Mär
5.9
Mär

Manga de Nobuyuki Anzai (2003)

Vous savez ce que c’est, vous, l’expertise ? C’est le fait d’être tellement rompu à un exercice en particulier qu’on peut l’accomplir les yeux fermés, là où le commun des mortels peine à s’en acquitter. Il est des mangas que j’aimerais effectivement lire les yeux fermés. Je prends tout ce qui vient, tout ce qui me tombe sous la main, espérant naïvement qu’en tâtant l’intérieur d’une fosse sceptique, je puisse un jour en extirper un lingot d’or. Statistiquement, ça se peut, mais c’est rare.


Je suis un expert donc, de la même trempe de ceux qu’on invite sur LCI ; c’est vous dire quel gars sérieux je suis. Et c’est donc avec rigueur que je me suis acquitté de cette nouvelle lecture de Shônen. Et ce Shônen-ci, en deux pages – en deux pages seulement – je l’avais entièrement lu. La remarque a quelque chose de singulière puisque Mär compte pas moins de quinze tomes – que de papier gâché soit dit en passant. Mais un regard d’expert, ça ne se trompe pas. Parce que, quand ça en a l’apparence, quand ça en a la texture, et quand ça en a même l’odeur… eh bien c’en est. Ergoter à l’envi jusqu’à la déraison n’y changera rien : Mär – et cela s’aperçoit d’un coup d’œil à peine – est un Shônen écrit sans inspiration ni même une idée propre pour le structurer. Un autre. Et celui-ci a en plus le culot de maculer le top 100 Shônen SensCritique quand d’autres Shônens illustres tels que Bio-Meat : Nectar ou encore Angel Densetsu ne sont pas même considérés d’un regard.


Je les ai lus ces quinze foutus tomes, et un regard rétrospectif m’amène à devoir considérer que, ce que j’ai écris dans cette critique n’aurait varié que de très peu si je m’en étais seulement tenu à deux pages. Je suis un homme prosaïque vous savez. Quand on me présente un ciel chargé de nuages noirs qui s’approchent vers moi, et je sors mon parapluie avant que les premières gouttes d’eau ne me tombent dessus. Aussi, à peine avais-je défloré l’œuvre que mes crocs étaient sortis de derrière leurs babines.


C’est toujours épineux pour moi de baver sur le dessin d’un mangaka. Moi-même n’ayant une patte que très approximative, j’ai conscience qu’avec si peu d’assises pour juger le trait d’un auteur, il me faut la fermer sur le sujet. Aussi, quand un dessin me déplaît, par pudeur, je me montre évasif, nuancé et même parfois trop clément. Mais quand je vois ça, il n’y a plus de réserve qui tienne, je tire à feu nourri quitte à ce qu’une balle me revienne en pleine gueule. C’est sans doute l’un des dessins les plus indistincts de tout le paysage manga que j’aie pu contempler ici. Des traits grossiers, dessinés sans forme ni imagination, sont ici pareils à ce qu’on peut attendre des esquisses d’un manga générique. Le trait, à mesure qu’il s’affinera, épousera les formes de celui d’Hoshin, la qualité en moins.


Et le tout n’en sera que plus insupportable alors que les grimaces forcées des protagonistes nous étoufferont à compter du premier chapitre. Car en matière de mangas, il est des auteurs qui ont de l’humour en en font même commerce pour certain, puis il y en a d’autres qui s’imaginent que faire s’agiter ses personnages alors qu’ils parlent forts et multiplient les têtes débiles – reprises dans d’autres œuvres – suffit à faire rire. Peut-être qu’un lecteur, en étant excédé de ce qu’il voit, pourrait, à force de fatigue nerveuse, laisser échapper un rire psychopatique désespéré. Car si ce n’est cette éventualité, je ne vois pas qui pourrait rire des outrances calculées et mièvres de son auteur.


Mär nous narre un Isekai fainéant où son protagoniste faussement exubérant et écrit avec deux lignes de caractère, choisit de traverser le portail le menant à un monde de féeries. Ah, les Shônens oniriques… j’ai donné , merci bien. Et pourtant, je ne suis pas rétif au principe. Même que je suis franchement ouvert à ce genre de trame. Mais c’est toujours si mal exécuté. Et Mär, on le sait dès les premières pages, n’a certainement pas l’intention d’innover d’une quelconque manière que ce soit. Nobuyuki Anzai, l’auteur du forfait, a cherché à vivre des rentes éditoriales d’un Dragon Quest pour mieux servir d’intermédiaire entre ce prédécesseur et d’autres futurs imitateurs. La construction de l’univers ? Elle s’improvisera d’un chapitre à l’autre et ce, lorsqu'elle prendra seulement la peine de s'ébaucher. Merci pour elle.


Mär est une œuvre dont je ne peux même pas dire du mal. Non pas qu’elle soit au-delà de tout soupçon – oh ça non alors – mais parce que j’ai déjà écrit mille fois l’énumération des manquements. Les combats brouillons, l’histoire écrite sans une once d’inspiration – un classique – des personnages dépourvus de la moindre aspérité et l’absence flagrante du moindre contenu pouvant suggérer ne serait qu’un espoir d’originalité. Mär, comme les innombrables Shônens sortis de la même veine sclérosés, sont des paniers de quête. Vous savez, ces paniers qu’on passe à la fin de la messe pour qu’on y mette les sous. Mais pourtant, cette messe…. c’est la même chaque dimanche ; ça ne se renouvelle jamais. Et malgré cette prévarication ostensible, le clergé persiste à exiger de la thune sans même faire un effort pour donner envie d’assister à l’office. Ceux-là, ils vivent de l’aliénation d’une foule bêlante qui leur est acquise. On aura beau jeu de se moquer des fidèles d’un quelconque culte que ce soit, le fait de s’astreindre à des Shônens aussi lamentables participe du même phénomène. À l’exception près que personne n’a l’excuse de la tradition ou de la foi pour justifier un choix de lecture aussi désastreux.


Nobuyuki Anzaï, quand il nous soumettait Mär, ne voulait pas écrire une œuvre qu’il aurait laissé maturer dans son esprit depuis une décennie. Non ; à chaque ligne qu’il laisser filer sur le papier, il dessinait un plan d’investissement en quinze tomes. En s’astreignant à un scénario qui n’a semble-t-il jamais pris la peine d’être écrit, l’auteur n’avait pas même l’excuse de la qualité de son dessin pour justifier le temps passé sur son œuvre. Quand on lit Mär, on peine à croire que quelqu’un se soit investi dessus des heures durant à raison de chaque planche… et c’est pourtant le cas. Aussi, qu’on me pardonne si les louanges ne m’échappent que très difficilement du bout du stylo.


Du milieu du J-RPG, le mangaka n’a apparemment retenu que la présence de monstres, de combats rébarbatifs bien mal inspirés et d’une mascotte agaçante. Négligemment, tout distrait qu’il fut, il omit malencontreusement de prendre en compte la construction d’un l’univers et l’élaboration d’un enjeu véritable associé à l’intrigue. C’est là tout le drame de la chose quand on sait que Mär n’est finalement qu’un J-RPG pondu sur papier, un J-RPG dont nous sommes ici les spectateurs fatigués et non pas les acteurs enthousiasmés. Mais ça aura tout de même duré plus de deux ans de parution. Ça en dit long sur ses lecteurs ; et ça n’en dit rien de bon.

On peut éventuellement intéresser la lecture en buvant un coup chaque fois que « Ärm » paraît dans les dialogues ou la narration ; mais je ne pense pas que tout l’éthanol de cette terre suffirait pour se prêter au jeu jusqu’à la dernière page. Parce que l’auteur a un concept – un seul – et il l’use et en abuse comme si son monde ne tournait qu’autour de ça. Et quel concept fumeux et fainéant par-dessus tout…


À la fin – car Dieu merci ça se termine – les gentils ont gagné sans froncer un sourcil, tout est rentré dans l’ordre, et les sourires auront été dispensés à raison de treize à la douzaine pour la peine.


J’ai soupiré à chaque page que j’aie pu lire. J’ai soupiré tant et tant que l’observatoire des gaz à effet de serre de l’ONU m’a désigné comme principale source d’émission de carbone en ce bas monde. C’est vous dire à quel point ces mangas sont nuisibles pour l’environnement en plus d’être délétère pour l’esprit. Car un enfant qui s’essaye à une pareille déjection en guise de lecture n’étend pas son horizon créatif ; il cloisonne son imagination en la reléguant à des variables sommaires. Les Shônens navrants sont un crime contre l’humanité car ils brident le sens créatif des plus jeunes. Or, on le sait, un enfant qui n’a pas d’imagination deviendra un bien piètre adulte dont la pensée sera plus étriquée que jamais. Je le dis et je le pense, il vaut mieux scruter un monochrome six heures durant que de s’essayer à une lecture de Mär ; car au moins, dans ce scénario, l’esprit a au moins l’occasion de pouvoir vagabonder.

Josselin-B
2
Écrit par

Créée

le 25 juil. 2024

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Josselin Bigaut

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