..."Mon ami Pierrot", une BD puissante à propos de l'emprise. À une époque médiévale et magique, où les sorcières étaient des guérisseuses.
On pourrait qualifier l'amour des 2 protagonistes de "passionnel", car c'est ce qu'on apprend dans la plupart des œuvres culturelles ou des médias quand ils parlent de "crime passionnel" (qui en général veut dire "un homme a tué une femme". Par "passionnel" les médias traduisent : "il l'a tuée parce-qu'il l'aimait"). Hors ce n'est pas ça l'amour, ce n'est ni tuer ni manipuler ni posséder ni isoler (Pierrot, après avoir isolé Cléa de son foyer initial (on pourrait croire qu'elle choisit en toute liberté de le suivre mais non : il insiste à plusieurs reprises, la prend par la main), la manipule et la gaslight jusqu'à la faire pleurer afin
d'obtenir de ses larmes un bénéfice personnel).
Il est important de le rappeler : en amour la liberté de l'un.e ne doit pas empiéter sur la liberté et le bonheur de l'autre. Aucun.e des deux ne doit être idéalisé.e, ce que fait par exemple la fée avec Berthier... S'il y a une idéalisation (et en l'occurrence un mépris, car
Berthier parle à la fée comme à une merde alors qu'elle l'a plusieurs fois sauvé)
alors il y a déjà un déséquilibre.
Ce medium (la BD) et l'époque à laquelle se passe l'histoire sont une façon ingénieuse d'amener un propos fondamentalement politique et psychologique. Cependant je pense qu'il faut avoir les clés et savoir ce qu'est l'emprise pour réellement comprendre, car ce n'est pas toujours évident, sans juger Cléa ni la ramener à un simple stéréotype de la jalousie (qui ne naît pas sans que qqn l'alimente, que ce soit le/la partenaire actuel ou les précédent.es).
Pierrot fait croire au meilleur sur quelques cases, et montre rapidement le pire sur plusieurs pages. L'emprise est ainsi : rappeler le souvenir du meilleur pour que la victime se sacrifie et ne voit pas le pire. Heureusement Cléa a ce feu en elle : son envie de liberté, donc d'indépendance.
C'est ce qui semblera la sauver.
Je noterais aussi bien sûr la beauté du dessin et des couleurs, très expressifs, dans une BD mue par les émotions. La BD ramène aussi continuellement à la comptine :
- la fête de la lune (au clair de la lune...)
- le titre de l'oeuvre (mon ami Pierrot...)
- les lettres adressées à la mère (donne-moi ta plume pour écrire un mot...)
- le feu en Cléa,
la cire du visage de Pierrot, les bougies de cire à la fin qui imagent le déclin lié à l'âge
(ma chandelle est morte, je n'ai plus de feu...)
- Pierrot qui occasionnellement se ferme à Cléa (métaphoriquement) (ouvre-moi ta porte, pour l'amour de Dieu...)
- les croyances qui s'opposent entre la bourgeoise et les païens
Je vous laisse relire la comptine pour faire vos propres liens... :)