trame n’était pas mauvaise. Installer un cadre relativement monotone sur la longue durée avec une relation prof-élève qui se conclut de la manière que l’on sait aurait en principe de quoi nous faire sursauter et nous briser le cœur. Seulement, ladite trame aura été si abominablement mal amenée qu’on peinera trop à la trouver crédible et donc, concluante. Aku no Kyouten, pourrait-on dire, est une nouvelle à chute pour sa propension à s’être pris les pieds dans le tapis. Peut-être le roman dont est issu le manga a davantage de mérites à faire valoir, mais son adaptation bullées était plus à déplorer qu’à lire.