Moi ce j'aime c'est les monstres et un monumental pavé de plus de 800 pages et l’œuvre complètement dingue d'une artiste au destin aussi fou que flamboyant. En 2002 alors qu'elle fête ses quarante ans Emil Ferris, mère célibataire et illustratrice se fait piquer par un moustique tout con, sauf que l'animal lui transmet l'une des formes les plus grave du syndrome du Nil occidental. La jeune femme après être restée longtemps inconsciente se retrouve paralysée condamnée un temps à ne plus pouvoir marcher ni dessiner. Pourtant à force de travail et d’abnégation, quitte à scotcher un stylo à sa main inerte pour dessiner Emil Ferris s'accroche, s'inscrit au Chicago Art Institutte dont elle ressort diplômée et se lance durant six ans dans la confection de ce roman graphique hors norme de huit cent pages qui connaîtra une cinquantaine de refus de publication avant qu'un éditeur indépendant accepte enfin de mettre en lumière ce talent extraordinaire, cet univers complètement dingue et ce monument du neuvième art.


Moi ce que j'aime c'est les monstres nous raconte l'histoire de Karen une gamine d'une dizaine d'année qui grandi dans le Chicago des années 60 entre une mère malade, un frère légèrement voyou et l'effervescence d'un quartier rempli de figures plus oui moins louches. Pour supporter et se défendre du monde qui l'entoure Karen s'imagine être un loup garou comme dans les revues et les films de monstres qu'elle affectionne. Lorsque la voisine du dessus la mystérieuse Anka est retrouvée morte, Karen enfile un vieil imperméable, se métamorphose en détective loup garou et découvre le trouble passé de cette femme juive déportée durant la seconde guerre mondiale.


La première chose qui frappe à la lecture du roman graphique de Emil Ferris c'est l'extraordinaire beauté et la richesse des dessins de cette œuvre foisonnante de détails et d'images inoubliables. Affranchie du carcan des cases de la bande dessinée, l'univers de l'autrice et dessinatrice s'étale non pas sur des pages blanches mais des feuilles qui reprennent l'aspect de carnet à spirales, de feuilles volantes avec des lignes, des marges et des oblitération pour être mises dans un classeur comme un immense journal intime crayonné. Car l'autre particularité des dessins de Moi ce que j'aime c'est les monstres c'est qu'ils sont tous crayonnés au stylo bille avec un style de hachure à la fois très particulier et hautement graphique. Si tous les dessins n'offre pas le même niveau de finition, certains sont même volontairement assez sommaires, on se retrouve régulièrement devant des pages d'une richesse et d'une puissance à se damner. Certains dessins qui prennent une page entière sont vraiment d'une exceptionnelle qualité et surtout d'une force visuelle peu commune, Emil Ferris croque les visages de ses personnages qui possèdent de vrais gueules et finissent par s'inscrire dans un univers à la fois réaliste, grotesque et terrifiant tout en restant terrassant de beauté. Essentiellement en noir et blanc les planches se colorent parfois du stricte minimum avec la peau étrangement bleue d'Anka, les touches de rouge qui renforcent l'étrange violence des sentiments ou le jaune des étoiles des déportés. Graphiquement le travail de Emil Ferris est tout bonnement extraordinaire et sans même le lire Moi ce que j'aime c'est les monstres est une œuvre qui se regarde avec la plus grande des fascination devant la simple puissance de ses dessins capables à eux seuls de faire éclore l'émotion et le beauté à chaque page.


Mais Moi ce j'aime c'est les monstres est aussi une œuvre d'une très grande richesse thématique et d'une profonde et magnifique humanité. Le récit est déjà bourré jusqu'à la gueule de références culturels, sociales et politiques et l'on traverse avec ce récit la petite et la grande histoire, de l'intimité d'une gamine mal dans sa peau à la Shoah en passant par la mort de Martin Luther King. Si il sera bien sûr beaucoup fait référence aux monstres classiques du cinéma et de la littérature de Godzilla à Frankenstein en passant par Dracula, les zombies et les loups garous, le récit est aussi parsemé de référence à la peinture puisque la petite Karen adore se promener dans les musées et se perdre littéralement dans les toiles qu'elle observe. Mais si le récit traite des monstres que l'on voudrait être parfois, il mettra surtout en lumières les monstres qui existent vraiment au quotidien et qui auront parsemé l'histoire de leurs plus abjects horreurs. Harcelée pour sa différence, victime d'une tentative de viol, confrontée à la mort de sa voisine, à la maladie de sa mère, à la violence de son quartier Karen s'est construite sa carapace de monstre pour simplement s'imaginer être assez forte pour se frotter au monde qui l'entoure. A travers le récit et l'histoire d'Anka on plongera aussi dans une autre forme d'horreur, celle de maisons de passe, de réseaux pédophile, de violence faites aux femmes le tout sur fond de montée du nazisme et de déportation. Moi ce que j'aime c'est les monstres n'est donc pas un voyage de tout repos, ni une viré chez les Bisounours, mais l'on se prend vite d'une énorme affection pour Karen et son faciès de loup garou pas bien méchant, pour son amitié amoureuse, maladroite et conflictuelle avec Sandy, pour ses relations tendres et durs avec son frère Deeze , pour sa curiosité maladive qui la pousse à observer les tréfonds de l'humanité avec candeur… On ne verra qu'une seule fois le vraie visage de Karen durant tout le bouquin lorsque son frère l'oblige à se regarder dans une glace autrement que comme un sale petit monstre, et sans rien voir venir j'en ai eu les larmes au yeux de découvrir le minois innocent de cette gamine dissimulant finalement tout son mal être sous l'apparence d'un loup garou. On pense parfois à Tim Burton pour cet amour indéfectible des freaks , mais ancré dans un univers bien plus tangible, presque documentaire sur les bas fonds interlope du Chicago des années 60. Il fut un temps question d'une adaptation cinématographique par Sam Mendes , prions très fort pour qu'elle ne se fasse jamais, car rarement la beauté et la qualité d'une œuvre restera aussi intimement liée à sa patte graphique qui me semble impossible à retranscrire en images sans en perdre 90% de la puissance.


Moi ce que J'aime c'est les Monstres est un immense coup de cœur, c'est beau, c'est d'une profondeur et d'une richesse peu commune, c'est puissant et émouvant, c'est une ode à la tolérance, à l'art et à la culture et une mise en, garde contre les véritables monstres tapis dans l'ombre. MONS- TRU- EUX !!

freddyK
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