« Un vieux nègre momifié ... avec une guitare dans les bras. »
Pour écrire l’histoire du blues, Rodolphe invente la fable de Slim Whitemoon, de son pote Charley, et de sa guitare Sue. Tout le reste est vrai : le blues du delta, les grands noms comme Blind Lemon Jefferson et Robert Johnson, sans oublier les tournées en Angleterre avec les Stones et les Yardbirds. Ou comment on explore toute une époque en suivant simplement l’histoire d’un type un peu paumé, bluesman raté à mi-temps, et fossoyeur pour arrondir ses fins de mois.
Le dessin de Georges Van Linthout est plutôt bon, surtout l’application des couleurs, un noir et blanc en taches de peinture : idéal pour les scènes lugubres au fond des ruelles, ou sur les trottoirs cradingues de Chicago. Mais les graphismes restent quand même un peu mous du genou : des angles de vue pas bien imaginatifs, des visages parfois brouillons ... de quoi piquer du nez avant d’avoir achevé les presque deux cents pages de l’album.
Raconter soixante ans de l’histoire du blues en une seule BD, c’est un pari un peu fou : le scénario est truffé d’ellipses, de sauts narratifs, et Slim prend souvent cinq ou dix ans d’une page à l’autre. On suit l’histoire de ce type sans vraiment comprendre ou cela nous mène, on oublie les personnages, on perd les visages, et on finit par ne plus saisir grand-chose.
Même si l’album est graphiquement maîtrisé, l’histoire ne prend pas aux tripes : Mojo a l’intensité émotionnelle d’une biographie Wikipedia, des dates et des lieux mis bout à bout, le narrateur est trop éloigné du personnage. Les dialogues en argot franchouillard pour traduire les expressions des Afro-Américains, cela n’aide pas ... et fallait-il vraiment traduire en français les chansons de blues ?
On ressort de Mojo avec l’impression d’avoir raté quelque chose. A moins que l’album soit réussi, et que ce soit Slim qui ait raté sa vie ...