Ce tome fait suite à Monstress, tome 5 : Guerrière (épisodes 19 à 24) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome pour comprendre l'intrigue. Il regroupe les épisodes 31 à 35, ainsi que les deux épisodes Talk-stories 1 & 2, initialement parus en 2020 pour la minisérie, en 2021 pour la série régulière, écrits par Marjorie Lieu, dessinés, encrés et mis en couleurs par Sana Takeda.
Papotages : le conflit connait quelques heures d'accalmie, ce qui permet à Maika Halfwolf, Corvin Ravenborn et un autre d'échanger les dernières nouvelles. L'armée de la fédération a dépêché des unités vers les villes avoisinantes : peu leur importe combien de civils ils doivent exterminer car les Cumaea n'ont pas besoin que les corps soient encore en vie pour récolter le lilium. La seigneuresse de guerre est peut-être trop obsédée par la trahison de son épouse pour préparer une stratégie d'offensive. Maika décide d'aller faire un tour dans la ville : elle va retrouver Kippa à la soupe populaire. La demoiselle aide au découpage des légumes. Elle essaye d'entamer la conversation avec Maika, mais commence par une question déplacée en lui demandant qu'elle est la meilleure chose qu'elle ait mangée. Se rendant compte de son impair, elle propose de lui raconter son meilleur repas. Elle était encore une enfant et vivait avec sa soeur adoptive Perri, sa mère et son père. Ce jour-là, toutes contentes, elles ramènent des pièces électroniques qu'elles ont pu récupérer dans les poubelles ou par terre. Leur mère félicite Kippa en la prenant dans ses bras. Quand cette dernière fait remarquer que la plupart des pièces ont été trouvées par Perri, la mère ouvre le sac et déclare qu'elles sont toutes bonnes à mettre aux ordures, sans un seul regard pour sa fille adoptive. le soir le père demande à la mère pourquoi les deux filles avaient l'air bouleversées. Dans leur chambre, les deux filles ont trouvé comment contenter leur mère. Plus tard, Marika raconte à Kippa l'histoire de son meilleur repas.
Au temps présent, le colonel Anuwat est agenouillé sur le champ de bataille et contemple les cadavres : il est peu probable qu'un être humain ait pu les déchiqueter comme ça. Un aide de camp commence à expliquer que les survivants ont insisté sur le fait c'est l'oeuvre d'une jeune femme et d'une apparition démoniaque, la description de la jeune femme correspond à celle que le colonel avait soumis à un interrogatoire. Maika Halfwolf est attablée avec son père Seizi Imura : ils sont en train de manger de bon appétit, un copieux repas, tout en discutant sur le thème de la faim. le père indique que la faim ne se transforme pas : c'est un carburant et c'est l'individu qui devient autre chose, d'aberrant ou de glorieux. Maika veut savoir pourquoi son père se trouve dans ses rêves : il répond que c'est parce qu'un dieu s'est glissé de son sang à lui dans son sang à elle. Il ajoute qu'ils ont besoin l'un de l'autre et il commence à disparaître. Elle continue la discussion avec Zinn qui lui conseille de le tuer dès qu'elle en aura l'occasion. À Pontus, les négociations continuent entre l'amiral Brito, représentant plénipotentiaire de la Vague, et une délégation de l'une des deux cours des Arcanics.
Petit à petit, le récit prend une ampleur de guerre totale, trouvant ses racines dans le passé, avec des individus clés, soit du fait de leur responsabilité et de leur pouvoir dans la société, soit du fait de capacités extraordinaires en termes de puissance de feu, ou de connexion avec des forces surnaturelles, des entités anciennes. Mais avant de continuer à progresser dans les méandres de ce conflit aux ramifications tentaculaires (et pas seulement du fait de la présence de grands anciens), les autrices approfondissent la relation entre la terrifiante Maika et la mignonne Kippa dans deux épisodes, où chacune d'elle raconte un souvenir d'enfance qui leur réchauffe le coeur. Éditorialement, cela correspond à une pause de 4 mois entre les numéros 30 et 31. Dans le fil du récit, ces épisodes sont réalisés par les mêmes autrices et sont totalement intégrés dans le fil de l'histoire puisqu'ils commencent après la bataille de Ravenna qui a eu lieu dans le tome précédent. L'artiste joue à fond sur l'apparence kawaï de Kippa, encore plus intense du fait qu'elle soit une enfant dans ce souvenir, avec sa demi-soeur tout aussi touchante dans sa candeur enfantine. Elle fait de même Maika enfant et sa copine Areka, avec des bouches souvent ouvertes et des grands yeux pour marquer soit l'étonnement, soit l'enthousiasme sans retenu et l'émerveillement. La première histoire se passe dans le logement miséreux de la famille de Kippa avec une incursion dans un camp de réfugiés, la seconde sur une île quasi déserte, avec une faune marine exotique et Sauri Imura, magnifique femme lionne, mère de Seizi & Kenzi. Les dessins sont toujours une combinaison aussi sophistiquée d'éléments détourés par des traits encrés, de couleur directe, et de camaïeux complexes. L'artiste joue avec le degré de densité d'informations pour chacune de ses 3 techniques : beaucoup de la première, peu des autres, ou peu d'éléments détourés et beaucoup des deux autres. En fonction de sa sensibilité ou de ses préférences, le lecteur peut parfois être déstabilisé par le manque de contour ou par l'affadissement de la mise en couleurs, tout en étant dans le même temps épaté par la richesse complémentaire d'une autre technique. Il ressort ravi de ces deux épisodes, pour en avoir appris plus sur Maika et sur Kippa, sur un moment de leur vie important dans leur développement, similaire pour l'une et l'autre tout en étant très différent, une forme sensibilité qui les rapproche.
Puis le conflit reprend ses droits, et le lecteur replonge dans cette intrigue complexe, avec la guerre entre plusieurs factions et leurs alliances mouvantes : la Fédération, les Archanics, les anciens dieux, les cumaea, la Cour de l'Aube, la Cour du Crépuscule, et leurs différents représentants, sans oublier quelques groupes non alignés avec un meneur qui perçoit le conflit comme autant d'occasions à saisir. le présent tome est tout aussi riche et dense que les précédents sur le plan de l'intrigue, des personnages et des thèmes. le lecteur n'a qu'à bien s'accrocher pour tout suivre. Seizi Imura commence à agir car il a perçu une ouverture. L'amiral Brito, représentant du peuple sous-marin, a posé ses conditions d'alliance ou de non-ingérence, et elles sont lourdes de conséquences pour les parties intéressées. La baronne et la seigneuresse sont arrivées à Ravenna pour reprendre la situation en main. Yvette Lo Lim arrive sur le champ de bataille et se présente au colonel Anuwat comme envoyée par le haut concile des Cumaea. Maika Halwolf se retrouve en prison. Sa grand-mère, impératrice d'une des deux cours, lui rend visite. Une nouvelle attaque a lieu sur Ravenna, et Maika finit par se résoudre à utiliser les pièces du masque dont elle dispose. Autant de séquences au cours desquelles l'artiste se déchaîne : le magnifique festin de Maika et son père dans un dessin en pleine page, les effets spéciaux pour le champ de force autour du coffre-fort, la grand-mère se tenant devant une statue monumentale de la déesse, les aéronefs commençant à bombarder, le monumental combat de Maika contre sa grand-mère, etc.
La scénariste a l'art et la manière de faire ressortir le caractère des personnages dans chaque discussion, qu'elle soit détendue ou confrontationnelle, de façon intégrée à chaque scène. le lecteur prend plaisir à voir Maika gagner en assurance, ou Kippa rester positive, ou encore le comportement cinglé d'Yvette Lo Lim. Comme à son habitude, Sana Takeda fait ressortir la personnalité de chacun, que ce soit la tenue dépenaillée du père de Kippa, ou le manteau et le collier magnifique de la Grand-Mère, ou encore l'armure stricte de la seigneuresse. En vrac, le lecteur est tout autant marqué par le visage plein de ruse de Seizi, la folie dans le visage d'Yvette, l'agressivité méchante dans le visage de la grand-mère, les tentacules de Zinn, et bien sûr la coupe de cheveux de Maika adaptée à ses brûlures. C'est toujours un grand plaisir esthétique de contempler ces personnages mêlant un côté mignon avec une dimension romantique, une agressivité guerrière, l'un ou l'autre étant plus ou moins prononcé en fonction de la séquence. En plus de ce spectacle sophistiqué de cette intrigue nourrie, le lecteur ressent la présence de thématiques en filigrane du récit : l'empathie entre individus ou son absence, la faim dévorante, l'impact de la politique extérieure des grandes nations sur les peuples, la quête du pouvoir politique ou de la puissance physique, l'emprise des anciennes générations sur l'état du monde aggravé par l'immortalité de plusieurs grands de ce monde, la volonté des générations plus jeunes de suivre leur propre voie, l'opportunisme sans âme de Seizi Imura, et une métaphore extraordinaire d'une relation fusionnelle entre deux individus de race différente.
Sixième tome, et le lecteur grimace un peu en se rendant compte qu'il n'a pas encore entièrement assimilé la distribution pléthorique de personnages et leur allégeance, un trombinoscope serait le bienvenu. Dans le même temps, il reprend le fil de l'intrigue au bout de quelques scènes et retombe sous le charme du récit : les personnages si incarnés, la situation de guerre qui empire, la consistance de ce monde avec encore 2 interventions du professeur Tam-Tam, la beauté plastique de la narration.