Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il regroupe les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2017/2018, écrits par Jacob Semahn, dessinés et encrés par Jorge Corona, et mis en couleurs par Jen Hickman. Le tome se termine avec 5 articles relatifs au harcèlement en ligne, rédigés par Tini Howard, Sara Charles, Jayinee Basu, Alexis Liistro, Leah Smith.


L'actrice Vanessa Green rentre chez elle, après une mauvaise journée où des reporters lui ont posé des questions insistantes sur ses déclarations en ligne sur les réseaux sociaux. Elle est dans sa splendide demeure, en train de téléphoner à son avocat. Elle raccroche, voit qu'on parle d'elle en mal à la télé, entend du bruit. Elle pense que c'est peut-être son fils qui est de retour, mais non parce qu'il a laissé un message sur son téléphone et qu'il est chez des copains pour y passer la nuit. Il y a un intrus chez elle. Elle appelle la police. L'intrus se présente comme étant Bryan, son fan numéro Un. Il porte un pistolet à sa tempe et se fait sauter la cervelle sous ses yeux. Dans une émission de téléréalité, il y a du sang sur les murs. Il s'agit d'une enquête menée par une animatrice, avec un point de vue subjectif donné par ses lentilles de contact qui font également office de caméra. Elle met les pieds dans une mare de sang. Elle trouve le cadavre de Jad Davies (son employeur dans la vraie vie, le producteur de l'émission). Le direct se termine et elle peut enlever ses lentilles caméra. Davies est en train de jouer au baseball avec un employé dans la cour. Voyant passer Nash Huang, il lui demande de déposer le livre d'histoire de son fils chez Cynthia Davies, son ex-femme. Nash ne le remercie pas du cadeau car Cynthia la terrifie. Effectivement l'accueil est glacial, mais de courte durée.


Une fois acquittée de sa tâche, Nash Huang rentre chez elle, où l'attend sa compagne Violet Reynolds. Nash va se servir dans le frigo pour un plat froid, puis elles s'installent sur le canapé pour regarder Les dents de la mer. En fait, Nash est surtout sur son téléphone pour entretenir sa visibilité sur les réseaux sociaux, et s'assurer qu'elle jouit toujours d'une popularité satisfaisante. Une fois la nuit tombée, elles passent au lit et font l'amour. Le lendemain, Nash Huang reprend sa vie d'assistante stagiaire pour Jad Davies : acheter un paquet de donuts pour le bureau, aller chercher une perruque chez le perruquier qui n'a pas commandé la bonne teinte, passer au pressing pour récupérer les costumes. Le soir elle peut enfin se détendre en allant prendre un verre avec deux amis Sarah et Rigo, dans une terrasse de bar sur un toit. La conversation finit par dévier sur ce qui est arrivé à Vanessa Green, à son tweet raciste qui n'est en fait qu'une blague pas terrible mais qui s'est retrouvée sur les réseaux sociaux. Alors que la conversation s'échauffe, un homme approche et déclare à Nash qu'il est désolé, qu'il lui demande pardon. Il recule en bafouillant des propos inaudibles et finit par basculer par-dessus le muret et tomber dans le vide.


Le thème principal est vite annoncé par les auteurs : le harcèlement sur les réseaux sociaux, avec des répercussions dans la vie réelle. Cela commence avec le fan qui s'introduit chez une actrice, ça continue avec celui qui tombe à la renverse sous les yeux de Nash Huang. Ça culmine avec la mise en ligne d'une vidéo où Nash est filmée en plan subjectif par son partenaire lors d'un rapport sexuel. S'il éprouve encore un doute, arrivé à la fin, le lecteur se plonge dans le témoignage de 5 jeunes femmes sur des formes de harcèlements ordinaires, bien réels, et réellement éprouvant. Pour autant, le récit ne prend pas la forme d'une ode aux réseaux sociaux, la principale protagoniste ne montrant pas de signe d'addiction. Elle est plutôt en bute aux réactions négatives, aux commentaires dépourvus de compassion ou d'empathie, aux remarques crues et sans filtre favorisées par l'anonymat des réseaux sociaux et leur impunité. Le lecteur peut donc aborder ce récit avec ce regard et relever l'omniprésence du téléphone portable permettant d'être connecté partout, les tweets, les selfies, les textos. Pour autant, la narration ne se complaît pas dans la description d'une appli ou d'une autre (ce qui lui évitera d'être obsolète dans cinq ans) et ne montre pas des gens qui ne font que ça de leur journée. C'est juste une réalité de la vie quotidienne qui est montrée de temps à autre, sans caractère obsessionnel ou compulsif.


L'artiste réalise des pages dans un registre descriptif et réaliste, avec une exagération des expressions de visage, et des morphologies un peu appuyées, pas caricaturales, mais pas naturalistes. De ce fait, le lecteur identifie chaque personnage du premier coup d'œil même s'il ne l'a vu qu'une fois auparavant, même s'il n'a pas retenu son nom ou son prénom. Nash Huang est éminemment sympathique : de petite taille, avec une bouille un peu ronde, un postérieur charnu, des émotions franches et visibles, et de l'énergie à revendre. Sa compagne est tout de suite reconnaissable à sa coiffure et à ses grosses lunettes rondes, d'une plus grande taille et plus élancée. Dans la séquence introductive, le lecteur note immédiatement que Vanessa Green sait se mettre en valeur avec une tenue simple et chic et un port altier. Le fan d'Huang fait peine à voir, caché derrière ses lunettes rondes, avec une casquette lui masquant une bonne partie du visage, et un vêtement de sport informe et bon marché. Jad Davies possède une classe innée qui peut faire penser à Stephen Colbert version quadragénaire. L'inspecteur Grover n'évolue à l'évidence pas dans le même monde que les gens du showbiz, avec une tenue vestimentaire pragmatique et une posture efficace plutôt qu'esthétique et recherchée. L'expressivité des personnages (visage et posture) les rend très porche du lecteur qui ressent leur état d'esprit à chaque case.


Jorge Corona s'investit fortement dans la représentation des différents environnements. Cela commence par la somptueuse villa de l'actrice, avec des détails sur l'aménagement intérieur et sur la décoration. Ça continue avec le sympathique pas de porte de la villa de Cynthia Davies, son carrelage et sa porte en bois massif. Par la suite, le lecteur observe le bazar dans le salon de Nash & Violet, les sofas confortables du bar en toiture, l'aménagement impersonnel des bureaux de la société de production de Jad Davies, le patio d'un bar, un musée dédié aux représentations de la mort et à sa mise en scène, etc. Le dessinateur sait aussi donner un élan dynamique régulièrement dans des scènes comme Nash en train de tituber après avoir découvert un cadavre, Nash s'écroulant dans un sofa, ou s'en prenant à des journalistes de la presse à scandale, le massacre d'une installation dans le musée, une voiture effectuant une sortie de route sur une corniche, etc. La mise en couleurs est de type naturaliste, soulignant discrètement le contraste entre des éléments visuels contigus, installant tout aussi discrètement une ambiance dans certaines scènes, avec une teinte dominante déclinée en nuances. La narration visuelle s'avère donc aussi vivante qu'agréable.


Finalement, Jacob Semahn raconte avant tout une histoire plutôt que de se contenter d'un pamphlet sur les méfaits des réseaux sociaux. Il sait insuffler de la vie à ses personnages : le lecteur es tout de suite séduit par le caractère de Nash Huang, son énergie, son entrain. Il est navré pour elle que son entourage réagisse aussi mal à la mise en ligne non consentie de ses ébats (qui eux étaient consentis). Le scénariste a l'élégance de ne pas trop insister sur le fait qu'elle craque sous la pression des critiques, alors qu'elle la relativisait tant que ça ne lui était pas arrivé à elle. Le niveau d'anticipation reste très faible : uniquement ces caméras-lentilles. L'auteur sait mettre en œuvre les conventions du polar et jouer avec : les deux fans très inquiétants qui se suicident, les inscriptions laissés à la peinture sur les murs des appartements (des citations de la Bible), les amis et les employeurs qui font tout pour couper les ponts avec Nash de peur d'être entraînés à leur tour dans sa disgrâce, l'enquête qui piétine faute de piste et du fait d'entretiens oraux peu révélateurs, les personnages qui continuent d'essayer de vivre normalement tout en recherchant eux-mêmes des indices. Sans oublier le tueur mystérieux qui semble capable d'apparaître et de disparaître au moment opportun, dans l'intimité de l'appartement de sa victime.


Les auteurs racontent une vraie enquête pour retrouver un harceleur fort inquiétant qui a mis en ligne une vidéo d'ébat sexuel et qui semble également prêt à faire souffrir celle à qui il voue un culte. La narration visuelle est consistante, détaillée, et met en scène des personnages riches et vraisemblables, à commencer par Nash Huang irrésistible dans son malheur comme dans ses moments plus glorieux. Alors qu'il s'attend un peu à un réquisitoire sur les dangers du harcèlement en ligne, le lecteur plonge plutôt dans un polar bien équilibré : une enquête qui permet de découvrir l'environnement social dans lequel évolue l'héroïne, ainsi que les conséquences qui découlent du fait d'avoir une image publique soumise à toutes les attaques les plus mesquines et minables possibles, et parfois dangereuses dans la vraie vie. Finalement les auteurs auraient pu se montrer plus analytiques dans la mise en œuvre des mécanismes de harcèlement.

Presence
7
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le 18 août 2020

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