Dès les premiers tomes le ton est donné ; une incroyable ambiance neo-western post-apo se dégage de ce manga (hommage à peine dissimulé à "Mad Max"), avec une femme ultra badass, qui reste malgré les circonstances de fin du monde, très ‘’femme’’, comprendre une mère qui a un sens maternel très aiguë. Car tout réside dans ce subtil et perpétuel équilibre – enfin en tout cas pour le début du récit et on va décortiquer ça.
Si ce n’était qu’une "Lara Croft" aux gros seins (j’en parle pour une raison que les lecteurs comprendront) qui défouraille tout ce qui bouge, cela aurait eu des relents un peu grotesques. Mais le fait est qu’elle reste une mère avant tout, une mère en quête de ses enfants perdus après les tragiques événements contés dans l’introduction, adouci le côté un peu trop "Gina Carano" du pauvre. Ce qui donne au manga une véritable dimension épique. Une sorte d’odyssée à la "Ulysse", mais version femme, sans pour autant avoir des relents militants féministes.
Très peu de dialogues finalement, en tout cas dans les premiers tomes. L’action est sans cesse renouvelée et la lecture se fait très fluide, ce qui est vraiment agréable. Mais il y a aussi le revers de la médaille; tout s’expédie bien trop rapidement, très peu d’explication sur le lore, du pourquoi, du comment et pratiquement aucun personnage secondaire n’est traité profondément, franchement pas même les enfants de Sarah, même si on devine leurs choix et leur passif dans le sous texte. Cela n'aurait pas été du luxe de les approfondir davantage.
Quant au dessin, il semble parfois se confondre avec celui du roi "Otomo". On jurerait ses traits. De superbes dessins, parfois des planches entières où fourmillent maint détails. Y a rien à dire de négatif de ce côté-là, c’est du bel art.
Maintenant, on va parler de ce qui fâche et de ce qui rend ce manga quelconque. Très vite, la surabondance d’action prend le pas sur le narratif/scénario qui était déjà très limité, et ce qui devenait une aventure au récit plutôt dynamique, devient en réalité un enchainement de situations qui ne laissent pas le temps à la réflexion de se distiller progressivement. Cela s’enchaine de plus en plus vite à mesure que les tomes avancent, expédiant des séquences entières, les unes après les autres, rendant le tout totalement confus. Car le conflit mondial, sur fond de fin du monde n’est finalement qu’un prétexte scénaristique facile et à peine développé dans le récit lui-même, pour nous mettre une Sarah (Connor, à peine voilée trolol) en premier plan qui est à la quête de ses mioches. Et il faudra sortir les violons lorsqu’elle retrouvera chacun d’eux. Et puis disons-le aussi, les personnages sont sympa certes, mais parfois (un peu trop) caricaturaux. On dirait qu'"Otomo" cherche absolument des stéréotypes à mettre en scène. Même les coups de crayon de "Nagayasu" partent de cette dérive caricaturale (le gros militaire qui est avide d’or, ouin ouin ouinnnn….)
Après, ce qui est surtout réellement frustrant c'est le fait que le "vrai propos" n'arrive seulement que vers les deux derniers tomes (sur 11!). Commence alors LE récit, qui s'expédie (aucune surprise hein) à vitesse grand V. Ainsi on voit que le manga est littéralement coupé en deux parties pratiquement distinctes l'une de l'autre. L'odyssée de Sarah pour retrouver ses enfants sur 9 tomes, puis cassure nette où Sarah n'apparaît pratiquement plus au devant de la scène pour les deux derniers tomes, où l'enjeu est radicalement différent. Vraiment déroutant, ça sent le manga quand même pas fignolé, pas abouti comme il aurait dû être.
Bref, une grosse déception car finalement c’est un manga qui se révèle être "moyen", et si ce n’était pas estampillé "Otomo" sur la première de couverture, il aurait été perdu certainement dans les limbes des écrits insignifiants, tant ce que racontent ces 11 tomes n’a rien d’original, ni d’intéressant. En plus une moraline à tirer à peine passable pour le grand final.
Petit aparté sur "Otomo": Je voulais voir ce qu'il avait réellement dans le ventre, lui qui est souvent cité comme LE mangaka ayant transfiguré le milieu et je n'en disconviens pas, c'est un grand maître du trait, mais pour moi au vu de son œuvre certes conséquente, c'est quand même très surfait finalement, et ce "Mother Sarah" le prouve une fois de plus.
Ayant une grande collection de lui – je ne suis pas maso à ce point c’est que je le trouve génial aussi par bien des aspects - c’est d'ailleurs cela qui me permet de dire qu'"Otomo" est davantage meilleur dans des OAV/Films que pour écrire des scripts de manga.
On a vu son obsession avec les "Fireball", "Domu" pour finalement accoucher d'"Akira". Il a réessayé le concept plusieurs fois avant de peaufiner celui-ci. Non pas que la nouvelle "Fireball" soit nulle ou que "Domu" soient nuls aussi, mais on voit qu'il n'est pas à l'aise à cet exercice.
Cela me fait penser un peu aussi à "Yukito Kishiro", bien plus modeste mangaka dont l'oeuvre unique le dépasse très largement. "Gunnm" est bien trop grand pour "Yukito" et cela se voit directement, car il ne sait absolument pas finir son histoire. Les 9 tomes originaux auraient dû suffire, mais il a voulu repartir sur d'autres chroniques jusqu'à se perdre un peu en chemin. Pourtant j'aime beaucoup GLO et CdM hein! mais voilà. Et sa tentative "Aqua Knight" n'avait pas convaincu grand monde.
Finalement si je lis "Mother Sarah" (totalement introuvable d'ailleurs en FR sinon faut débourser 500€ aux scammers), c'est pour voir si "Otomo" est à l'aise dans l’exercice de conter une autre histoire, un autre univers en manga. Ce n'est pas un paris gagné selon moi. C’est même très révélateur finalement de ses "limites". Et si on regarde un peu son activité côté manga, on voit que "Mother Sarah" était sa dernière demi-œuvre (1996-2004)… on évitera de nommer "Hipira-kun" (2002) sans aucun intérêt, lui.
Quant au dessin de "Nagayasu", je l'ai déjà dit et je le redis; j'ai rien à y redire c'est vraiment propre et beau!