Awful Sound (Oh Eurydice)
Les fins ne sont jamais faciles pour de grandes sagas, aussi bien au cinéma qu'en littérature, sur le petit écran comme en bande dessinée. Et alors quand l'histoire s'attache à philosopher sur les...
le 14 sept. 2021
Ce tome fait suite à Black Science, Tome 8 : Le banquet des Lotophages (épisodes 35 à 38) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome car il s'agit d'une histoire complète en 9 tomes. Ce tome contient les épisodes 39 à 43, initialement parus en 2019, écrits par Rick Remender, dessinés et encrés par Matteo Scalera, avec une mise en couleurs réalisée par Moreno Dinisio. Il comprend les couvertures originales, ainsi que les couvertures variantes réalisées par Kevin Maguire, Lewis Larosa, Kim Jung Ji, Andrew Robinson (*2), Matteo Scalera.
Grant McKay et son épouse Sara sont enfin réunis avec leurs enfants Pia et Nathan. C'est grâce à Shawn et Krolar, aidés par Shaman et Ward. En regardant les écrans de contrôle, Pia se rend compte que l'Infinivers n'est plus. Grant McKay explique tant bien que mal que c'est de sa faute, parce qu'il a créé un trou de ver sans faire exprès. Kadir Aslan fait son entrée à ce moment-là, accompagné par Chandra. Grant McKay réagit immédiatement en le menaçant de son arme et en expliquant à Pia que Kadir a tué Brian, son frère. Aslan explique qu'il a été contraint à cette extrémité pour sauver le reste du monde. Il suggère à McKay d'arrêter de le tenir en joue car lui seul peut sauver l'Inifnivers. Lui seul sait comment tuer Doxta. C'est au tour de Nathan de s'emporter contre Aslan. Ce dernier lui explique qu'il l'a sauvé un nombre de fois incalculable et qu'il s'est occupé de lui chaque fois que son père l'avait abandonné.
Kadir Aslan continue de s'adresser à toutes les personnes présentes en peignant le tableau de Grant McKay : un individu obstiné et brisé qui ne supporte pas quand quelqu'un se conduit en adulte et prend des décisions d'adulte pour le bien de la communauté, McKay qui a été un piètre père, un piètre scientifique, un piètre mari, et un piètre être humain. Shawn fait remarquer que le karma de Grant McKay n'est pas si mauvais que ça, car même si les conséquences de ses actions peuvent être calamiteuses, ses motivations étaient bonnes. Kadir Aslan se rend à l'évidence : la majorité des personnes présentes condamne son action. Pour autant, McKay ne souhaite pas l'exécuter. Il se contente de l'obliger à pénétrer dans l'immeuble qui a abrité les entreprises Block, avec Chandra. Nathan éprouve des remords à l'idée de ce qui va leur arriver. Son père lui rappelle le conte du scorpion et de la grenouille qui traversent une rivière. Finalement, Kadir et Chandra pénètrent dans le bâtiment, et se soutiennent en se tenant la main. Sara McKay explique à ses enfants ce qui lui est arrivé à elle et à Grant pendant le temps où ils ont été séparés de leurs enfants. En particulier, ils se sont souvenu de ce qui nourrissait leur amour et se sont rabibochés. Elle regrette que cela ait mené à la destruction de l'Infinivers. Shawn fait observer que l'Infinivers était une construction artificielle, une fiction holographique consumant ceux qui l'utilisait. Pendant ce temps-là, Grant McKay a préparé des plats de pâtes et suggère à tout le monde de passer à table.
Comme pour toute série comptant plusieurs dizaines d'épisodes, l'attente du lecteur est élevée concernant la fin. Il veut plus de tout ce qu'il a aimé au fil des tomes, et des révélations qui viennent résoudre les derniers mystères et offrir une vue globale qui donne du sens à toutes les péripéties et tribulations. C'est beaucoup demander et peut-être déraisonnable. D'un autre côté, c'est bien la même équipe artistique, donc il n'y a pas de raison que la narration visuelle soit moins bonne. Ce tome est très centré sur la personne de Grant McKay, et Scalera & Dinisio lui donnent une personnalité impressionnante. Le lecteur reconnaît sans difficulté la forme de son nez : pointu et allongé, pourtant sans donner une impression de caricature. Tout du long de ces 5 épisodes, le personnage passe par des états émotionnels très variés : colère, agressivité, gentillesse, désespoir, bonheur, joie de vivre de tous les instants, etc. Le lecteur se rend compte que son visage et ses postures sont très expressifs, rendant bien compte de l'état d'esprit. Même si les autres personnages restent secondaires à des degrés divers (nettement moins secondaire pour Sara McKay), ils disposent tous d'une morphologie et d'une allure qui les rend aisément identifiables, tout de suite reconnaissables.
Comme dans les tomes précédents, Rick Remender se repose sur les compétences du dessinateur pour prendre en charge une importante partie des informations de la narration. Avec une quarantaine d'épisodes au compteur, le lecteur a appris à repérer les raccourcis techniques de l'équipe artistique : passage en mode plan poitrine ou gros plan pendant les dialogues, avec des jolis camaïeux pour habiller les fonds de case. D'une manière générale, le lecteur retrouve l'inventivité et l'énergie de ces 2 artistes. Le scénario jouant sur les contrastes, les personnages se retrouvent à plusieurs reprises dans des situations d'un quotidien banal que les dessins savent rendre confortable et rassurant : Grant apportant ses 2 plats de pâtes fumants (on aimerait pouvoir en manger), Grant rentrant dans sa chambre éméché alors que sa femme sur l'attend sur le lit également passablement éméché (on aimerait…), Grant rattrapant sa femme dans les bras alors qu'elle vient de trébucher, Sara douillettement lovée dans le canapé en sirotant un verre de vin, etc. Ils sont tout aussi convainquant dans les scènes d'action : le groupe de 8 individus formant la ligue anarchiste des scientifiques s'élançant dans les airs au-dessus de la ville avec leur jetpack, Grant s'emparant d'un pistolet laser pour menacer Kadir Aslan et Chandra dans leur bureau, Grant fonçant dans le tas avec sa voiture, sans oublier les explosions qu'il provoque. Le spectacle visuel est au rendez-vous toujours aussi intense que dans les épisodes précédents.
Encore une fois, le voyage offert par ces épisodes constitue un divertissement de premier choix pour lui-même. Mais le lecteur attend également une fin qui fasse sens, la fin du voyage vers le centre de l'oignon, la découverte du sens de cet infinivers. Après la lecture des 8 tomes précédents, il s'attend également à ce que le scénariste ne lui donne pas ce qu'il attend, ou tout du moins que la forme sera différente de celle qu'il a pu anticiper. Effectivement c'est le cas. Le lecteur doit bien s'attendre à ce que cet Infinivers recèle encore bien des possibilités, à ce que la fuite en avant de Grant McKay ne débouche pas sur un état stable. Rick Remender explore encore un peu plus loin le thème central de la famille, plus particulièrement de la relation de couple avec celle de Sara et Grant. Le lecteur peut à nouveau regretter que le récit reprenne une forme très centrée sur Grant McKay, au détriment de Sara qu'il aurait finalement bien aimé connaître mieux. Grant McKay ne change pas de caractère miraculeusement : il n'est pas transformé par la série d'épreuves qu'il a traversées, mais il a évolué, en cohérence avec sa nature profonde. C'est donc toujours un rebelle, rétif à l'autorité sous toutes ses formes. C'est en cela que l'auteur peut le qualifier d'anarchiste. Mais il n'a pas de proposition concrète d'une autre forme de société, d'une autre structure. De ce point de vue, le terme d'anarchiste est un peu utilisé à la légère.
Le récit continue également sous la forme d'une intrigue, sous la forme d'une opposition entre Grant McKay et celui qu'il considère comme son ennemi. Le lecteur se rappelle qu'il ne peut pas prendre Grant McKay comme un héros parfait, ni même comme un individu sur le chemin pour devenir un héros parfait. Il recourt toujours à la violence, il continue de foncer dans le tas sans réfléchir aux conséquences, il continue d'entraîner son épouse dans des situations intenables, et à causer la mort de personnes autour de lui. McKay continue d'être un rebelle. Le scénariste se montre assez cruel envers ce modèle de personnage principal romanesque. Il indique que l'individualité relève de l'hubris : un vestige caudal, un reste d'un instinct de survie suranné. Il le confronte à un monde où il a obtenu tout ce qu'il voulait, et pourtant McKay n'est toujours pas satisfait parce qu'il reste soumis à la volonté d'un autre. il intègre une pointe d'humour cruelle quand McKay se retrouve sous le joug d'une intelligence artificielle domotique qui ne veut que son bien, ou quand il se retrouve un rouage d'une entreprise offrant un cadre épanouissant et constructif. Il se montre aussi cruel envers son lecteur en continuant à montrer d'autres réalités potentielles, d'autres fins aux aventures. Il faut du temps à McKay et au lecteur pour accepter la résolution du récit, pour accepter la proposition finale qui s'adresse à l'adulte en chaque individu, et plus ni au parent, ni à l'enfant.
Ce dernier tome vient clore le récit en toute cohérence avec ceux qui l'ont précédé. Le lecteur ne doit pas venir en cherchant une révélation finale qui éclairera tout. Matteo Scalera et Moreno Dinisio continuent d'assurer une narration visuelle impressionnante, portant bien le récit, lui donnant de la consistance. Rick Remender laisse son personnage principal continuer sa vie après la dernière page, sans qu'il ne soit devenu parfait, sans qu'il ait tout résolu, mais avec une acceptation de la nature de sa vie, après s'être battu contre, avoir tenté de marchander, être passé par une phase dépressive, avoir nié l'évidence.
Créée
le 16 mars 2020
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