La dinde, c'est encore le surnom affectueux - on dira ça - que j'attribue à la petite dame qui tenait le crayon. Car mes bons sires, c'est une femme qui dessine. Y'a rien de mal à ça. Ce sont des choses qui arrivent. Parfois pour le meilleur mais... souvent pour le pire.
Point de Seinen ou de Shojô ici, c'est du Shônen pur jus au menu. Que dis-je... si une femme est à la manœuvre, ce ne peut alors être qu'un Bi-shônen. «Qu'est-ce qu'un bishônen ?» me demanderont les esprits innocents pas encore souillés des turpitudes éditoriales du milieu Shônen. Eh bien... prenez un Shônen, trempez-le dans l'œstrogène, imbibez-le bien et laissez-le macérer longtemps. Quand les yeux des protagonistes occuperont alors enfin la moitié de leur visage, alors vous saurez que vous avez réussi à créer un Bi-shônen. Il ne vous restera plus qu'à vous pendre afin d'expier cette faute.
Sauf exception notoire, rien de bon ne sort habituellement d'un Bi-Shônen. S'il fallait cependant lui reconnaître un mérite - car il en a malgré tout - c'est d'avoir su purger en partie les longues et stériles bastons épidermiques propres aux Shônens-Lambda. Et encore, pas dans tous les cas. Chérissez ce que je m'apprête à écrire de bien de Magi, car je vous prie de croire que l'occasion ne se présentera pas de sitôt ; Magi, tout en comportant son lot d'action, nous prive plus ou moins des affrontements bêtes et méchants dont nous ne sommes que trop habitués à l'usure. Notez bien toutefois que cela n'implique pas nécessairement que ce que l'œuvre délivre à la place soit meilleur.
Si je n'avais pas fait le deuil de l'amitié il y a for longtemps à force de me montrer trop critique - c'est un don et une malédiction, mais surtout une malédiction - je crois que j'aurais tué chacun de mes amis si tant est qu'il m'en restait après avoir lu Magi. Sans connaître les Japonais, je devine, à l'aune de mes lectures Shônen, que leur concept de l'amitié diffère radicalement du nôtre. Ce n'est pas tant le principe de l'amitié dans une œuvre qui soit un problème, au contraire. Une histoire d'amitié ou de camaraderie finement écrite vaut toutes les idylles. Mais quand l'amitié se borne à une rencontre fugace ponctuée de slogans creux sur ce qui constitue un ami, le lecteur a naturellement tendance à se détourner de ces considérations stériles. D'autant plus facilement que ces dernières sont éminemment factices. J'en viens à m'interroger quant à savoir si les mangakas qui écrivent si piètrement sur l'amitié ont eux-même des amis ; si eux aussi crient à quel point ils sont attachés à leurs amis en toute circonstance.
L'amitié, comme l'amour, comme le reste même, c'est encore ceux qui en parlent le plus qui en font le moins. L'amitié, ça se suggère, ça ne se crie pas sur tous les toits. Ce n'est pas l'affaire d'un contrat express entre deux parties, chacun s'instituant officiellement l'ami de l'autre. Je n'ai, pour ma part, jamais dit à un ami qu'il était mon ami, car cela allait sans dire.
Je pourrais évidemment mettre la pauvreté du traitement de l'amitié dans les Shônens sur un déphasage culturel, mais, tous, nous savons que cela ne tient en réalité qu'à une très mauvaise écriture de l'œuvre ainsi que de ses personnages.
Car la déconfiture scripturale ne se borne pas à cela et à cela seulement. Nous n'avons, en mentionnant l'amitié, que goûté aux hors-d'œuvres infects préfigurant un plat principal non moins faisandé.
L'attitude des personnages, les liens qui les unissent, les motivations ayant trait aux inimitiés ; tout cela, relève de la puérilité la plus enfantine. J'avais, en lisant Magi, l'impression que l'auteur, comme une mère trop prévenante envers un lectorat qu'elle considérait comme ses enfants, s'adressait à nous comme à des tous petits. S'il est question de violence, la maturité prévaut et il faut savoir considérer son lectorat - même jeune - avec un peu plus de respect. Magi est puéril sans pour autant s'adresser à de jeunes enfants, là est son problème. Là est l'un de ses problèmes.
Puérilité toujours, mais cette fois coutumière et inhérente au genre (un genre qui mériterait grandement d'être retravaillé...), le manichéisme ambiant imprègne et même, structure la narration du récit. Les personnages sont tous ce qu'on peut en attendre d'un Bi-shônen, un ramassis d'éphèbes mignons et erratiques qui parfois s'énervent un peu... mais pas trop. Ce que les antagonistes ont à proposer en face est pire. On ne dépasse jamais le stade de la caricature et pire encore, on s'en contente.
Certains ont vu en Magi un manga profond aux thématiques réfléchies. N'ayant, pour ma part, pas entamé ma lecture au lendemain d'une lobotomie, je dois reconnaître n'avoir retrouvé ni réflexion, ni intelligence et surtout aucune originalité dans ce qui nous sera délivré ici. Il faut aimer la morale pour collégiens rabâchée à l'envie depuis des décennies pour apprécier les «sagesses» de Magi. Aussi, le sempiternel et tout juste cliché «Ne sais-tu donc pas que c'est mal de privilégier les biens matériels à la vie humaine» sera de sortie entre autres immondices au milieu d'un globiboulga de références aux contes orientaux. Contes... qui ne seront jamais véritablement approfondis au-delà du nom attribué à certaines personnages.
Après avoir constaté l'étendue de la restitution de cette inspiration orientale - dont l'idée est plaisante, je l'admets - on comprend que le travail de recherche n'aura pas été poussé au-delà d'une lecture d'un quart d'heure. Un tel s'appelle Aladin, un autre Ali Baba et vous trouverez une Schéhérazade dans un décor rappelant les terres d'où sont issues ces légendes. Et.... ce sera tout. L'imaginaire du Moyen-Orient étant pluri-millénaire, il y avait pourtant matière à piocher dans les histoires afin de se les réapproprier afin d'aboutir à un rendu original et inspiré. Ne comptez pas sur madame Ohtaka pour s'adonner à un exercice aussi éreintant. Surtout pas. Elle a mis des babouches à certains personnages, ne lui en demandez pas trop non plus.
On se borne à une esthétique qui a en plus le défaut de ne pas être mise en valeur par un dessin typique de ce qu'on peut attendre d'un Bishônen ; formaté et féminin.
Vous saurez - je ne le sais que trop bien en ce qui me concerne - que les Bi-shônen ont des archétypes bien à eux ; plus mignons, plus proprets, plus malicieux, mais tout aussi insipides que ceux excrétés par les autres Shônens qui, eux aussi, sont très mal inspirés pour la plupart. Un récit sans idée avec une touche féminine revient à saupoudrer du sucre sur un étron ; la démarche ne le rendra pas plus appétissant.
Avec tous ces Empires et royaumes, ces changements de scènes qui finalement ne changent rien au décor de fond, c'est Tsubasa Reservoir Chronicles qui s'agence à nouveau sous nos yeux. Quelle idée que de tirer son inspiration d'une œuvre qui, précisément, n'était pas inspirée le moins du monde.
Alors certes, ça se renouvelle un peu plus que le Shônen-moyen, mais on respire toujours le même air vicié en dépit du fait qu'on ait changé les meubles à chaque arc. Et quand on sait ce que vaut le Shônen-moyen, il n'y a pas non plus de quoi sauter de joie.
Non, finalement, ça n'est au-delà du Shônen-moyen ; simplement à côté. À côté, et pas bien loin. À lire Magi, on change de catégorie de Shônen sans pour autant y gagner grand chose. Vous relirez ce que vous avez lu ailleurs mais cette fois, avec un filtre à paillettes. Orientales les paillettes. Du moins, le dira-t-on afin de suggérer piteusement que l'œuvre serait pétrie des magies de l'Orient. Je n'ai vu, pour ma part, que les protagonistes coutumiers de Shônens avec des vêtements tirés de la péninsule arabique.
Des légendes du Moyent-Orient, Shinobu Ohtaka n'en aura retiré que le pittoresque, le folklorique et donc, le cosmétique. Elle ne se sera saisie que de la forme sans rien garder du fond, offrant alors à son lectorat - que j'espère dépité - le spectacle désolant d'une appropriation culturelle sans la culture.