Ca doit bien faire une vingtaine d'année que j’attends que les mangas Lupin III sortent ici (au point que je les ai achetés en anglais). Et c'est Kana qui m'a finalement exaucé ! Avec une anthologie certes, mais c'est déjà ça et au moins la porte est désormais ouverte...


Lupin III est une série de mangas et une franchise emblématique créées en 1967 par Monkey Punch (Kazuhiko Katō de son vrai nom) dans les pages du Weekly Manga Action de la Futabasha. Et si il existe plusieurs mangas labellisés Lupin seules deux sont de la main de Monkey Punch :


 Lupin III, 1967-1972, 14 volumes
 Shin Lupin III 1977-1981, 17 volumes


Avec ces 31 tomes c'est toute une franchise qui s'est développée, franchise qui comprend des animes, des films, des TV spéciaux etc. Pour en savoir plus sur Lupin The Third et son univers je vous renvoie vers cet article qui traite tout ça. Car là il est question du manga qui a donné naissance a ce mythe, enfin pas tout le manga, une anthologie. D'ailleurs ce recueil a été publié pour rendre un hommage posthume à Monkey Punch qui nous a malheureusement quitté en 2019. Les 12 chapitres (issus de « Lupin III » et « Shin Lupin III ») ont été sélectionnés par Ryuichi Endo, dernier tantô de Monkey Punch. Les critères de sélection de ces chapitres ont été :


Ce qui peut être apprécié par des lecteurs qui découvrent Lupin III.
Présenter les personnages iconiques créés par Monkey Punch.
Montrer les bonnes idées que Monkey Punch incluait dans ses chapitres


Et avant de parler de ce recueil, il convient pour moi de comprendre ce que Monkey Punch voulait faire en créant Lupin, ses intentions et ses influences pour saisir pleinement l'essence de tout ça.


Monkey Punch grand fan des romans Arsène Lupin de Maurice Leblanc décide de raconter les aventures de son petit fils. Sauf que Monkey Punch ne demande pas la permission aux ayants-droits de Leblanc, ce qui créera quelques soucis de droits sur le nom qui ne pourra pas être utilisé hors du Japon, jusqu'en 2012 quand les droits patrimoniaux de Leblanc sont tombés. En plus, c'était sensé être un projet court, prévu pour 3 mois, il n'avait jamais imaginé que cela deviendrait une œuvre emblématique sur plus de 50 ans...


Et pour l'anecdote, quand Leblanc fait apparaitre Sherlock Holmes dans un de ses romans, lui non plus ne demande pas l'autorisation. Par la suite le roman sera renommé Arsène Lupin contre Herlock Sholmes


Bref, revenons a nos moutons...


Quand en 1967 le manga commence a paraitre c'est clairement un ovni dans le paysage manga de l'époque. Comme c'est prévu pour etre une publication courte, Monkey Punch ose tout et livre un titre de tendance hard-boiled, cru et loufoque, très inspiré des titres de Mad Magazine et plus particulièrement de Spy vs Spy un comic strip sans parole créé par Antonio Prohías. En effet outre le Lupin de Leblanc, Monkey Punch a puisé son inspiration dans différents médias pour créer et nourrir son récit et ses personnages. Une des inspiration majeure du personnage de Lupin 3 est clairement James Bond. Lupin comme James est décontract’ et sûr de lui, a un sérieux faible pour les jolies femmes, les gadgets, l’humour et les punch-lines. De même la relation Zenigata-Lupin qui n'est pas sans rappeler celle de Tom & Jerry et leurs poursuites incessantes parsemées de "coups de putes"...


Et pourtant en mixant ces différentes influences, en les réinterprétant et surtout en se les appropriant, Monkey Punch crée tout un univers et une palette de personnages solides. Et ça marche, il livre un manga violent et dur, parfois un poil pervers ou la morale et les bonnes mœurs sont régulièrement mises a mal... Le ton est cash, noir, dur, mature et décomplexé, les intrigues policières sont nombreuses et mettent -dans un premier temps- en scènes des affaires de gangsters ou des cambriolages de riches véreux et autres joyeusetés, avant de plus se centrer sur les interactions entre les personnages quand ceux-ci seront définitivement posées. Mais Lupin 3 même si c'est cru et explicite par moment, c'est avant tout une parodie mettant en scène des voleurs, des escrocs et autres crapules prêt a tout pour arriver à leur fin et ou l'humour est partie intégrante des récits. Et quelque part c'est LE truc qui fera le succès de la franchise; ce coté burlesque et très cartoonesque que Monkey Punch ajoute dans ses récits pourtant résolument adulte (avec tout ce que ça sous-entend), mais où il n’hésite pourtant jamais à ridiculiser ses personnages. Mais Lupin, c'est aussi la liberté, une liberté totale qui lui permet de faire ce qu'il veut quand il veut sans se soucier des conséquences et de ne jamais être vraiment lié à quoi que ce soit...


Et ce cocktail sous le crayon de Monkey Punch ça fonctionne, c'est irrévérencieux, drôle, subtil (ou non), c'est de l'aventure et de l'action servis par des personnages ciselés et se complétant parfaitement.


Le personnage de Lupin tel qu'on le connait via les différentes adaptations est déjà posé : rusé, intelligent, sûr de lui, débrouillard, totalement décontracté, plein d’humour, parfois un peu loser mais pourtant tellement humain et contrairement aux adaptations anime, dans le manga, Lupin n’est pas que voleur, il est tantôt garde du corps, tantôt agent secret, tantôt mercenaire… Même s’il n’hésite pas à faire preuve d’humour, il n’est pas encore ce personnage extravagant comme l’on dépeint pas mal d’adaptations. Pareil pour Zenigata. S’il est déjà l’inspecteur chevronné, tenace et déterminé, ce n’est pas l’espèce de "crétin hystérique" comme ont peut le voir dans la plupart des adaptations animées, mais quelqu'un capable de tout ou presque pour arrêter Lupin. Et dans le manga souvent Zenigata fait jeu égal avec Lupin et maitrise comme lui l'art du déguisement. Monkey Punch exploite régulièrement ce ressort scénaristique à la fois pour ses intrigues, pour l'aspect comique que cela peut prendre, mais aussi comme un hommage au Lupin original qui était aussi un maitre du déguisement.


Dans le manga comme dans les adaptations, on retrouve les personnages emblématiques de la série que sont Jigen, Goemon et Fujiko.


Jigen est l’archétype du taciturne taiseux et sarcastique et son comportement, ses actions et sa facilité a manier son arme n'est pas sans rappeler certains personnages de western. Goemon est présenté comme le descendant du bandit Goemon Ishikawa, un bandit japonais du XVIe siècle. Le personnage a été introduit pour ajouter une touche japonaise au manga qui, selon Monkey Punch lui-même, était trop occidental. Fujiko est au départ le nom de tous les personnages féminins amenés a côtoyer Lupin, ce n'est qu'au fil de la série (et surtout dans les adaptations) qu'elle deviendra un personnage a part entière.


La construction globale du manga Lupin 3 est formée de petites histoires qui mettent en scène Lupin et sa clique dans différentes galères/situations… Chaque chapitre du manga contient généralement une histoire complète, bien qu’il arrive que certaines intrigues s'étalent sur plusieurs chapitres et sauf de rares exceptions il n'y a pas de vraie continué/chronologie entres elles. 


Attaquons maintenant le contenu de cette anthologie et les histoires contenues dans celle-ci. On trouve 11 histoires dans ce recueil -dont une en deux chapitres-, et ce sont pour la plupart des chapitres emblématiques de la première et de la seconde série. Mais les différences de tons, et d'enjeux entre les 2 séries est notable même si elles conservent le même ADN. Là ou la première série est plutôt hard-boiled, la seconde est plus humoristique et les gags (et le sexe) occupent une place prépondérante, donc le ton peut être très changeant d'un chapitre a l'autre. Et pourtant le montage des chapitres est plutôt malin, par exemple la première histoire du recueil raconte une réunion de la bande à Lupin, pourtant cette histoire est issue de la seconde série, mais elle fait une parfaite entrée en matière et une très bonne attaque pour présenter Lupin et sa clique. Le deuxième chapitre de ce recueil est le tout premier chapitre de la série, celui qui introduit Lupin. On nous présente aussi un des rares ennemi récurent de Lupin (hors Zenigata) , Pycal, qui apparait dans le manga, la saison 1 de l'anime ou encore un OAV. On assiste aussi à la présentation de Goemon ou encore le chapitre qui a servi de base au premier épisode de la saison 1 de l'anime.


Bref, ce sont vraiment des histoires/chapitres emblématiques judicieusement sélectionnés, dont certains ont même été adaptés -au moins en partie- dans l'anime ou les TV Speciaux/OAV... En gros une présentation plutôt exhaustive du manga même si évidemment 11 histoires c'est peu, j'en aurais bien pris 11 de plus...


Parlons maintenant du dessin de Monkey Punch et je vais être cash: on aime ou pas car c'est particulier. Certains le trouve pauvre et grossier moi je le trouve dynamique, nerveux et unique. Une vraie énergie se dégage de ses planches justement grâce a ce coté brut, spontané et volontairement caricatural. Monkey Punch ne vise qu'a l’efficacité et au dynamisme au service du récit, de l'action et des gags. Ses cadrages comme ses découpages sont aux petits oignons et d'une efficacité redoutable et certains plans me rappelle immanquablement les westerns spaghetti de Leone ou certains films de Kurosawa dans leurs constructions. Et pourtant malgré son style brut et spontané, c'est un pionnier du dessin par ordinateur qu'il a commencé a utiliser très tôt. Pourtant il a toujours conservé son style brut, dynamique et spontané que l'on reconnait immédiatement.Et avoir un style reconnaissable au premier coup d'oeil c'est pour moi la marque des grands...


La narration est dynamique et nerveuse même si certains la trouverons sans doute un peu abrupte/précipitée par moments, ça reste néanmoins assez typique des mangas de l'époque surtout de le cas de un chapitre = une histoire. Pourtant c'est diablement efficace et surtout on ne perd pas de temps en digressions inutiles. C'est aussi pour moi une des forces du travail de Monkey Punch, arriver a poser une intrigue et la mener de A à Z en une vingtaine de pages...


Niveau édition Kana nous livre un moyen format (148 * 210mm) de 288 pages dans leur collection "Sensei". Comme toujours, Kana fait le job, avec un papier fin mais pas transparent et une impression bien noire. Certaines planches originales ayant été perdues, des chapitres ont du être scannés depuis des volumes d'époque, ce qui peut expliquer une certaines différence de grain d'un chapitre à l'autre.


J'ai trouvé le taf de traduction et d'adaptation réalisé par Frédéric Malet, très bon. C'est clair et fluide et les jeux de mots, les blagues et les chutes font mouche. Pour avoir lu la traduction US, je trouve la version VF plus subtile...


Le seul petit bémol, c'est que ça manque d'un texte de mise en contexte, expliquant qui était Monkey Punch et présentant la série, expliquant son importance dans le paysage manga etc. Pour les néophytes comme pour les amateurs chevronnés c'aurait été un vrai plus...


Alors oui, chuis un amoureux de Lupin, je suis forcément pas super objectif, mais si on peut discuter de ses nombreuses qualités on ne peut nier l'influence de Lupin III -le manga et ses personnages- sur le paysage manga/anime. Cow-boy Bebop, City Hunter ou encore certains aspects de Cobra, en sont pour moi de parfaits exemples, et avec le temps c'est devenu une licence mythique, donc ne fut ce que pour découvrir la genèse de tout ça, osez l'aventure Lupin The Third !


Une deuxième anthologie vient d’être annoncée au Japon, en espérant que Kana soit sur le coup !

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le 16 sept. 2021

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