La référence en BD Samuraï
Découvert sur le tard par son adaptation cinéma "Baby cart". L'ancien exécuteur en chef du shogun est pourchassé par un clan. Il est avec son enfant dans un chariot en bois. C'est magnifiquement...
le 16 avr. 2023
Ce tome comprend les quinze premiers chapitres de la série, pour environ six cent soixante pages de manga. Le texte sur le premier rabat intérieur indique qu’il s’agit d’une édition complète en douze tomes, ce qui correspond au découpage de 2013-2016 par l’éditeur Dark Horse Comics. Il s’agit d’un manga en noir & blanc, dans une édition avec un sens de lecture de droite à gauche. Les pages originellement en couleur ont été réimprimées en nuances de gris car elles ne sont plus disponibles en couleur au Japon. Il s’ouvre avec une préface de Xavier Guibert qui évoque rapidement la vie des auteurs, et la particularité de la dynamique relationnelle entre Ogami Ittô et son fils Daigorô. Il se termine avec une galerie de trois illustrations en noir & blanc, une postface de trois pages présentant le Japon du clan Tokugawa à la fin du dix-septième siècle, et un glossaire de quatre pages comprenant cinquante-huit mots, allant de Ashigaru (fantassin au service d’un daimyo, et grade le plus bas chez les guerriers) à Zhuge Liang (célèbre général et stratège de la Chine ancienne, 181-234).
Fils à louer, sabre à louer. Dans une pièce sombre, un homme agenouillé explique la situation et ce qu’il attend de son interlocuteur. Il présente les cinq cents ryô convenus. Sugito Kenmotsu, le kuni-karô du han de Mibu, est protégé par des maîtres sabreurs du Nen-Ryû, surnommés les huit de Mibu. Les camarades du han qui ont tenté d’assassiner Sugito ont tous été stoppés par sa garde et aucun d’entre eux n’a survécu. Il demande à l’assassin de se servir de son sabre pour débarrasser leur seigneur de ces chacals. L’homme dans l’ombre l’informe qu’il utilisera la stratégie du Shima. Il se lève et prend son fils dans ses bras. Le lendemain, sur la route sous le soleil, Ogami Ittô pousse le landau dans lequel dort son très jeune fils Daigorô. Sur le kakemono coincé dans sa ceinture est écrit : fils à louer, sabre à louer, école du Suiô, Ittô Ogami. Les voyageurs qui le croisent s’interrogent sur le sens de ces informations. Sur un rocher en surplomb, deux guerriers viennent de recevoir un message les avertissant de la venue d’un assassin qui voyage avec enfant, d’où son surnom : le loup solitaire et son petit.
Un père connaît le cœur de son fils, comme seul le fils connaît le sien. Un homme chevauche tranquillement sur le chemin. Il repère un très jeune enfant en train de se noyer dans la rivière. Il pose ses habits à terre, ainsi que son mousqueton, et il plonge pour le sauver. Il est poignardé à mort par l’assassin. Ogami Ittô sort de l’eau avec son fils et reprend sa route. Il a été engagé pour assassiner de potentiels maris à une femme prétendant ravir une seigneurie à la maîtresse en place. - Du nord au sud, d’ouest en est. Ogami Ittô traverse un lac en barque avec son fils, pour rejoindre une petite maison sur la rive, où l’attend son client. Celui-ci lui explique que son han a trouvé une mine d’or, mais l’a tenue secrète pour qu’elle ne soit pas réquisitionnée par le shogunat. Malheureusement, cette découverte est parvenue jusqu’aux officiels à Edo et le shogunat a décidé d’arrêter le daikan des terres impériales en bordure pour l’interroger sous la torture et le faire avouer.
Enfin une très belle édition pour ce premier manga que j’ai lu. C’était en 1987 et en anglais : une édition de First Comics dans le sens de lecture occidental, avec un remontage des cases, planche par planche pour respecter la volonté des auteurs qui voulaient que les détails historiques restent conformes, comme le sens de fermeture des kimonos, avec également pour effet d’avoir des personnages qui restaient droitiers. Le choc culturel fut total : première histoire de samouraï, ou plutôt de rônin, première plongée dans le Japon médiéval, première exposition à un une narration visuelle de type Gekiga et même manga plus simplement, et en plus le responsable éditorial avait indiqué qu’il ne connaissait pas la longueur totale de l’œuvre, et qu’il recevait certains chapitres dans le désordre. Malheureusement First Comics ne parvint pas à la fin de cette aventure éditoriale, avec environ un tiers de l’œuvre publiée, mais avec de magnifiques couvertures de Frank Miller, puis Bill Sienkiewicz, Matt Wagner. Puis vint la première édition de Panini en français et dans le sens de lecture original, mais je m’arrêtais avant la fin et je n’ai jamais réussi à mettre la main sur les derniers tomes après coup.
Dans ces quinze premiers chapitres les histoires fonctionnent sur une dynamique identique dont la simplicité assure une efficacité redoutable : une personne loue les services d’Ogami Ittô pour un assassinat (ou plusieurs), pour un montant toujours identique de cinq cents ryô. Il s’en suit une période d’observation ou de stratégie, et un massacre, voire un carnage. Les dessins génèrent une sensation d’urgence fruste : du noir & blanc, des cases souvent un peu chargées, un niveau de finition qui s’attache plus à la description brut qu’à une expérience esthétique sésuisante, des traits et des hachures pour augmenter le relief et les textures, des traits pour accentuer le mouvement, de nombreuses pages sans texte lors des combats, des onomatopées non traduites dont la graphie se marie avec les dessins, et en même temps une forme d’expansion narrative donnant la sensation que les auteurs disposent d’un nombre de pages très important ce qui leur permet de jouer avec des plans longs de prise de vue. Les intrigues montrent un bretteur professionnel de haut niveau sans passé ou presque, sans émotion ou presque, sans remords (aucun), prêt à mettre en danger la vie de son fils pour réussir, l’exposant à la mort violente de ses ennemis ainsi qu’aux brutalités que son père encaisse. Chaque chapitre se lit très rapidement, à l’exception d’une ou deux pages d’exposition sur les raisons du contrat passé, car l’assassin exige que le commanditaire lui dise tout.
Le lecteur perçoit rapidement que la reconstitution historique s’avère omniprésente. De manière évidente : les tenues vestimentaires, les coiffures, les objets et accessoires du quotidien, les différentes habitations, les panneaux décoratifs peints, les tatamis, les jeux d’enfants (jeu de cartes, toupie, cerf-volant), les palanquins, les villes, les clôtures et enceintes, les différentes formes de toitures, les ponts de pierre ou suspendus, les temples et leur statuaire, les milieux naturels traversés par les chemins et leur faune, avec éléments de flore également, sans oublier les armes. Le lecteur fait l’expérience de cette narration visuelle qui peut paraître paradoxale : parfois des scènes étirées sans décor en fond de case, et dans le même temps une densité d’informations visuelles extraordinaire, toujours incidente, intégrées le plus naturellement du monde sous la forme de ce qui entoure les personnages, là où ils se trouvent, ce qu’ils utilisent ou simplement voient.
Cette reconstitution historique comprend une autre dimension qui est apportée par les contrats de l’assassin, et quelques bribes de dialogue : le fonctionnement de la société japonaise de l’époque, avec son système de classes sociales (paysans, artisans, marchands, guerriers, nobles, samouraïs), ses obligations, les daimyos et leur province, le shogunat de la famille Tokugawa qui vit à Edo. Le lexique très fourni atteste du fait que le scénariste fait évoluer son personnage dans un contexte historique très précis et très documenté, qui affleurent dans les intrigues, sans passer au premier plan. Le lecteur qui en connait déjà un peu plus sur la situation d’Ogami Ittô détecte deux ou trois remarques lors de conversations indiquant qu’il occupait précédemment une situation particulière, Kogi Kaishakunin, ce qui explique sa maîtrise des arts du combat. Cette dimension politique passe également par des informations visuelles : les uniformes de fonction, les tenues d’apparat, la déférence de certains personnages par rapport à d’autres attestant d’une hiérarchie sociale.
Un commanditaire loue les services d’un assassin pour cinq cents ryô et celui-ci mènera sa mission à bien, et en ressortira vivant : pas sûr que les auteurs puissent se renouveler ou développer une tension dramatique avec une dynamique aussi implacable et une issue courue d’avance. Au cours de la lecture, le lecteur constate que la variété provient des motifs des commanditaires, vengeance personnelle, ou enjeux politiques complexes découlant tout naturellement de la qualité de la reconstitution historique. Régulièrement, le commanditaire indique la cible et développe le contexte à l’assassin, dans une séquence d’une à deux pages, dense et explicative. Le lecteur prend l’habitude de cette phase, et se concentre pour assimiler les informations, afin de savourer l’intrigue. Chaque commande provient d’un individu qui est étoffé au-delà du strict minimum, par ses motivations, et aussi par son attitude, ses gestes, les émotions visibles dans ses expressions de visage, son comportement avec d’autres personnages. Ainsi chaque situation s’incarne par le truchement de personnages secondaires créés et développés uniquement pour le chapitre, car à la fin le loup solitaire et son petit reprennent le chemin.
Tout du long de ces quinze assassinats, le lecteur perçoit et ressent la cohérence épatante de la série. Une composante évidente réside dans les assassinats, souvent des combats physiques, des duels ou des affrontements contre plusieurs guerriers. Le premier se déroule sur quatre pages muettes : la violence est sèche et brutale, rapide et définitive. Les auteurs consacrent la pagination nécessaire pour montrer les attaques, les parades, les mouvements relatifs des uns par rapport aux autres, les tactiques particulières (armes ou utilisation de chevaux), mise à profit des caractéristiques du terrain (par exemple l’équivalent d’une via ferrata). Un combat peut durer de deux à douze pages en fonction du nombre d’ennemis, de leur adresse aux armes. Les auteurs ont pris le parti de refuser tout romantisme dans ces mises à mort : il s’agit de tuer et de gagner pour vivre par tous les moyens possibles, et les dessins peuvent devenir assez gore : perforation de la chair et des corps, membres tranchés qui volent, individus estropiés, énucléation. Les affrontements à mort s’avèrent sans pitié, effrayants, horribles. La mort apparaît monstrueuse, grotesque. Les individus sont concentrés sur leur survie qui dépend de leur capacité à tuer, des moments d’une intensité paroxystique sans palabre ni dialogue.
De chapitre en chapitre, Ogami Ittô dispense la mort, sans faire de différence, sans remord, sans moralité. Il rencontre son commanditaire, exige toutes les informations sur la situation, effectue des remarques quand on lui ment, et il ne prend pas parti. Pourtant, de temps à autre, il effectue un jugement de valeur, ou il infléchit le cours des événements pour rester fidèle à son code de l’honneur. Il ne se dédie pas de son contrat, il en respecte la confidentialité. Il prépare ses missions, et il acquiert une nouvelle compétence si le contrat le nécessite, comme un cheminement spirituel pour parvenir à ce que son moi ne soit plus que vacuité, afin de pouvoir assassiner un saint homme, un bouddha. À la lecture de ce seul tome, il semble pourtant avoir renié le code de l’honneur en bafouant l’une des règles de sa fonction de Kogi Kaishakunin.
Le lecteur suit donc un beau héros ténébreux, grand et fort, expert en arts de la guerre, son esprit étant sous la coupe d’une forme de fatalité. Il ne renâcle pas à tuer chaque individu désigné par un contrat, les morts affectant sa façon d’habiter le monde, de le concevoir d’où cette sensation de fatalité face à la mort arbitraire. Il peut parfois faire montre d’une once d’humanité, une pitié fugace pour une victime ou un opprimé, et même une fièvre qui le fait délirer. Quelques situations permettent d’apprécier la force de caractère de cet homme, sa discipline. D’autres mettent en lumière son expérience, sa capacité à anticiper : sa connaissance de la stratégie du Shima, les accessoires du landau (jusqu’à un fond doublé de métal pour s’abriter derrière). De manière particulièrement choquante, il vagabonde de ville en ville avec son fils Daigorô qu’il expose à une partie de ces morts, de ces violences, dont il n’hésite pas à mettre la vie en danger. Ce choix sera expliqué dans un tome ultérieur. Par de petits moments anodins, les auteurs montrent que ce jeune garçon de trois ans est affecté par ce qu’il voit, et qu’il absorbe inconsciemment, comme une éponge, le comportement de son père qu’il prend comme exemple. Tout ces petites touches font d’Ogami Ittô un individu qui ne peut pas se réduire à un deus ex machina narratif.
Ce premier tome enchaîne donc quinze contrats pour l’assassin, passant d’un village à un autre, d’une situation à une autre, sans fil rouge, comme s’il s’agissait d’une suite d’aventures indépendantes les unes des autres, sans conséquence rémanente de l’une à l’autre. Les auteurs n’y dispensent qu’une ou deux informations sur le personnage principale, son ancienne fonction de Kogi Kaishakunin, comme s’il était immuable, et que la dynamique de la série ne connaîtra pas de changement, c’est-à-dire des contrats en un épisode.
Cinquante après leur parution initiale, ces chapitres ont conservé toute leur intensité, toute leur brutalité, tout leur drame. Le lecteur s’immerge dans la période Edo reconstituée de manière remarquable dense et aérée, pour découvrir un assassin à louer, implacable et infaillible, accomplissant ses missions sans pitié, en mettant son fils en danger, dans des accès de violence crue. La narration visuelle combine une remarquable qualité descriptive, avec un sentiment de spontanéité, des scènes comme prises sur le vif, en sachant aussi bien transcrire l’urgence vitale d’un combat, que la beauté contemplative d’un paysage. Le lecteur se sent emporté par l’exotisme du Japon de la fin du dix-septième siècle, fasciné par ce tueur professionnel, bringuebalé par des manigances politiques, bouleversé par des vies brutalisées par des traumatismes sur lesquels l’individu n’a aucune prise.
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Créée
le 6 mai 2023
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