Je vais rentrer dans le moule le plus complet et j'assume totalement, j'adore Maus ! D'ailleurs, je ne vois même pas comment on peut prétendre aimer la bande-dessinée et ne pas aimer Maus. Car en 1981 la BD a fait un bon de géant grâce à l'accès au grand public d'un artiste visionnaire comme la scène underground en génère quelques uns. Quelqu'un qui a parfaitement compris son médias : Art Spiegelman. En plus d'offrir une œuvre d'une rare puissance dans le fond, la forme a également été des plus soignées.
On nous bassine toujours avec l'animalisation des protagonistes, mais c'est ne pas voir le véritable travail de fond là ! Réfléchissons sur la taille des traits, sur les plans, sur l'humanisation de certains éléments, sur les dialogues, sur la transcription même de l'histoire. Art Spiegelman s'est demandé avec l'ensemble de son âme d'artiste : "Puis je mettre ce récit en BD ? Peut il vivre sous ce format ?". L'agencement des cases mettant ainsi fin à tout mouvement réel pour ne devenir qu'une suite d'instant que l'oeil humain recompose, est ce la meilleur façon de décrire ceci ? La vie trop complexe ne peut qu'être simplifiée ou exagérée dans cette œuvre, Spiegelman le dit lui même. Et je lis ici et là sur le net des gens qui protestent disant que Spiegelman simplifie trop les gens en disant "allemand = chat" ... Mais bon dieu, vous n'avez donc pas lu le livre ? Deux fois il le dit qu'il est courant de ce soucis, il va donc essayer d'apporter des nuances, de la réalité à ce travail.
Cette vérité nait du fait que plusieurs histoires soient dépeintes, deux en réalité. Celle du présent : Art Spiegelman qui demande à son père Vladeck de lui raconter sa vie pendant la seconde guerre mondiale, comment il a pu survivre à ceci. La seconde est dans le passé, c'est ce récit là.
Mais le génie de Spiegelman, c'est qu'à part son dessin, rien n'est tout noir ou tout blanc. Dans le passé son père est peint successivement comme un homme généreux et un avare manipulateur. Il a survécu à l'enfer, il a du subir le nazisme, l'humanité dans ce qu'elle a de plus laide, et pourtant, dans le même temps, il s'est révélé manipulateur, parfois égoïste, certes, toujours futé et doué, mais véritablement héroïque ? Rien n'est moins sur.
Dans le présent, il représente le vieillard qui commence à perdre la tête étant ainsi énervant, exaspérant au possible, mais aussi source de pitié. Or Art complexifie cette situation en ajoutant la nouvelle femme de son père, Mala. Cela nous permet d'avoir un référenciel, quelqu'un qui le subit au quotidien. Mais aussi de faire un écho entre ce mariage sans joie du présent, avec l'amour passionné (et pourtant intéressé) envers Anja durant la guerre.
On gagne aussi en complexité grâce au personnage même d'Art Spiegelman, qui contrairement à ce qu'il avait promis à son père, met en scène leur dialogue, leurs vies quotidiennes. On ressent à la fois de la colère et de l'empathie pour Art, forcé d'être gentil avec quelqu'un qu'il aime et à qui il en veut pourtant.
Vladeck ne laisse jamais neutre. Ca scène de racisme envers un noir, alors qu'il a dût subir la barbarie nazie est révoltante. La victime peut elle être à l'origine de futur coupable ? La question se pose. Comment réagir ? Comment juger ceci ?
Pourtant le véritable héros, n'est ce pas Art Spiegelman plutôt que Vladeck ? N'est ce pas celui qui doit survivre au survivant ? Alors qu'il se souvient que depuis sa naissance son père a toujours pris un malin plaisir à lui montrer qu'il était le meilleur, plus fort dans tous les domaine que son fils. Alors qu'Art s'en veut de ne pas avoir vécu la seconde guerre mondiale. Alors qu'il se prend à être jaloux de son grand frère, mort 5 ans avant sa naissance. Alors qu'Art maudit sa vie actuelle, ou du moins l'héritage du passé. Ressentant mélancolie et culpabilité et aussi un profond rejet du judaïsme finalement.
Une haine dévorante qu'on peut, peut être, lire entre les lignes. Quii en veut à son père d'être à ce point le stéréotype du juif avare. Qui en veut aux rites juifs qui l'ont obligé à subir une épreuve horrible lors de l'enterrement de sa mère. Qui en veut aussi à lui même de ne pas avoir vécu Auschwitz. Qui s'en veut d'être juif et de devoir agir en juif, c'est à dire se marier avec une juive notamment.
Au final, plus que la haine, la mélancolie, le rejet, la culpabilité, ce qui caractérise Art Spiegelman, le véritable héros de ce récit, c'est d'être paumé. De trouver des questions mais jamais des réponses.
Et c'est parce que Maus pose plus de questions qu'elle ne donne de réponse que cette œuvre est magnifique.