Avec Monster (1994), Naoki Urasawa livre un thriller psychologique d’une intensité rare, un jeu du chat et de la souris où les limites entre le héros et le monstre s’effacent aussi facilement qu’un alibi douteux. Préparez-vous à une plongée dans l’Allemagne post-guerre froide, où le suspense est aussi omniprésent qu’un couteau dans l’ombre.
L’histoire suit Kenzo Tenma, un brillant chirurgien dont la décision d’opérer un jeune garçon au lieu d’un politicien corrompu déclenche une chaîne d’événements infernaux. Ce choix altruiste le fait passer du statut de médecin dévoué à celui de fugitif traqué, alors que le garçon qu’il a sauvé, Johan, s’avère être un monstre au sourire angélique. Le dilemme moral est posé : jusqu’où iriez-vous pour réparer une erreur aux conséquences terrifiantes ?
Ce qui distingue Monster, c’est son ambiance oppressante et sa narration magistrale. Urasawa tisse un récit dense où chaque personnage secondaire semble avoir sa propre vie, ses secrets, et ses zones d’ombre. Pas de figurants ici, mais une fresque humaine où chacun est une pièce essentielle du puzzle. Mais attention : ce puzzle est complexe, et certaines pièces vous donneront envie de crier "mais pourquoi ?!" avant de réaliser que tout finit par se connecter.
Johan, le fameux "monstre", est l’une des créations les plus fascinantes du manga. Charismatique, manipulateur, et terrifiant dans sa simplicité, il est à la fois l’antagoniste parfait et une énigme psychologique. Urasawa joue avec les attentes du lecteur, dévoilant Johan par petites touches, comme une silhouette dans le brouillard. Vous le détesterez, mais vous ne pourrez pas détourner les yeux.
Graphiquement, le style réaliste d’Urasawa est parfait pour ce genre de récit. Les expressions faciales sont incroyablement détaillées, chaque regard et chaque sourire portant une intensité presque insupportable. Les décors, qu’il s’agisse de ruelles sombres ou d’hôpitaux froids, ajoutent une atmosphère pesante qui colle au récit comme une ombre persistante.
Cependant, Monster n’est pas sans défauts. À vouloir étirer son intrigue sur plusieurs volumes, le rythme peut parfois vaciller, laissant le lecteur se demander si le prochain rebondissement sera aussi percutant que le précédent. Certaines sous-intrigues, bien que passionnantes, donnent l’impression de retarder l’inévitable confrontation entre Tenma et Johan. Mais cette lenteur fait aussi partie du charme : chaque détour ajoute de la profondeur au monde d’Urasawa.
En résumé, Monster est une œuvre captivante qui explore les recoins les plus sombres de l’humanité tout en questionnant ce qui fait un monstre. Urasawa mêle suspense, dilemmes moraux, et une galerie de personnages inoubliables dans un thriller qui s’accroche à vous comme une ombre. Une lecture essentielle pour ceux qui aiment se perdre dans des récits où le danger n’est jamais là où on l’attend. Préparez-vous à être hanté, longtemps après avoir refermé le dernier volume.