Dans le Paris de la Belle Époque, Paul tombe amoureux de Louise. Les deux amants se marient mais la Grande Guerre éclate et à peine la cérémonie est elle finie que Paul part sur le champ de bataille. Ne supportant plus la boucherie incessante, il déserte et rejoint son épouse qui le cache. Mais Paul s'ennuie tant et si bien qu'il finit par se travestir pour pouvoir a nouveau sortir de chez lui sans attirer les soupçons.
A l'origine de l'album de Chloé Cruchaudet, il y a une histoire vraie rapportée par deux historiens dans un précédent ouvrage et dont les faits sont, une fois n'est pas coutume, parfois plus improbables que ce que la fiction en a fait (on raconte ainsi que le « vrai » Paul a fini champion de France de parachutisme féminin) bien que l'auteur ait choisie de se limiter aux faits les plus « crédibles » pour ne pas encombrer son histoire. En résulte une œuvre surprenante et complexe qui parvient à traiter plusieurs thèmes dans une grande maîtrise visuelle.
Il y a d'abord l'histoire d'un couple, de sa naissance dans les bals populaires du début du XX ème siècle où une jeunesse insouciante s'observe et se fait la cour jusqu'à sa destruction progressive par l'incapacité à résister à la névrose de Paul. Pas de grands sentiments ni de romantisme exacerbé ici mais plutôt le quotidien et sa banalité, ce qui n'empêche pas de laisser apparaître par instants des moments de tendresse et de complicité dans ce couple qui a décidé de s'aimer coûte que coûte.
Mais il y a aussi la guerre et ses ravages sur les hommes. Paul, partit la fleur au fusil et convaincu de la nécessité de servir sa mère patrie, découvre bien vite la réalité de cette guerre qui allait marquer un tournant dans l'histoire de l'humanité. Loin d'être le combat héroïque que l'on promettait avant les combats, la réalité des tranchées dévoile toute son horreur faite de boue et d'excréments, où les notions futiles d'héroïsme et de virilité s'effacent pour laisser la peur envahir le plus robuste des soldats et où on l'on peut recevoir d'une seconde à l'autre sur le visage la cervelle du camarade a qui l'on faisait des promesses quelques instants plus tôt. Paul fuira mais ne parviendra pas pour autant à laisser la guerre derrière lui et tout au long de sa vie les images de cet enfer sur terre reviendront à lui en toute occasion. Toute la partie dans les tranchées est à part du reste de l'album. Ainsi, les couleurs deviennent beaucoup plus sombres, tout comme le dessin devient morbide. Ces quelques pages forment une sorte de cauchemar qui n'en est malheureusement pas un. Aussi, les apparitions des fantômes du passé à plusieurs reprises donnent un léger côté fantastique à l'ouvrage.
Également, il y a la question du travestissement de Paul. En devenant Suzanne, il y a chez lui la volonté de mener une vie nouvelle. Ayant découvert l'horreur et ayant ainsi pris conscience de l'absurdité de sa vie (il répète constamment à sa femme qu'elle « ne sait pas vivre » et lui reproche de travailler), il veut tout chambouler, tout changer et ne plus redevenir ce qu'il était. Ainsi, ayant décider de renier celui qu'il était, il se lance corps et âmes, avec la passion qu'on les désaxés quand il s'agit d'excès, dans les expérimentations les plus diverses, notamment sexuelles. Ces pages permettent à Chloé Cruchaudet d'évoquer la période des années 20 où l'on souhaite oublier la décennie précédente et où souffle un léger vent de liberté dans certains groupes. Mais tous les excès ne guériront pas Paul de ses blessures intimes et son comportement finira par détruire son couple et sa vie.
Ainsi, en évoquant le Paris des années folles à travers le parcours de ce soldat devenu travesti, Mauvais Genre décrit comment la Guerre détruit les hommes au delà du champ de bataille et comme elle finit par avoir raison de tout, même de l'amour inconditionnel qu'avait Louise pour cet homme qui n'était ni un lâche ni un héros mais une énième victime de cette absurdité.