Un récit ensorcelant, mais un casting blanchi
Si vous avez la flemme de tout lire: Alibaba Saluja, au coeur pur et noble, est blond aux yeux bleus et à la peau très blanche dans une oeuvre qui se situerait dans une Iraq ou un Iran fictifs. Son frère, vil, grossier, usurpateur et faible, lui, a bel et bien une gueule d'oriental, tout comme les personnages dispensables de l'oeuvre. Si vous consentez à rentrer dans une explication plus étayée, lisez la suite:
Le manga Magi : The Labyrinth of Magic, de Shinobu Ohtaka, est une œuvre riche en aventures fantastiques et en inspirations culturelles orientales. L'univers de Magi puise profondément dans les récits des Mille et Une Nuits, avec des références explicites à des personnages comme Aladdin, Alibaba et Sinbad, et des décors qui rappellent les vastes déserts, les palais somptueux, et les marchés animés des contrées moyen-orientales et asiatiques. Pourtant, en dépit de cette richesse culturelle apparente, Magi souffre d'un problème frappant : un white washing systématique des protagonistes principaux, contrastant douloureusement avec les personnages de fond qui, eux, ressemblent véritablement à des Orientaux.
Un univers d’inspiration orientale… pour des héros au visage étranger
Le premier aspect frappant dans Magi est que ses personnages principaux — Aladdin, Alibaba, Morgiana, Sinbad, et même certains antagonistes majeurs — possèdent des traits qui rappellent davantage des stéréotypes de beauté eurocentrés que ceux des populations qu’ils sont supposés représenter. Peau claire, cheveux lisses et souvent blonds ou colorés, grands yeux typiques de l’imaginaire shōnen : les héros semblent directement sortis d’un univers générique de fantasy plutôt que d’une œuvre enracinée dans l’Orient.
Cette tendance au blanchiment contraste fortement avec les personnages secondaires ou tertiaires, qui, eux, sont plus fidèles à l’esthétique orientale. Les villageois, les marchands ou les soldats de l’arrière-plan arborent souvent des teints plus foncés, des traits plus marqués, ou des vêtements traditionnels issus des cultures arabe, perse ou indienne. Mais ces figures, bien que présentes, restent en périphérie du récit. Elles servent de décor ou de toile de fond pour mettre en valeur des protagonistes qui ne reflètent pas leur héritage supposé.
Une distanciation problématique avec l’identité culturelle
Le choix esthétique de blanchir les héros pose une question fondamentale : pourquoi représenter une culture orientale si les personnages principaux en sont visiblement détachés ? Dans un manga qui s’efforce de rendre hommage aux récits du Moyen-Orient, cette dissonance visuelle peut être perçue comme une forme d’effacement culturel. Cela perpétue l’idée que pour être admirables, charismatiques ou héroïques, les personnages doivent se conformer à des idéaux esthétiques occidentalisés.
Le problème est d’autant plus marqué que Magi ne manque pas de nuances dans son écriture narrative. Les thématiques abordées, comme la lutte contre l’oppression, la quête d’identité ou le combat contre les inégalités, sont d’une profondeur remarquable. Pourtant, cette profondeur s’arrête aux mots, car visuellement, l’œuvre se conforme à des codes qui semblent ignorer la diversité qu’elle revendique.
Pourquoi ce choix ?
Ce blanchiment des héros de Magi peut s’expliquer par une volonté commerciale. Le manga vise un public global, et les standards esthétiques dominants au Japon comme à l’international tendent vers des personnages aux traits "universels", souvent assimilés à une apparence eurocentrée. Cependant, ce choix contribue à renforcer l’effacement des identités non occidentales dans les médias. Dans une œuvre qui se réclame des cultures non-européennes, cette décision est particulièrement regrettable.
Un potentiel gâché par un manque de cohérence
Magi reste un manga captivant par ses intrigues politiques, ses personnages complexes, et son monde riche en détails. Cependant, son incapacité à représenter visuellement les cultures qu’il cherche à honorer laisse un goût amer. En transformant des récits orientaux en une esthétique globalisée, Magi perd une partie de son authenticité et contribue à perpétuer des stéréotypes selon lesquels les héros doivent avoir une apparence occidentalisée pour être universellement acceptables.
Pour une œuvre qui aspire à briser les chaînes et les frontières, ce choix de représentation visuelle semble paradoxal. Plus qu’un simple détail artistique, le white washing des protagonistes de Magi reflète un problème plus large d’effacement culturel dans la fiction, une opportunité manquée de véritablement célébrer la diversité et la richesse des récits orientaux.
Le white washing des protagonistes dans Magi : The Labyrinth of Magic est particulièrement dérangeant d'un point de vue oriental pour plusieurs raisons, qui touchent à la représentation, à l'authenticité culturelle et au respect des identités non occidentales.
Pour un lecteur oriental, le white washing des protagonistes dans Magi va au-delà d'un simple choix esthétique. Il symbolise l’effacement et la marginalisation des cultures orientales dans une œuvre censée les célébrer. Ce manque de représentativité renforce des dynamiques inégales, où les cultures orientales sont exploitées pour leur exotisme sans être véritablement respectées ou authentiquement représentées. Ainsi, bien que Magi soit captivant, son incapacité à offrir une représentation fidèle de ses inspirations culturelles laisse un sentiment de frustration et de dévalorisation, en particulier pour ceux qui auraient voulu se voir pleinement représentés dans l’histoire.
Cela renforce une dynamique où les cultures non occidentales sont constamment adaptées ou simplifiées pour plaire à un public global, sans véritable considération pour les peuples ou les régions qui en sont à l’origine. C'est comme si les histoires orientales étaient jugées intéressantes, mais pas les visages ou les corps des gens qui les ont portées.
Vous l'aurez compris, si j'ai trouvé le manga plutôt sympatoche, il est irritant et frustrant (et je dirais même insultant) au plus au point sur ce qu'il laisse comme emprunte sur le plan de la question "raciale".