Love and Rockets : Locas, volume 1 par Karhmit
Lorsque Will Eisner aborde la question du personnage dans son ouvrage consacré à la narration en bande dessinée, il insiste sur l'usage de stéréotypes pour les personnages : Arguant qu'une bande dessinée n'a pas le temps de développer le caractère d'un personnage, le lecteur doit pouvoir comprendre au premier coup d’œil s'il a affaire à un héros courageux, à une brute épaisse ou à un sorcier sournois. Quitte à ce que le cliché soit retourné et que le héros se trouve être un couard ou la brute un champion d'échecs.
Locas, c'est tout l'inverse. Jaime Hernandez met en scène une galerie de personnages tous plus subtils les uns que les autres, aux corps bien loin des stéréotypes de bandes dessinées. C'est la première chose qui frappe à la lecture de ses bandes dessinées : la diversité des corps représentés et surtout la manière dont il arrive à sublimer chaque geste, même le plus anodin. Il suffit de voir Maggie observer sa culotte de cheval dans le miroir, les regards que se lancent Ray et Danita ou l'une des nombreuses scènes de foule pour comprendre la justesse et la beauté du trait de Jaime.
Et les histoires sont à l'avenant. Si l'auteur s'égare au début de la série avec des histoires de science-fiction et de super héros (autant de clins d'oeil humoristiques aux comics mainstream), il se concentre très vite sur l'aspect tranches de vie de son histoire, en multipliant les personnages avec une trame narrative floue et des relations complexes. Il dresse le portrait de jeunes adultes toujours entre deux boulots, incapables de se fixer quelque part et condamnés à errer de ville en ville pour toujours revenir à leur point de départ. La relation entre Hopey et Maggie, les deux personnages principaux, est représentative de l'ensemble des personnages : bien qu'elles se témoignent un amour indéfectible, elles n'ont de cesse de se quitter, de se chercher pour mieux se retrouver.
L'errance de ses personnages permet à Jaime Hernandez de les confronter à différents milieux sociaux : les banlieues pauvres avec leurs maisons décrépies et leurs gangs ; les concerts de punk rock avec une jeunesse à la dérive ; les galeries d'art contemporain remplies de snob et de médisants ; et enfin les milieux huppés, à l'image du manoir de Penny Century, où l'on doit être accompagné par un habitué pour trouver les toilettes et où un squatteur peut vivre plusieurs semaines sans être trouvé. Leur représentation peut être clichée, mais les personnages qui y évoluent sont très bien décrits et beaucoup plus subtils qu'il n'y parait.
Foncez sur Locas, c'est l'une de ces rares bandes dessinées où les personnages semblent avoir une vie propre.