Ce tome regroupe les épisodes 1 à 5 de la série, ainsi que les épisodes 1 & 2 de "Original sin : Secret Avengers infinite comics", initialement parus en 2014. Tous les épisodes sont écrits par Ales Kot. Ceux de la série "Secret Avengers" sont dessinés et encrés par Michael Walsh, et mis en couleurs par Matthew Wilson. Les 2 épisodes "Infinite" ont d'abord fait l'objet d'une parution en ligne, avec un storyboard réalisé par Mast & Geoffo (2 artistes français), puis dessinés par Ryan Kelly, et mis en couleurs par Lee Loughridge, pour l'adaptation papier. Ales Kot avait déjà coécrit les épisodes 12 à 16 de la série précédente des Secret Avengers, avec Nick Spencer (voir How to MA.I.M. a Mockingbird).
L'histoire commence alors que Nick Fury junior (voir Battle scars) et Phil Coulson se battent contre une itération du cybiote The Fury (voir Captain Britain: Siege of Camelot) dans une station spatiale secrète du SHIELD. Sur Terre, Jessica Drew (Spider Woman) et Natasha Romanova (Black Widow) sont en train d'apprécier un massage relaxant. Leur séance est interrompue par Hawkeye cherchant à échapper à des gugusses cagoulés de l'AIM (Advanced Idea Mechanics). Sur l'Helicarrier du SHIELD, Maria Hill (directrice du SHIELD) examine les dernières créations en matière d'armes mortelles, conçues et construites par MODOK, tout en coordonnant les actions dans l'espace et sur Terre.
En 2011/2012, Warren Ellis fait un bref passage (le temps de 6 épisodes) sur la série "Secret Avengers" : Run the mission, don't get seen, save the world. C'est une leçon d'efficacité, de concision et d'inventivité. Si Ales Kot n'est pas au niveau d'Ellis, ces épisodes en porte la marque. Ales Kot accommode les ingrédients narratifs habituels, à sa sauce, pour un résultat au goût personnel et efficace.
Pour commencer il y a la façon de rendre compte de la personnalité des individus. Kot intègre une forme de dérision dans les propos des uns et des autres, sans nuire au sérieux de l'intrigue. De manière flagrante, il se calque sur l'approche de Matt Fraction pour le personnage d'Hawkeye (à commencer par My life as a weapon), mais en exagérant encore la désinvolture de Clint Barton, au point que Jessica et Natasha le traite comme un individu ayant des difficultés d'attention. Kot montre Maria Hill comme une personne extrêmement compétente, très investie et manipulatrice, parfaitement plausible et crédible dans son rôle de directrice du SHIELD. Elle n'hésite pas à nouer des alliances douteuses (MODOK) pour arriver à son but, la fin justifie les moyens.
Black Widow est d'une justesse rare : compétente, experte en combat à main nue et dans le maniement des armes, espionne professionnelle sachant tirer profit de son expérience, et en faire profiter les autres (essentiellement Jessica Drew). Le portrait psychologique de cette dernière est moins développé, une aventurière compétente, au mode de pensée plus ouvert que celui de Black Widow.
Succès du film Avengers (2012) et début de la série télévisée consacrée au SHIELD (en 2013) obligent, Ales Kot doit intégrer le Nick Fury version Samuel Jackson et l'omniprésent agent Phil Coulson. Il reprend la dynamique développée dans la minisérie "Battle scars" et fait ressortir leur amitié, avec habilité et conviction. Fury est à sa place dans ce monde de machinations, de trahisons et de missions officieuses, avec un niveau de ressource lui permettant de faire face à des individus dotés de superpouvoirs. Kot a décidé de conserver la dimension humaine de Coulson, ce qui fait ressortir ses limites physiques et sa position de faiblesse dès que des superpouvoirs sont à l'œuvre. D'un côté c'est logique ; de l'autre le lecteur peut craindre que Coulson soit rapidement et régulièrement réduit à l'état d'otage ou de victime à sauver.
Non seulement Ales Kot réussit à insuffler la personnalité de chaque protagoniste dans leurs répliques, mais en plus il propose une intrigue haletante. Ce scénariste est déjà l'auteur d'une série mêlant action et espionnage hallucinante : Zero, à commencer par An emergency. Le début du récit est assez convenu avec un usage générique de The Fury (une création d'Alan Moore et Alan Davis), oubliant sa véritable puissance, juste pour les besoins du scénario. La course-poursuite entre Hawkeye et les soldats de l'AIM relève d'une idée assez générique également.
Parallèlement à ces ennemis sans âme, il y a les magouilles d'Hill qui joue un jeu dangereux mais nécessaire et inévitable, et la personnalité énorme de MODOK avec ses motivations crédibles et à double tranchant. Il y a également le rythme rapide du récit, avec des histoires complètes en 1 ou 2 épisodes. Kot crée des personnages improbables qu'il réussit à faire fonctionner avec un naturel épatant : il n'y a qu'à considérer Artaud Derrida, poète raté et marchand de bombes, une variation sur le savant fou inédite et savoureuse. À nouveau la qualité d'écriture de Kot se fait sentir pendant la scène d'interrogatoire de Derrida par Black Widow, qui échappe aux clichés habituels.
Les responsables éditoriaux ont choisi de confier ces épisodes à un jeune dessinateur : Michael Walsh. Là encore, le lecteur peut être tenté de faire le lien avec la série Hawkeye dessinée par David Aja. Par exemple Wlash reprend l'idée de coller un une tête de superhéros devant les parties intimes dénudées. Au-delà de ce dispositif et d'un encrage un peu grossier qui donne une impression de spontanéité, la narration de Walsh montre de la personnalité. Il change le nombre et la disposition des cases à chaque page, ce qui peut être un peu fatigant au sein d'une même séquence, mais impulse un rythme soutenu. Le lecteur peut ainsi passer d'une page avec 11 cases, à une page n'en comprenant que 3.
Walsh adapte sa mise en scène à chaque séquence. Là encore cet effort permet de conférer une personnalité propre à chaque action. À l'instar de Warren Ellis, Kot réserve 2 ou 3 pages muettes par épisodes, ce qui permet d'encore mieux apprécier la qualité de narration de Walsh pour ces séquences d'action. Ce dessinateur s'élève au dessus de la production industrielle de comics par sa volonté d'intégrer les déplacements des personnages dans les décors (plutôt que de chorégraphier des échanges d'horions sur des scènes vides), et par son sens de l'expression faciale juste, sans être exagérée.
Par comparaison, les dessins de Becky Cloonan sont un peu plus convenus, même s'ils conservent cette apparence de surface, un peu esquissée, avec un encrage un peu approximatif (en apparence). Il n'est par contre pas possible de se rendre compte du travail de Mast & Geoffo, gommé par la transposition du numérique au papier. Le scénario est tout aussi futé que celui des 5 épisodes réguliers, avec là encore une forte influence de Warren Ellis sur le mode narratif.
Lorsqu'un lecteur se lance à la découverte d'une série dérivée, il sait que dans la plupart des cas il aura à faire à une histoire conçue au kilomètre pour une série dont les ventes seront assurée par l'aura de la série mère. De temps à autre, il a le plaisir de découvrir une série réalisée par des auteurs peu connus qui jouissent d'assez de liberté pour sortir du moule (les risques étant faibles pour le responsable éditorial). Cette version de Secret Avengers fait partie de cette deuxième catégorie avec un scénariste doué pour tricoter une intrigue et faire passer la personnalité des protagonistes, et un dessinateur très investi dans la narration, refusant la facilité.