Avec NonNonBâ (1977), Shigeru Mizuki nous livre un manga à la croisée des mondes, entre l’enfance, les esprits yōkai, et les réalités parfois cruelles de la vie rurale japonaise d’après-guerre. Ce récit autobiographique teinté de fantastique est une plongée touchante et fascinante dans l’imaginaire d’un enfant, guidé par une vieille femme qui a fait de la superstition un art de vivre. C’est une œuvre empreinte de tendresse, de poésie, et d’une belle dose de frissons.
L’histoire suit Shigeru, un jeune garçon curieux et rêveur, qui grandit dans un village où la tradition côtoie la modernité naissante. Sa vie change lorsqu’il rencontre NonNonBâ, une vieille femme qui lui raconte des histoires de yōkai – ces créatures fantastiques du folklore japonais. Entre les légendes effrayantes et les vérités universelles qu’elle distille, NonNonBâ devient une sorte de grand-mère spirituelle pour Shigeru, l’aidant à naviguer dans un monde où les adultes ne sont pas toujours aussi sages qu’ils en ont l’air.
NonNonBâ est le cœur battant de ce manga. Avec son franc-parler, sa sagesse ancrée dans les traditions, et sa bienveillance parfois rugueuse, elle incarne à la fois le guide et l’amie improbable. À travers ses récits, le folklore japonais prend vie, et le lecteur se retrouve aussi captivé que Shigeru par ces histoires de monstres et d’esprits malicieux. Mais plus qu’un simple passeur de légendes, NonNonBâ est une philosophe du quotidien, offrant des leçons de vie déguisées en anecdotes surnaturelles.
Visuellement, Shigeru Mizuki alterne entre un style réaliste et des illustrations plus fantasmagoriques. Les décors, minutieusement détaillés, capturent l’essence du Japon rural avec une précision documentaire, tandis que les yōkai, avec leurs designs grotesques ou mystérieusement charmants, semblent surgir d’un autre monde. Ce contraste entre réalisme et fantastique donne au manga une atmosphère unique, où la frontière entre les deux mondes est aussi fine qu’un brin d’herbe.
Narrativement, NonNonBâ est un mélange de récits initiatiques, de contes folkloriques, et d’anecdotes de la vie quotidienne. Mizuki tisse avec brio des histoires où l’émerveillement de l’enfance se confronte à la dureté du réel. La mort, la pauvreté, et les conflits familiaux ne sont jamais loin, mais ils sont toujours abordés avec une humanité qui les rend profondément touchants.
Là où NonNonBâ excelle, c’est dans son équilibre entre humour, émotion, et frissons. Les interactions entre Shigeru et NonNonBâ sont souvent drôles, surtout lorsque cette dernière dédramatise les situations les plus absurdes. Mais le manga sait aussi émouvoir, notamment dans sa manière de capturer la vulnérabilité de l’enfance et la beauté des liens intergénérationnels.
Si l’on devait chercher un défaut, ce serait peut-être le rythme un peu lent par moments, mais cette lenteur sert aussi à immerger pleinement le lecteur dans cet univers où chaque détail a son importance.
En résumé, NonNonBâ est une œuvre magistrale qui mêle folklore, émotion, et une pointe d’effroi avec une délicatesse rare. Shigeru Mizuki nous rappelle ici que les histoires de monstres et d’esprits sont aussi des histoires d’humanité, et que parfois, les plus grandes leçons viennent de ceux que l’on écoute trop rarement. Une lecture qui émerveille autant qu’elle émeut, et qui donne envie de croire, au moins un peu, aux yōkai.