Les Dix Points des Panthères Noires
Sylvain Ricard, visiblement motivé par les arguments scénaristiques fondés sur la description de révoltes contre des injustices sociales, a écrit un premier tome fort réussi sur la révolte des Noirs des Etats-Unis au sein de l’organisation marxiste des Black Panthers. Cette organisation, d’opinions et de méthodes radicales, a connu son apogée autour de la période soixante-huitarde, poussée à la fois par le racisme persistant contre les Noirs aux Etats-Unis, la contestation mondiale contre la Guerre du Vietnam, et le soulèvement général des minorités opprimées de toutes sortes, pas seulement aux Etats-Unis. Dans ce contexte de Guerre Froide et de volonté révolutionnaire, les Black Panthers adoptèrent d’autant plus aisément l’idéologie marxiste, que non seulement elle convenait parfaitement à la défense de la cause des Noirs (opprimés, exploités, « damnés de la Terre »), mais elle représentait ce qui pouvait le plus choquer les Blancs aux Etats-Unis : la menace totalitaire rouge contre laquelle tout le pays était mobilisé, à grands frais. Dès la deuxième vignette (beau portrait classique de Karl Marx), le lecteur est bien situé.
L’angle d’attaque scénaristique consiste à découper le récit en chapitres, dont le thème est directement tiré d’un article du « Programme en Dix Points » des Black Panthers en 1966. Chaque article sert de titre à un chapitre, qui justifie, par les mésaventures qui surviennent aux Noirs, les revendications formulées par les Black Panthers. L’habileté du récit consiste à coordonner ces différents chapitres en un tout assez fluide, bien que la contrainte thématique suscite le sentiment d’une démonstration idéologique froide comme les communistes les aiment tant.
Les Noirs ainsi décrits sont dignes et finalement modérés, ce qui ne correspond pas à l’impression qu’ils donnaient à l’époque. La leçon de civisme donnée à des gosses Noirs (planche 6) est d’une extrême actualité pour tous, encore aujourd’hui, et souligne la probité du propos des Black Panthers. On appréciera le traitement des situations archétypales attendues : le père Noir qui essaie de s’intégrer à l’ordre imposé par les Blancs, et qui ne peut plus supporter l’engagement communiste de son fils; le Blanc ami d’un Noir avec qui il finit par rompre, sous la double pression du Noir qui trouve que son ami Blanc est incapable de comprendre le problème des Noirs, et de ses amis Blancs racistes qui le menacent d’exclusion s’il continue à fréquenter des Noirs ; la difficulté à trouver un logement décent ; le point culminant émotionnel est la reprise par les enfants d’une école de jeux impliquant le Ku-Klux-Klan (planches 53-54).
Le ton du récit est celui du reportage filmé en pleine action, créant l’impression d’une réalité objective saisie sur le vif. Des rappels de pendaisons de Noirs par le Ku-Klux-Klan, des émeutes de Watts en 1965 ; Bobby Seale (fondateur des Black Panthers) mis en scène planche 7; les violences racistes soutenues par la police ; les soins gratuits prodigués par les Black Panthers, ainsi que leur campagne pour le dépistage de la drépanocytose (planche 23), sont parfaitement authentiques.
Les dessins judicieux (lavis noir) de Guillaume Martinez donnent valeur de témoignage quasi photographique distancié aux différents épisodes. Ses paysages urbains assez tristes, que l’on jurerait avoir parcourus dans quelque ville des Etats-Unis, situent sans emphase la morosité du cadre de vie des Noirs.
Ce tome ne traite que les cinq premiers des « Ten Points ». On est saisi par la volonté des auteurs de souligner la dignité de ce peuple Noir en lutte pour ses droits, et la distanciation relative du ton permet d’éviter l’écueil du mélo, qui serait catastrophique dans un propos militant.