Dernier album des aventures de Corto Maltese (la première version de cette critique est antérieure au réveil de la série - Sous le soleil de minuit), Mû ne se lit pas sans nostalgie. Hugo Pratt y convoque les vieux amis de Corto pour une ultime “ballade en mer salée“ : Soledad, Levi Colomba, Bouche Dorée, Raspoutine, Tristan Bantam et Jésus-Maria, auxquels se joindra l’aviatrice Tracy Eberhard (une évocation de ma chère Amelia Earhart). Tous communient dans la même passion : la quête de Mû, le mystérieux continent perdu, et de ses éventuels trésors.
Soledad est enlevée. Nos héros se précipitent à son secours. La suite est, avouons-le, confuse. Le récit multiplie les références alambiquées au passé, mêlant ésotérisme, templiers et moines irlandais, Moaï de l’ile de Pâques et Quetzalcóatl, Christophe Colomb et guerriers jaguars. Corto s’engage dans un labyrinthe où drogues hallucinogènes, harmonies et époques révolues se conjuguent pour le plus grand plaisir des amateurs de dessins oniriques.
Le trait de Pratt s’est considérablement dépouillé, simplifié, stylisé. Il nous offre de saisissants et inoubliables gros plans. Un Corto, toujours plus détaché, tente de rassembler ses idées et ses compagnons. Tel Ulysse qui, à la fin de son long voyage et seul rescapé de Charybde et de Scylla, se retrouve prisonnier sur l’ilot de Calypso, Corto lutte seul. Il ne récupérera que Levi Colomba, ce dernier ayant été abandonné par son propre équipage. Tous deux se retrouvent sur un ilot dévasté, le soleil se couche. C’est fini. Adieu mon ami.
« Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison,
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup d’avantage ? »
Mars 2017