Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Elle a été réalisée par Corinne Maier pour le scénario, et par Aurélia Aurita (Hakchenda Khun) pour les dessins, les nuances de gris et les touches de rouge pour quelques objets. Il s’agit du témoignage des suites de la parution du livre Bonjour paresse : De l'art et la nécessité d'en faire le moins possible en entreprise (2004) de Corinne Maier, publié par les éditions Michalon. L’autrice évoque ses premières semaines de travail au sein de l’entreprise EDF, ses démarches pour faire publier son livre, sa réception médiatique, les réactions de sa hiérarchie et le bilan financier de ce succès de libraire. Cette bande dessinée comporte cent pages, dont seules les trois dernières sont en couleur. Sa première publication date de 2015. Aurita avait déjà réalisé une bande dessinée de même nature Buzz-Moi (2009), suite au succès d’ampleur plus modeste, de sa bande dessinée Fraise et chocolat (2006 & 2007).
Un chat s’étire sur son coussin : il se lève et se dirige vers le lit de Corinne. Il y grimpe, lui touche le visage avec la patte, lui miaule fortement dessus, jusqu’à ce qu’elle réagisse. Le réveil se met à biper : il est sept heures du matin. Elle écrase la tête du chat comme s’il s’agissait du réveil, et envoie valdinguer ce dernier d’un ample revers de la main. Elle s’étire, récupère et chausse ses lunettes, se lève, se prépare un café et finit par verser des croquettes dans le bol du chat. Elle choisit sa tenue pour son premier jour de travail dans son nouvel emploi, et vérifie le trajet sur la carte. Dehors, un arbre perd sa dernière feuille rouge qui va tomber et s’accrocher sur le casque que Corinne Mayère est en train de mettre, avant de partir en scooter. Après quelques kilomètres, elle parvient à la direction de la recherche d’edéF. Elle pénètre sur le site, gare son scooter, entre dans les locaux et se rend au bureau où elle a rendez-vous tout en écoutant les bribes de conversation.
Casque sous le bras, Corinne Mayère arrive dans le bureau de Jean-François Poivrot qui vient de s’installer dans son fauteuil en cuir. Il lui demande de lui rappeler qui elle est. Il en conclut à haute voix que son transfert a déjà été validé par les ressources humaines. Il consulte son dossier : elle vient d’une des filiales. Il la prévient : ici, c’est différent, plus grand, plus globalisé, plus stratégique. Il faut développer une vision politique des choses. Il espère que le choc ne sera pas trop rude. Elle lui assure qu’elle est prête à relever tous les défis liés à l’ouverture des marchés à la concurrence. Il se lève d’un bond en s’exclamant : Génial ! C’est ça, c’est exactement ça qu’ils recherchent. Il faut développer une vraie culture du changement. Il en a marre de tous ces dinosaures, parce qu’ici c’est du sportif. C’est Fight Club ! Il ajoute qu’elle peut oublier la sécurité de l’emploi : si elle est nulle, il la vire. Il rajoute : c’est une blague, en fait il est super cool comme n+2. Il réfléchit et lui dit qu’elle va travailler avec Pierre Kirillovski, l’un des chefs de projets. Pour répondre à une de ses questions, il lui présente ensuite l’organigramme et lui explique en quoi il correspond à un fonctionnement MA-TRI-CIEL.
Au milieu des années 2000, le marché de l’électricité s’ouvre à la concurrence en France. La bande dessinée présente une jeune femme qui intègre la direction de recherche d’EDF, dans ce contexte, et semble découvrir le monde de l’entreprise, alors que son directeur fait état de son expérience professionnelle précédente. Dans le cours de la bande dessinée, le lecteur observe que la plupart des noms a été changée de manière transparente : eDéF pour EDF, Corinne Mayère pour Corinne Maier, Thierry Ardiçon pour Thierry Ardisson, les éditions Vantalon pour les éditions Michalon, etc., avec de temps en temps un jeu de mot également transparent tel le nom de Jean-François Poivrot pour indiquer un trait de caractère. Le lecteur suppose qu’il s’agit d’une précaution pour éviter tout risque de procès, son intuition s’avérant confortée quand il découvre que Corinne a fait l’objet d’une procédure disciplinaire à la suite de la parution de son livre Bonjour paresse. La structure de la bande dessinée surprend un peu car la première partie évoque l’expérience professionnelle de l’autrice au sein de l’entreprise, mais sans détailler le contenu de son livre. Le lecteur peut envisager ce passage comme la mise en place de la réalisation de son livre, la suite (publication, promotion, réactions) remplissant la promesse du titre : son livre figure parmi les meilleures ventes du moment, et est même traduit à l’étranger y compris aux États-Unis. Dans la mesure où ce même livre raconte son quotidien professionnel, sa vie devient un bestseller. Pour autant, la bande dessinée ne présente pas le contenu dudit livre, ni sa tonalité.
Cette aventure éditoriale est présentée de manière linéaire et factuelle : des interactions entre Corinne Mayère et les autres personnages, les dialogues présentant aussi bien leurs réactions que les informations. Les dessins sont très agréables à l’œil : un peu doux dans une veine représentative et réaliste avec un bon degré de simplification, les nuances de gris venant donner de la consistance. Corinne apparaît immédiatement sympathique, vraisemblablement assez jeune, peut-être pas encore trentenaire. Les images montrent bien son quotidien dans sa banalité, mais aussi dans sa spécificité : son appartement assez dépouillé, les quartiers de Paris traversés en scooter, les locaux de la direction de la recherche, les bureaux et les fauteuils à roulette, la machine à café dans un couloir entièrement dépouillé, une salle de réunion impersonnelle, l’esplanade de la Défense avec la grande Arche et la tour eDéF, les locaux des éditions Vantalon, la place Vendôme avec sa colonne, et pour finir une zone montagneuse en Inde, à proximité du village rural de Bir, à l'ouest de la vallée de Joginder Nagar. Même si certaines cases donnent l’impression d’être assez dépouillées, le lecteur ne ressent pas un manque de densité en informations visuelles. Cela aboutit à une compréhension immédiate des dessins, et à une lecture facilitée et assez rapide.
Les personnages présentent la même apparence immédiate, un peu simplifiée, parfois un peu esquissée, avec des expressions de visage un peu appuyée quand il s’agit de montrer une réaction émotionnelle, et des postures qui forment un langage corporel très expressif, communiquant bien l’état d’esprit au lecteur, ou leur réaction. De la page 58 à la page 60, Corinne présente son livre dans l’émission Tout le monde en parle de Thierry Ardisson, et le lecteur reconnaît facilement les invités : Laurent Baffie, Serge Raffy, Marjolaine, Arthur Jugnot et Salomé Lelouch. Par la suite, elle est amenée à croiser ou à côtoyer d’autres célébrités également facilement identifiables : Bernard Thibault (CGT), Julien Courbet, Frédéric Beigbeder, Arielle Dombasle & Bernard-Henri Lévy, Massimo Gargia, Richard Bohringer, Nicolas Sarkozy. À l’occasion d’une séquence particulière, la dessinatrice peut se lâcher en utilisant des éléments visuels spécifiques : le directeur surfant littéralement sur l’organigramme de l’entreprise et les éléments de langage associés, un jeu de chat et de la souris, un jeu de l’oie avec des cases du tourbillon médiatique, une page sans mot au cours de laquelle Corinne observe un enfant jouant avec un cerf-volant.
Le lecteur découvre les différentes phases de la célébrité rapide de Corinne Maier. Cela commence avec la rédaction de son livre sur le temps du travail, avec des impressions sur le photocopieur pour les envois servant à démarcher les éditeurs. À compter de la page 45, la mécanique est enclenchée : Corinne va rencontrer son éditeur, et le récit passe à la phase préalable à la publication. Puis vient le temps de la promotion, de la télévision, à la radio, en passant par la une du journal Le Monde, les émissions débats, etc. S’il est curieux, le lecteur peut aller visionner son passage à Tout le monde en parle, sur un site de vidéos en ligne, ce qui lui permet de se faire une idée plus réelle de l’autrice. Il s’aperçoit qu’elle fait preuve de plus de répartie que ne le laisse supposer la bande dessinée, et que le contenu de son livre doit être plus subversif qu’une simple satire comique du monde de l’entreprise. L’autrice a choisi de mener sa biographie au-delà de l’exposition médiatique, jusqu’à ce que ce soufflé retombe et qu’il soit question de faire un bilan financier. Il découvre la procédure disciplinaire à laquelle elle doit faire face, la manière dont son éditeur tire profit de cette manne financière inespérée, et sa rencontre avec Richard Bohringer qui semble l’avoir beaucoup impressionnée par son authenticité, au milieu de la faune people parisienne. En effet, les représentants de celle-ci sont traités avec la même condescendance que la clique d’imposteurs qui composent son milieu professionnel.
Le titre promet de découvrir l’envers du décor : la vie d’une autrice dont un ouvrage devient un bestseller. La narration visuelle s’avère d’une accessibilité optimale avec une densité d’information au dosage parfait pour donner vie aux personnages avec une apparence spécifique, les faire évoluer dans des lieux identifiables, et permettre de reconnaître les célébrités. L’autrice (à double titre) raconte comment elle a vécu les choses de l’intérieur, en édulcorant peut-être un tantinet l’acidité de son livre, tout en faisant bien ressortir la pression qui pèse sur elle, à la fois professionnelle, à la fois pour assurer la promotion de son ouvrage, à la fois médiatique et même financière. Le lecteur en ressort avec le sourire contenté d’avoir pu ainsi partager ce quart d’heure de gloire de Corinne Maier qui en aura d’autres par la suite.