Bêtes de somme, Vol.1 : Mal de chien.
Evan DORKIN
Jill THOMPSON
Voici une série qui, si je n’en avais pas lu du bien au préalable, ne m’aurait pas tapé dans l’œil. Essentiellement parce que la couverture pourrait donner l’impression d’avoir à faire à une BD ou un album pour la jeunesse, comme la bande des cinq mais version canine.
Mais l’adage selon lequel l’habit ne fait pas le moine, est ici des plus justifié.
Ce comics propose donc de suivre les turpitudes d’une bande de cinq chiens et d’un chat, dans une petite banlieue typiquement américaine, qui va connaitre des manifestations paranormales croissantes, des plus inquiétantes.
Sommers Hill, donc, est le lieu de résidence de Cador (un Husky), Dobey (un Doberman), Bégueule (un Beagle), Terry (un Terrier), Carlton (un Carlin), et Sans-famille (un chat errant qui s’est attaché à ce groupe de chiens), ainsi que d’une tripoté d’autres chiens et chats aux rôles plus secondaires. L’histoire commence directement sur l’appel du Sage Berger, une sorte d’Autorité dans la société canine, celui qui peut donner des réponses lorsque l’improbable semble ne pas être impossible.
En effet Bégueule, a eu une nouvelle niche offerte par ses « humains » (c’est ainsi que chaque être humain est dénommé, dans l'ensemble ils n’ont pas de noms). Mais il ne peut y dormir sereinement, car il entend des voix, ou plutôt une plainte si déchirante, si effrayante, qu’il préfère encore dormir dehors et sous la pluie que de passer du temps dans sa belle, mais hanté, niche.
Ses amis sus cités, s’ils n’en sont pas moins septiques, décident quand même de faire appel à ce que la société canine a de plus respectable pour les aider à résoudre l’énigme.
Voilà pour le pitch de base, l’ensemble du volume compilant ce genre d’histoires, avec en toile de fond ce qui paraît être un fil conducteur.
Le paranormal semble s’insinuer de plus en plus dans la société des humains, et dans celles des animaux, monstres difformes, ectoplasmes, revenants et zombies, sociétés secrètes et sorcières, sociopathes et esprits vengeurs. Sommers Hill n’est une banlieue paisible et lumineuse que de loin, et les aventures de notre bande de détectives de l’étrange iront de Charybde en Scylla.
Le ton de l’œuvre n’est donc pas enfantin. Si le côté anthropomorphique de la société canine peut laisser supposer un traitement léger et gentillet de ce genre d’aventures, il n’en est en fait rien. Le gore est de mise, les émotions y sont intenses, brutales parfois, les situations souvent désespérées et haletantes, le danger omniprésent, et le châtiment jamais très loin. Point de fausse bonne morale, la réalité, dans cette histoire est quelques fois crue et cruelle, le frisson présent.
Mais ce côté adulte et sombre est tempéré par un humour omniprésent ; certes pas de quoi se taper les cuisses à en pleurer, mais chaque protagoniste ayant son caractère et ses petits travers, les dialogues et jeux de mots sont parfois croustillants (Carlton, le ronchon de service possède un cynisme ravageur par exemple).
Côté dessins, c’est un travail de peintre auquel nous avant à faire, chaque case est une aquarelle magnifiquement ciselée. Les lieux fréquentés par nos amis baignent tantôt dans une atmosphère bucolique et champêtre parfaitement restituée pour basculer la page d’après dans une ambiance sombre et glauque, le tout parfaitement maitrisé.
Bête de Somme est une série immédiatement passionnante, sa grande force est de réussir à alterner un récit aux accents champêtres et décontractés, à des phases particulièrement inquiétantes, voir glaçantes. Le groupe d’amis aux caractères bien trempés, aux personnalités attachantes, aux aventures hors normes trépidantes et émouvantes, forme un ensemble fort et bien construit. L’ombre qui plane sur Sommer Hills ne fait que grossir, nul doute que l’avenir de nos amis poilus ne sera pas toujours doré, ils auront à apprendre maintes choses dans leur formation au paranormal pour s’en sortir.