Derf Backderf est un dessinateur sans concession.
Quand il écrit une BD, il prend le temps de :
- se documenter,
- se positionner.
1-Sur la documentation de l'ouvrage, il est certes compliqué de pousser aussi loin l'analyse que Kent State: Four Dead in Ohio (2020) qui fourmille de références par dizaines.
Dans Mon ami Dahmer, sans aller aussi loin, l'auteur ne s'est donc pas contenté de relater ses propres souvenirs.
Il est allé chercher de quoi décentrer son propre regard et soutenir son propos (cf. 2nde partie de la critique).
A l'arrivée, son ouvrage n'est donc pas qu'un simple récit sur un parcours hors normes et un phénomène de foire à la mode dans les années 1990/2000 aux Etats-Unis. Pour mémoire, peintres, rappeurs, groupes de hard rock ou réalisateurs de cinéma ont été nombreux à relayer ses actions.
2-Un propos universaliste.
Fort du constat que les USA sont truffés de psychopathes et leur vouent un véritable culte médiatique, l'auteur tente de définir si Jeffrey Dahmer aurait pu devenir quelqu'un d'autre qu'un tueur en série.
C'est pour cela que le récit se focalise sur les années étudiantes de celui-ci :
- Derf a été le camarade de classe de Jeffrey,
- Backderf pointe en quoi Dahmer a été "téléguidé" vers l'horreur (17 meurtres accompagnés de nécrophilie, viols ou autre démembrements).
- point de tableau de chasse du meurtrier,
- aucun dessin voyeuriste.
Au contraire, beaucoup de dialogues et d'interrogations de la part de ses camarades de classe :
- Jusqu'à quel point ont-ils eux mêmes participé à pousser l'étudiant timide dans sa folie ?
- L'indifférence de la société américaine (voire contemporaine) a-t-elle toléré qu'un enfant soit victime au risque de la transformer en bourreau ?
- Que peut répondre nos modèles socio-éducatifs face à l'alcoolisme et aux troubles de l'adolescence ?
Bref, beaucoup de questions derrière une simple BD !
Un mot tout de même sur la forme :
- les dessins pseudo naïfs sont à la fois tranchants et détaillés. Ils sont conformes aux traits qui caractérisent toutes les œuvres de Backderf ;
- l'agencement des planches est assez classique et rend la lecture facile ;
- le noir et blanc rend parfaitement l'ambiance parfois oppressante, parfois légère, grâce notamment au clair-obscur qui assombrit ou illumine les visages, les lieux...
- Et toujours beaucoup, beaucoup de texte (off ou dans les dialogues)... Derf Backderf est autant dessinateur accompli que narrateur pointilleux. Au risque parfois d'en écrire trop...
Bref un ouvrage qui - au delà du simple fait divers - est aussi un miroir grossissant de notre société et des risques générés par l'indifférence qu'elle abrite.