Noragami
6.8
Noragami

Manga de Adachitoka (2010)

La même chose, mais au féminin

« Gnagnagna Shônen-contemporain », « Gneuhgneuhgneuh poncifs partout et originalité nulle part », « Gnignigni personnages écrits sans profondeur ».


Seigneur, je crois avoir écrit tant et tant sur les vagues incessantes de Shônens écrits sans inspiration que j’en viens à être excédé de mes propres remarques. Non pas qu’elles soient mal fondées, ça non alors ; simplement parce qu’elles se répètent inlassablement.


Est-ce moi qui radote comme une petite vieille acariâtre ? Je le souhaiterais, croyez-moi bien. Mais « répétition » est chez moi est un implacable synonyme de « confirmation ». On ne m’a jamais fait l’offense de dire que je manquais de variété dans les critiques que j’énonce, mais si la chose devait un jour se formuler, je réponds ici, par avance, que les contenus même que je suis amené à critiquer ne prennent pas la peine de varier non plus. Certains critiques sont peut-être pourvues d’une acuité analytique si élaborée qu’elles peuvent évaluer les nuances perçues d’un étron à l’autre ; je n’en suis pas. Nonobstant la forme dont ces derniers ont été démoulés, je n’en démords pas ; si ça a une odeur de merde et que ça en a la substance, c’est que c’en est et que toute addition à ce constat ne serait que babillage stérile.

Pourquoi m’obstiner à marcher dedans alors si l’odeur m’est si insupportable ? Mais parce qu’il s’en trouve d’autres pour s’en gargariser à pleine gueule. Aussi, c’est faire œuvre de salubrité publique que de dire – et répéter – qu’il ne faut pas toucher à ça.


Noragami n’est certainement pas le pire du panier à Shônens, mais, comme tant autres, ce titre s’inscrit dans le même courant que tout ce qui se fait depuis bien longtemps. Je vous parle alors d’un courant qui évoque les flots du Gange, là où cadavres et pestilences diverses s’y déversent à foison pour s’y écouler paisiblement. Ah oui, le Shônen, décidément aura été considérablement sali ces dernières décennies. Je n’idéalise évidemment pas les Shônens d’antan ; des œuvres peu inspirées et rattachées au genre, il y en a depuis les débuts… mais on ne les encensait pas. Or, pour avoir parcouru le top 100 Shônen SensCritique en espérant – sans me faire trop d’illusion toutefois – tomber sur une pépite insoupçonnée, j’observe d’un regard consterné que Noragami y figure. À l’heure où j’écris ces lignes trempées dans les larmes et la bile, j’observe même qu’il trône plusieurs place au-dessus de Phantom Blood. D’où la critique… ne serait-ce que pour remettre l’église au milieu du village… et l’incendier ce qu’il faut pour que le propos de ma critique soit suffisamment clair et intelligible.

Encore une fois, Noragami n’est pas le pire, mais il tombe mal… aussi prendra-t-il pour les autres qui, eux aussi, vont prendre à leur tour. Y’aura pas de quartier.


Parlons des dessins ; de la surface avant de plonger plus profondément dans le marasme. Ceux-ci, relativement aboutis, notamment pour y rapporter les éléments surnaturels n’ont, en dehors de ce seul premier aspect, aucune empreinte stylistique qui leur soit propre propre. J’ai bien cru percevoir des traces d’un Takeshi Obata considérablement avili dans les traits. Considérablement, oui ; car même un algorithme peinerait à le distinguer entre mille autres analogues. C’est le dessin typique qui vient en tête de ceux qui ne lisent pas de mangas quand on leur parle justement « manga ». Aller jusqu’à parler de « parodie » serait excessif en ce sens où la qualité du trait déborde quand même sur une partie des Shônens qui se font aujourd’hui, mais il y a ce côté standardisé et usiné en série qui fait de ce style un élément quelconque qui serait à la fois le produit de tous et de personne.


Voilà qu’on se plaît à recréer – ENCORE – du Bleach avec vingt ans de retard. C’est vrai que Tite Kubo est une valeur sûre pour ce qui concerne l’instauration de ses prémices. Le décor était bien planté, les personnages attachants et le concept scénaristique était quant à lui à la fois simple et sympathiquement exploité. C’est indubitablement s’en remettre à une source potable que de venir y puiser… à condition de ne pas venir écoper avec ses mains dégueulasses.


Les Shinigamis n’étant ici que des dieux mal définins, les monstres géants et hideux – mais invisible aux yeux des non-initiés – le contexte estudiantin… vous aurez beau vous crever les yeux, vous ne pourrez malgré tout y voir que la trame de Bleach. Mais une trame laminée par une écriture hésitante et un manque flagrant d’idées nouvelles, que ce soit pour le concept artistique ou le fond qui s’en tient ici à la surface. Les personnages sont antipathiques. Une première jeune fille est victime de harcèlement à son école… sans qu’on ne sache pourquoi. On la traite même de laideron alors qu’elle est présentée plus mignonne qu’un chaton. Elle n’est victime que parce que le scénario le commande et non pas parce que la mise en scène le démontre.


Quant aux personnalités... quelles personnalités ? Jouer les faux exubérants ou bien les placides monolithiques n’a jamais été considéré comme un trait de caractère, mais comme un moyen piteux d’aménager le vide constitutif de l’existence de nos protagonistes. Sans aspérité aucune, mimant vaguement la profondeur pour espérer dissimuler les carences dont ils sont faits, ces protagonistes, je les ai vus mille fois ailleurs alors que je n’ai pourtant jamais pu les souffrir. Des archétypes mornes et sans imagination qui ne trouvent pas le moyen d’être placés sous une lumière à même de les faire resplendir. Des personnages dont la personnalité n’est pas franchement développée et qui trouvent le moyen d’être plaisants malgré tout, ça existe, encore faut-il maîtriser quelques rudiments de mise en scène pour que la chose s’accomplisse.


Le trait se rapportant à la patte de Takeshi Obata se sera progressivement montré plus envahissant à force d’être exposé sous ma rétine que je croyais relire un Platinum End d’où l’on aurait évacué tout ce qui avait pu faire le sel de l’œuvre. Je commençais à trouver l’œuvre très féminine dans ses tons et ses expressions, ce n’est dont que sur le tard, passé les deux premiers volumes, que j’en vins à glaner des informations sur son auteur qui, alors, était effectivement une femme. On aura beau le dire, le crier et le scander en nous plaçant une lame sous la gorge, un homme et une femme, c’est clairement deux psychés qu’on ne peut interchanger en aucune manière. À force de m’y éprouver à cette mode du Shônen typiquement féminin, je finis comme qui dirait par le reconnaître à l’odeur mielleuse qui s’en dégage et qui en imbibe les planches à chaque fois. Exception faite de Hiromu Arakawa et de l’exquise Kyu Hayashida, j’ai toujours reconnu les mangas écrits par des femmes en quelques esquisses à peine. Ce n’est pas tant le dessin lisse et trop soigné qui les trahit, mais le caractère décidément trop doucereux qui en émane.


J’avais cru par ailleurs entrapercevoir par moments des bribes de Black Butler dans les tons graphiques, mais il est vrai que pour moi, tous les Shônens féminins se ressemblent. Ici, en tout cas, le drame se présente à heure fixe, comme commandé par une narration qui a besoin de générer artificiellement de l’intensité afin de capter son électorat de peur que celui-ci ne lui échappe. C’en est si convenu, si prévisible et si peu original que tout ce qui se présente à nous dans ce registre se rapporte à des tentatives vaines et désespérées d’agiter son lecteur.

Oh ces dialogues creux et sirupeux… ils me rappellent à chaque réplique d’une demoiselle est à l’autre bout du stylo. Des conversations aussi mièvres, pétries de lieux-communs et de bons sentiments, je m’étouffe avec à la lecture chaque fois que je m’efforce de ne pas vomir en y étant éprouvé. Qu’on se garde bien de me parler du sens de la vie dans un Shônen, le résultat ressemblera jamais à rien d’autre qu’à du Icare porté sur trampoline.


N’attendez évidemment rien des combats si ce n’est des gesticulations coutumières afin d’accomplir des coups sans portée réelle. Des coups qui, s’ils atteignent leur adversaire, ne trouveront jamais le moyen de toucher le lecteur, celui-ci s’étant assoupi devant le ballet fugace et ordinaire auquel on ne l’a trop habité depuis ces vingt dernières années de parutions Shônen.

Saupoudré de faux drames aussi bons pour la santé psychique d’un lecteur que le faux sucre pourrait l’être pour son organisme, Noragami, dans un dessin qualitatif quoi que sans âme, celui-ci étant fait d’afféteries portées sur un style déjà vu ailleurs, porte un récit banal mais qui, parce qu’il sait s’agiter dans tous les sens, tente de simuler du contenu en nous le faisant miroiter à défaut de nous le porter un jour sous les yeux. Je croyais commencer avec un énième ersatz de Bleach, et je continuais encore suffisamment longtemps pour comprendre que je relisais finalement un Pandora Hearts qu’on aurait retapé avec dix ans de retard.

Non, décidément, n’est pas Hiromu Arakawa qui veut.


Mais l’honnêteté m’astreint à reconnaître que si une telle trame avait été abandonnée entre les mains d’un mâle de la plus stricte obédience, le résultat aurait été aussi douteux, si ce n’est même pire encore. Ce ne sont pas seulement les caractéristiques féminines débordant de tous les pores de l’œuvre qui sont ici en cause, mais l’incapacité flagrante à savoir écrire quoi que ce soit ou à planifier une quelconque trame. Mais là encore… tant qu’il se trouvera des lecteurs et des lectrices pour multiplier les ovations, rien de mieux ne se fera du fait de leur erreur d’appréciation manifeste.


Je n’oublie jamais que si j’abhorre les Shônens qui se sont faits ces vingt dernières années, c’est avant tout parce que je hais d’une haine légitime ceux qui les lisent par plaisir et encouragent ces mêmes auteurs à persévérer dans leurs prévarications éditoriales. Et je crains bien que les choses ne soient pas sur le point de s'améliorer maintenant que les fonds d'investissement américains tentent des incursions orientales.

Josselin-B
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le 5 juil. 2024

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Josselin Bigaut

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