Je n'avais presque pas envie de lire cette BD; j'avais une trop grande opinion d'Ayroles. J'ai retrouvé dès les premières pages l'art de la planche qui fait de chaque De Cape et de Crocs, de chaque Garulfo un objet d'étude pour apprendre la bande dessinée, j'ai admiré le dessin de Maïonara qui a dû se hisser au-dessus des bouffonneries de Garulfo, j'ai rendu grâce à Leprévost pour les camaïeux délicats de chaque scène. Toutefois, pourquoi verser dans la mode vampirique?
J'étais donc tout à la fois gêné et content d'être en terrain connu, mais pas conquis. C'est sans doute parce que; finalement, les deux autres séries d'Ayroles sont des aventures pleines de rebondissements et de situations grotesques. D. s'annonce comme une série fortement réaliste, totalement imprégnée de l'esthétique narrative du XIX° sc.: de l'étrange, mais surtout du réalisme (social, politique, psychologique, etc.) dans le fantastique. Du coup, il m'a fallu un temps pour comprendre que les clins d'œil culturels n'étaient pas les seuls agréments dans un océan de sérieux, mais les clés de cette réécriture particulière: comme dans Garulfo, Ayroles s'attaque à un genre qu'il va respecter malgré tout.
Ainsi, sur le papier, faire de Bartleby le scribe un chasseur de vampire est une blague savoureuse; mais le chargé des écritures par son métier joue un rôle narratif, par son refus pondéré montre la ténacité nécessaire au chasseur, et par son histoire se relie au sous-texte romantique courant dans tout le livre.
Il m'a donc fallu un temps d'acclimatation à l'ambiance XIX° Shelley/Gautier/Darwin/Villiers de l'Isle Adam, etc. et un temps pour trouver les différents niveaux de lecture, tout ça pour être conquis dans les dernières pages trépidantes, et par la perspective des possibles de cette idée finalement inédite: une relecture du mythe du vampire par les idées du XIX°.