Ce tome est le dernier de la série. Les 4 tomes forment une histoire complète : il faut donc avoir commencé par le premier de la série. Il comprend les épisodes 19 à 24, initialement parus en 2017/2018, écrits, dessinés et encrés par Matt Kindt, avec une mise en couleurs réalisée par Sharlene Kindt.
Le sous-marin gît couché sur le fond, sans plus d'énergie pour pouvoir emmener ses occupants plus loin. À bord se trouvent Mia Hardy et son frère Raj Hardy, Q., Roger, Lily et Bob. Mia sent qu'elle est proche d'accepter que ce soit bientôt la fin. Les capteurs du sous-marin détectent une activité sur la coque : des drones téléguidés se déplaçant à l'extérieur. Alain est en train de les piloter depuis la surface pour qu'ils s'accrochent sur les ports externes et transfèrent leur énergie au sous-marin. L'opération fonctionne et le sous-marin retrouve une autonomie suffisante pour atteindre la première station intermédiaire. L'équipage s'interroge pour savoir si c'est là qu'Aaron s'est rendu. Alors que le sous-marin s'élève, ils contemplent les restes du complexe sous-marin, détruit, devenu la tombe de Hari Hardy, déjà en train d'être colonisé par la faune sous-marine. Les indices sur l'assassinat d'Hari Hardy restent au fond de l'eau. Mia se demande si la réponse à l'identité de l'assassin ne se trouve pas à la surface. Phil ou Blake ? Le motif serait alors directement lié au vaccin contre le virus qui sévit à la surface du globe : en tirer profit en le commercialisant, ou en le détruisant ?
À nouveau, il revient une bribe de souvenir à Mia Hardy : Phil et Blake discutant de l'abandon par l'équipe d'Hari Hardy, de la recherche spatiale au profit de la recherche sous-marine. Mia se tourne vers Bob et lui demande s'il a une idée du motif pour lequel Hari Hardy a été assassiné. Bob lui raconte comment il en est venu à travailler pour Hari Hardy, quelle a été sa véritable motivation, comment Hari l'a accueilli comme collaborateur, et quelles missions il exécutait pour Hari. Le sous-marin atteint enfin la station intermédiaire et Bob y pénètre le premier, l'arme au poing. Il essaye de détecter si Aaron s'y trouve ou non. Il n'en trouve pas trace : si Aaron est parvenu jusqu'ici, il a dû en repartir. Les autres membres de l'équipe pénètrent à leur tour dans la station intermédiaire. Au bout de quelques temps, la température commence à y augmenter, et l'air à se raréfier. Mia Hardy va se dégourdir les jambes dans une conduite de maintenance. Elle y retrouve Q. Lui aussi lui raconte comment il en est venu à travailler pour son père Hari Hardy.
Le tome 1 commençait avec le mystère de l'assassinat d'Hari Hardy : quel était le motif ? Plus pressant encore, qui est le coupable ? Matt Kindt a présenté son récit comme étant l'enquête de Mia Hardy pour élucider ce crime et identifier le coupable. C'est ce qu'attend le lecteur depuis le premier tome. Le scénariste tient sa promesse implicite : le coupable est bien désigné, ainsi que sa motivation, et la façon de commettre le meurtre. Pour autant, la structure du récit et la narration donnent l'impression au lecteur que cette résolution est presque secondaire. Elles ne mettent pas particulièrement en avant la perspicacité ou les capacités de déduction de Mia Hardy, ni le machiavélisme du criminel. C'est comme si l'essentiel du récit se trouve ailleurs. En effet, les 3 tomes précédents ont donné l’impression que Mia Hardy n'a pas progressé d'un iota, qu'elle se laisse porter par les événements, à chaque fois emmenée dans une autre direction. Ce tome-ci ne déroge pas à cette impression puisqu'environ un tiers est consacré à l'histoire personnelle des membres de l'équipe d'Hari Hardy, histoire déjà racontée par Roger dans le tome 2. Mais à quoi joue le scénariste ? Le lecteur se retrouve un peu comme les personnages : enfermé avec eux dans le sous-marin, pas bien sûr qu'ils pourront regagner la surface, avec pas grand-chose d'autre à faire que d'écouter Bob parler et raconter son histoire. Sa version de son engagement vis-à-vis d'Hari Hardy diffère un peu de celle qu'en a donné Roger : elle n'est pas contradictoire, elle ne contient pas des révélations tonitruantes qui font reconsidérer le sens de ce qu'a raconté Roger, mais elle comporte des éléments supplémentaires qui modifie significativement le point de vue.
D'une certaine manière la version de Bob de son engagement vis-à-vis de l'explorateur montre le prix à payer, ou une partie de ce prix, pour que les ambitions d'Hari Hardy deviennent réalité, et ce prix, c'est Bob qui le paye en exécutant des basses besognes. Toujours avec ces dessins présentant une apparence de semi-esquisse, Matt Kindt montre un baroudeur, un agent très spécial avec le permis de tuer, effectuant des missions au péril de sa vie, éliminant les ennemis. La narration visuelle devient celle d'une aventure d'agent secret qui n'a pas froid aux yeux. Puis c'est au tour de Q. de s'épancher auprès de Mia Hardy, de rendre compte de sa vie, également la partie avant de rencontrer Hari Hardy. L'artiste fait montre d'une habile élégance pour montrer les missions d'une autre nature menées par Q., ainsi que son expérience en prison : la tonalité est différente de celles des missions de Bob. Le processus de réminiscences s'interrompt avec une troisième salve de souvenirs, ceux de Roger. Pour le reste, c’est-à-dire les rois quarts de ce tome, Matt Kindt met en œuvre les conventions de genre attendues pour un récit sous-marin : groupe d'individus qui commencent à angoisser, confinés dans un habitacle dont les fonctions vitales s'amenuisent, suspicion et caractères qui s'échauffent, choix à faire sur l'individu qui va devoir se sacrifier pour le groupe, sortie en profondeur à haut risque, etc.
En tant que dessinateur, Kindt est tout aussi compétent comme metteur en scène et comme directeur d'acteurs. Le lecteur observe deux membres de l'équipe en venir aux mains, rejoints par deux autres qui essayent de s'interposer. Il peut lire la tension dans les expressions de visage, dans les postures corporelles. S'il y prête attention, il remarque aussi que l'artiste utilise avec discrétion des mises en page particulières pour accentuer une ambiance ou une atmosphère. Des cases de la largeur de la page pour montrer que les passagers sont tassés les uns sur les autres dans le sous-marin, ou au contraire pour montrer l'espace dont bénéficient les rescapés du Arnhem. Des cases avec des espaces entre les bordures remplies en noir (au lieu du blanc habituel) dont l'épaisseur va en augmentant de page en page pour montrer une sorte de rétrécissement de l'espace vital. Une alternance de cases de la hauteur de la page, ou de sa largeur, pour montrer toute la distance à parcourir par Mia Hardy pour atteindre la surface, ou au contraire sa sensation de ne pas avancer d'un pouce.
Puis, il y a des choses inattendues. Au cours de l'épisode 21, Hokulani Hardy raconte l'histoire d'une épave, celle du navire Arnhem, et de ses survivants à Roger. Cela à l'air d'être une petite histoire gratuite, une discussion à bâton rompu pour passer le temps, à l'occasion d'un nouvel éclairage sur la relation entre elle et Roger, dans l'ombre d'Hari Hardy. Il y a également la très longue remontée de Mia Hardy vers la surface, certes une séquence pleine de suspense (Parviendra-telle jusqu'à la surface ? Plus la séquence dure, plus la probabilité diminue), et un ultime souvenir de Mia enfant à l'occasion d'un repas avec ses parents. Le lecteur apprécie la diversité visuelle qu'apporte ce vieux galion cassé en deux par la tempête en 1662, l'habit d'apparat du capitaine du navire secourant les rescapés après quelques semaines, la tension du corps de Mia Hardy toute entière tendue vers le haut, la marche sur un long ponton étroit de nuit. En son for intérieur, il sait que ces séquences ne sont en rien gratuites et qu'elles enrichissent la thématique du récit. Pour autant ces liens logiques ne sautent pas aux yeux. Lorsque les rescapés du Arnhem mangent un volatil nommé Dodo, Hokulani Hardy ironise sur le fait qu'ils ne se rendent pas compte qu'ils deviennent les derniers êtres humains à avoir vu ce volatil avant l'extinction de sa race. Le lecteur se dit qu'il peut voir un lien avec l'incapacité de la race humaine à prendre conscience de la destruction qu'elle sème, comme par exemple le virus en train de décimer la population à la surface. La discussion entre Blake Mortimer et Philip Kay évoque la capacité de la Terre à soutenir la vie humaine, et en particulier le nombre d'individus à partir duquel ce n'est plus viable. Le souvenir du repas avec ses parents rappelle à Mia qu'ils n'avaient pas exactement les mêmes points de vue. Étrangement, la valeur morale exprimée par Hari Hardy semble plus discutable que celle exprimée par son épouse, alors que tout du long du récit, ce sont ses qualités à lui qui ont été mises en avant, en particulier tout ce qu'il a apporté aux membres de son équipe. La conclusion est sans appel sur la valeur prônée par l'auteur.
La lecture de ce dernier tome est aussi facile et agréable qu'elle est déroutante. L'auteur tient ses promesses : révéler l'identité du meurtrier d'Hari Hardy, montrer le sort des membres de l'équipage de la base sous-marine, évoquer le sort de l'humanité se débattant avec une pandémie virale. Dans le même temps, la construction du récit et sa tonalité laissent à penser que le cœur du récit se trouve ailleurs. Cela incite le lecteur à s'interroger sur des séquences qui semblent annexes à l'intrigue, à se forger sa propre opinion sur l'enjeu véritable. Dans une interview, Matt Kindt a déclaré qu'il a conscience que toutes ses œuvres seront jugées par rapport à Mind MGMT, création qu'il doute pouvoir surpasser dans sa carrière. De ce point de vue, Dept. H n'est pas du niveau de Mind MGMT. Mais prise pour elle-même, cette histoire flotte à des centaines de mètres au-dessus la majeure partie de la production de comics et de bandes dessinées.