Promesse tenue avec intelligence
Ce tome contient une saison complète d'une série indépendante de toute autre. Il rassemble les 5 épisodes de la première saison, initialement publiés en 2019/2020, coécrits par Sarah Beattie &...
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le 18 juil. 2021
Ce tome contient une saison complète d'une série indépendante de toute autre. Il rassemble les 5 épisodes de la première saison, initialement publiés en 2019/2020, coécrits par Sarah Beattie & Tim Seeley, dessinés et encrés par Rebekah Isaacs, avec une mise en couleurs réalisée par Kurt Michael Russell, Isaacs & Russell ayant également réalisé les couvertures.
En 2027, sur une planète en dehors du système solaire, un groupe de cinq êtres humains se trouve en face d'un extraterrestre humanoïde à la peau bleue. Une petite sphère robotique virevolte autour du groupe, prête à se mettre à filmer. La cheffe du groupe donne ses instructions aux autres membres : une levrette, une cowgirl inversée, elle-même s'occupant de la relation inter-espèce, peut-être après un petit préliminaire avec Constance. Le groupe se compose de Christine Ocampo physicienne, Omar Steinberg astrophysicien, Doug Koch biochimiste, Bree Wander physicienne, Annie Leong épidémiologiste. L'action commence. Il y a quelques années de cela, ces cinq mêmes chercheurs travaillaient dans le même laboratoire, et passaient plus de temps à remplir des formulaires gouvernementaux qu'à faire des recherches, au point d'être en passe d'écrire l'Anna Karénine (1877) de la demande de subventions, malgré des projets de transport spatial longue distance, de méthode de communication avec les animaux, de vaccin pour virus, de transmetteur d'onde compressée, et d'esthétiques astringentes. Ocampo refusait d'être désignée comme responsable d'une administration gouvernementale antiscience pleine de voleurs, d'une nouvelle récession en approche condamnant tous les projets qui ne seraient pas rentables à court terme, et d'une population mondiale devenant de plus en plus bête.
Christine Ocampo quitte la salle de réunion, bien énervée, et se rend dans la pièce abritant son invention permettant de voyager jusqu'à une autre planète, suivie par Omar Steinberg qui fut pendant quelques temps son amant. Cette invention a été appelé Star Shot, et les médias l'ont surnommée Money Shot parce qu'elle décharge comme une professionnelle. N'étant que tous les deux, Christine indique à Omar qu'elle a envie de faire l'amour, mais celui-ci lui rappelle que ce n'est pas une bonne idée, ce n'est pas pour rien qu'ils se sont séparés. Elle rentre donc chez elle dans un état entre excitation et frustration, et sort son vibromasseur préféré, chasse son chat de sa chambre et se connecte sur son site internet de prédilection pour reprendre le visionnage où elle en était. Il apparaît un kaiju femelle de taille humaine, avec une ceinture sur laquelle est monté un phallus en plastique, et il s'apprête à faire subir les derniers outrages à un homme d'une cinquantaine d'années en tutu rose. Elle commet ensuite l'irréparable : elle demande à l'assistant personnel intelligent de son ordinateur de lui lire les commentaires. Arès une nuit difficile passée à s'en remettre, elle présente sa nouvelle idée à ses collaborateurs.
Les auteurs annoncent la couleur avec le titre : image choc, ou image qui fait vendre, avec une connotation sexuelle très claire dans l'industrie du divertissement pornographique. La couverture promet également des rapports sexuels, protégés, au vu des préservatifs dans leur emballage, flottant dans la gravité zéro. Le lecteur habitué des comics est très dubitatif car généralement les relations sexuelles sont tout juste suggérées, pas montrées, seule la violence pouvant être graphique jusqu'à la torture la plus abjecte et les plaies béantes. Le premier épisode comprend 3 scènes sexuelles, avec un niveau de nudité très faible : un sein féminin. Le deuxième épisode est un peu plus osé avec une grosse paire de testicules bleus. Le troisième montre un sexe masculin au repos. Il ne s'agit donc pas d'une bande dessinée pornographique (il n'y a aucun gros plan de pénétration), ni même d'un ouvrage érotique qui se lirait d'une main, même si les rapports sexuels sont de première importance dans chacun des épisodes. Les intrigues reposent sur le déroulement de rapports sexuels, dans un registre amour libre, sans jouer sur une culpabilité, avec des positions variées sans que cela ne devienne une compétition sportive de haut niveau, mais quand même avec échange de partenaires. Afin de s'assurer que l'équipe se montrera performante, Ocampo impose des préparatifs : chaque membre doit coucher avec un autre, en changeant de partenaire à chaque fois, pour pouvoir être en mesurer d'assurer le jour venu. Le principe : financer le prototype pour leur voyage spatial en créant un site internet payant diffusant leurs ébats avec des créatures extraterrestres, proposant ainsi du neuf à des spectateurs blasés qui ont déjà tout vu.
Sarah Beattie & Tim Seeley racontent bel et bien une histoire, et pas juste une vague trame prétexte pour aligner des scènes de sexe. Ils commencent par ironiser sur le fait que les chercheurs soient dépendants des finances publiques (et aux États-Unis comme en France des fonds privés), pour passer dans un autre registre, une fois que l'équipe de Star Shot a atteint leur première planète, effectivement habitée par des créatures majoritairement anthropoïdes avec des organes sexuels compatibles avec l'appareil génital humain (sinon il n'y aurait pas d'histoire) et une atmosphère assez similaire à celle de la Terre (sinon le sort des explorateurs serait rapidement réglé). Bien évidemment, cette société extraterrestre n'est pas semblable à celle des pays terriens, et il faut un peu de temps aux humains pour découvrir de quoi il retourne. Malheureusement, pendant ce temps-là, deux d'entre eux se retrouvent dans une arène à lutter contre une grosse créature agressive pleine de dents, et les trois autres au cachot, en compagnie d'un être bleu avec une énorme paire de testicules, ce qui offre l'occasion de deux ou trois gags en dessous de la ceinture, plutôt amusants. La situation politique est instable : il y a des rebelles qui se préparent à attaquer la cité principale. La situation écologique est calamiteuse : l'eau venant à moquer. Il est question d'un individu qui disposerait d'une technique pour maîtriser une source de pouvoir généré par l’activité sexuelle. Les compétences professionnelles des aventuriers vont être mises à contribution : à la fois celles d'acteurs pornographiques, mais aussi celle de chercheurs scientifiques.
Rebekah Isaacs avait déjà eu l'occasion de collaborer avec Seeley pour le passé, en particulier en dessinant des épisodes pour sa série culte : Hack/Slash Omnibus Volume 2, ainsi qu'une partie des épisodes de la saison 10 de la série Buffy. Elle dessine dans un registre descriptif avec un bon niveau de détails, et réaliste, avec des morphologies différentes pour chaque personnage. Le lecteur apprécie tout de suite la justesse des expressions de visage des personnages, qu'ils sourient, ou qu'ils soient moins contents. Dans l'épisode 3, les différents membres de l'équipe passent une nuit avec un autre membre différent chaque nuit, et le lecteur peut lire leur état d'esprit sur leur visage en fonction de leur partenaire. Ces séquences ne les montrent qu'allongés sur le lit, le corps recouvert par un drap, après l'acte. Les auteurs se montrent particulièrement intelligents et sensibles en faisant apparaître que lesdits états d'esprit dépendent surtout de la relation affective que l'un entretient avec l'autre, plutôt que d'une forme de performance sexuelle, d'un niveau de plaisir physique ou d'une position ou d'un acte pour lequel ils auraient une répugnance a priori. La dessinatrice sait donc insuffler une personnalité et des émotions à chacun des cinq explorateurs, les rendant intéressants pour eux-mêmes que plutôt pour les éventuelles prouesses. Il est visible qu'elle s'amuse bien à concevoir les extraterrestres, même si elle doit se restreindre à un registre humanoïde pour assurer une comptabilité avec les aventuriers. L'apparence des énormes testicules restera longtemps en mémoire du lecteur.
L'artiste n'hésite donc pas à dessiner la nudité mâle et femelle, avec parcimonie car elle est assez rare, mais sans fausse pudeur car il y a bel et bien un sexe mâle turgescent dans le dernier épisode. Elle investit du temps pour représenter les environnements avec un bon niveau de détails, que ce soit le laboratoire ou l'intérieur d'un pavillon sur Terre, ou les décors extraterrestres sur une autre planète. Elle fait montre de réels talents de metteure en scène, avec une narration visuelle claire et variée. Elle fait un usage opportun des exagérations pour des touches humoristiques à bon escient et au bon moment, rendant la lecture encore plus agréable. S'il pouvait éprouver quelques inquiétudes sur la qualité des dessins du fait qu'il s'agit d'un comics publié par un petit éditeur indépendant, le lecteur se trouve rassuré dès les premières pages, avec des pages professionnelles, et un degré de finition supérieur à celui des comics de superhéros mensuels industriels.
En découvrant le point de départ du récit, le lecteur s'interroge sur la qualité de ce qu'il va lire : financer un voyage sur une autre planète habitée par la mise en ligne des ébats sexuels entre les scientifiques explorateurs et les créatures extraterrestres. Les scénaristes tiennent toutes les promesses de ce point de départ un peu racoleur dans le principe, avec une retenue qui aboutit à une vraie histoire plutôt qu'une enfilade de scènes de sexe plus ou moins réussies. L'artiste fait preuve de la même retenue ne transformant ses pages en un récit de fesses, mais sans pudibonderie hypocrite non plus, représentant la nudité frontale quand elle fait sens dans une scène. Ce premier tome raconte une histoire complète, drôle, sexy, provocatrice sans être racoleuse, intelligente, avec des réflexions adultes allant du temps passé par les chercheurs scientifiques à faire autre chose que de la recherche, à des questions politiques moins basiques que prévues.
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le 18 juil. 2021
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