Bouleversé par la mort de sa grand-mère, Jérémie Dress propose une BD-reportage sur son voyage en Pologne, où il va chercher à voir la renaissance de la culture juive dans ce pays. La thématique est pour le moins surprenante, en effet, peut-on encore parler de la culture juive sans évoquer la Shoah ? Ne serait ce que par son titre, l’œuvre assure que oui. Rien que cela est déjà un bon signe. Jérémie Dres, de plus, s'intéresse surtout à la 3ème génération. C'est à dire les petits-enfants de ceux qui ont vécu la Shoah. Trop souvent on s'est intéressé à la seconde (Maus en tête, récit magnifique bien sur), celle des enfants des survivants. Mais celle de la troisième est difficile, pas que pour Jérémie Dres mais pour tous ceux qui ont été les enfants de la troisième génération de la seconde guerre mondiale. C'est à dire, moi-même, qui ait grandi avec les récits des bombes, de la privation, du rationnement, du maquis (j'ai eu la chance que mes grands-parents aient été résistants, j'aurais assez mal vécu le simple soupçons qu'ils aient pu être collabo), etc ...
Cependant, le récit de Jérémie Dres se pose pas mal de limite. Le style graphique tout d'abord, qui est simple, peu recherché et montre que la BD est bien moins importante que le message, que le reportage. Plutôt que d'utiliser intelligemment le format pour évoquer quelque chose de plus, il illustre très simplement le rythme narratif du voyage.
Un voyage bien court, il faut l'avouer. Or, j'ai toujours du mal avec ces voyages qui, en quelques jours, pourraient devenir révélateur d'un "moi profond", permettre de retrouver ses racines et que sais-je encore. J'y vois une volonté qu'on a à se trouver des symboles, des raisons, du sens, là où en réalité pour un véritable et profond changement, il faudrait des mois voir des années.
Enfin, l'avantage et/ou le défaut de ce recueil est surtout les points de vue. Car Jérémie Dres nous montre les points de vue de bon nombres de personnages de la Pologne, qui, globalement, répondent à cette question "c'est quoi être juif en Pologne aujourd'hui ?"
Et là, il faut comprendre que, globalement, 95% des lecteurs vont partir avec un apriori. En effet, pour le héros et son frère, la Pologne est un pays profondément antisémite, haineux des juifs où le risque est véritablement présent. Or, pour moi, pauvre néophyte, la présentation semble vraiment exagéré. Il y a presque une allure de racisme anti-polonais. On se dit donc que cette petite famille juive est totalement à la ramasse et semble encore coincé dans les années 40, que la Pologne ce n'est plus ça. La vérité semble être entre les deux et sur ce point je trouve que Jérémie Dres a particulièrement bien géré. Il a sût montré qu'il y a un héritage polonais plus antisémite que dans d'autres nations, mais qu'il prend une forme particulière (qui touche d'avantage au fait de nier la collaboration allemande) mais que ça change grandement et que le danger est majoritairement derrière. Il faut se rappeler aussi que la Pologne était, avant la Shoah, le pays d'Europe avec le plus de juifs.
C'est donc important et intéressant de voir ça, car on se cultive, comme le narrateur qui lui-même voit bien que tout n'est pas comme il le pensait.
Le problème est qu'on a plein de points de vue différent sur la notion de Juif et de Pologne aujourd'hui. Du coup, c'est des récits intéressants mais très précis qui pourraient ne pas intéresser et passionner tous les lecteurs. Pour autant, la BD se lit vite et sans grands problèmes.
Je dois avouer, pour ma part, avoir trouver la majorité des personnages dépeint dans le récit, stupide. Pas forcément les personnages qui agissent, mais ceux dont on parle. Ceux qui se découvre, à 30 ans, avoir "du sang juif" et demandent comment être juif, ce qu'il faut faire. Il y a cette vision de ce qu'est être juif qui est, à mon sens, effrayant. Car de nombreux protagonistes partagent cette idée. En gros, je dirais qu'un bon tiers des personnages (voir peut être la moitié) présents dans le récit pensent que Juif ce n'est pas une religion ni une culture. Or, de mon point de vue, penser que si, par exemple, ta mère est juive, mais que tu as été élevé dans une famille catholique, sans en avoir connaissance et que tu découvre cela à 35 ans passé, tu es quand même, malgré tout ça, juif ... Ba je trouve ça adhérent. C'est le premier pas, dans un sens, pour l'antisémitisme. Dire que des gens sont juifs parce que leurs ancêtres l'étaient, sans regard sur les croyances, la culture, l'éducation, etc ... C'est quand même assez dingue.
Or, beaucoup de personnages pensent comme ça. Beaucoup de personnages également semble s'isoler, mettre le judaïsme a part dans la culture polonaise, tellement en avant que même Jérémie et Martin Dres semblent parfois gêné, car, eux, ne sont finalement que bien peu juifs, ils le sont parce qu'ils ont été élevé ainsi. Pour eux, ça semble avoir un lien familiale, un point de leur éducation, de leur cercle sociale plus qu'un lien universel avec tous les juifs du monde.
C'est assez amusant aussi de voir que sur un même sujet, de nombreux juifs peuvent avoir des visions très différentes. On remarquera que beaucoup de jeune polonais voit le judaïsme comme étant une participation à une communauté fermée, alors que de nombreux adultes semblent beaucoup plus ouverts.
Finalement, ce récit n'est pas une œuvre majeure, c'est un reportage. Et c'est très intéressant, cependant, il ne doit jamais être vu comme offrant toutes les réponses, il demande une réflexion et invite à poursuivre ces recherches. Comme Jérémie Dres poursuit, surement encore, les siennes.