Ce recueil regroupe les 8 épisodes de la série (arrêtée brutalement faute de ventes suffisantes), parus en 1974/1975. Jack Kirby réalise tous les scénarios et les dessins. L'encrage est assuré par Mike Royer pour les épisodes 1 et 8 ; les épisodes 2 à 7 sont encrés par Bruce Berry.
Dans un futur proche, une organisation mondiale (Global Peace Agency, en abrégé GPA) a établi la paix à l'échelle de la planète. Les armées sont proscrites sur Terre. Les agents de a GPA n'utilisent que des armes défensives. Pour toutes les opérations de police requérant l'usage de la force ou d'armes, la GPA fait intervenir OMAC (One Man Army Corps). Il s'agit d'un être surhumain qui est assisté par une intelligence artificielle logée dans un satellite en orbite autour de la Terre et dénommé Brother Eye.
Le premier épisode est consacré à l'origine d'OMAC, comment Buddy Blank, un petit employé de bureau, est devenu ce soldat exceptionnel. Par la suite OMAC est dépêché sur des missions impliquant une résurgence du crime organisé, un dictateur ayant organisé une armée illégale, un trafic d'organes à grande échelle, et un vol à grande échelle des ressources en eau de la planète.
Il s'agit donc d'une série de science-fiction de Jack Kirby, avec un parfum de superhéros lié au costume d'OMAC et à sa force gigantesque. Toutefois les situations conflictuelles imaginées par Kirby prennent avant tout leur source dans l'anticipation et une projection des risques éthiques générés par les avancées scientifiques. Dès la première page, Jack Kirby le scénariste et Jack Kirby le dessinateur en donnent pour leur argent aux lecteurs. Cette image de femme encadrée par ses 2 jambes nues forme une composition aussi troublante que dérangeante et étonnement sensuelle.
Le trafic d'organe propose également une forte probabilité de dérive des applications scientifiques et génétiques au profit de la couche de population qui dispose des plus forts revenus. Le scénariste joue le jeu de l'anticipation pour aborder des thématiques qui restent encore d'actualité de nos jours.
La série reprend des codes de superhéros : les conflits réglés par la force physique, le héros courageux et désintéressé (presque dépourvu de personnalité après son remodelage en OMAC), les criminels commettant des actes définitivement répréhensibles, etc. Kirby utilise également Brother Eye à la manière d'un deus ex machina, un peu trop voyant. D'un coté il y a cette superbe idée de placer l'intelligence artificielle comme un oeil ayant vu sur la terre entière (l'oeil de Dieu). De l'autre il s'en sert pour donner plus de pouvoir à OMAC ou pour envoyer un rayon destructeur afin de faire basculer le rapport des forces en présence et de donner la victoire facilement à OMAC. Il y a également quelques passages dans lesquels les principes de base de la science sont accommodés à la sauce comics pour les besoins de l'intrigue.
Coté graphique, Jack Kirby est en grande forme. Les scénarios donnent l'impression qu'il peut enfin parler de choses qui lui tiennent à cœur, les dessins possèdent l'énergie légendaire du King, avec des scènes inventives et marquantes. Outre cette première pleine page d'une totale étrangeté, le lecteur retrouve la capacité de Kirby à aller vers l'épure, et même vers l'abstraction. Pour l'épure, il y a cet œil artificiel en orbite qui flotte tel un disque géométrique au milieu d'énergies cosmiques impossibles. Kirby ne représente pas la réalité, il l'interprète, il la transforme en une source de merveilleux.
Brother Eye a droit à une double page dans l'épisode 4 qui exprime à la fois la naïveté du concept (des rayons d'énergie multi-usage transmis à OMAC sur terre, une myriade de corps spatiaux impossibles (de simples ronds de couleurs), et à la fois l'essence même de cette présence omnipotente. L'arrière plan cosmique se transforme en un tableau d'art abstrait exprimant l'idée du vide spatiale et des merveilles inconnues qu'il recèle. Et du coup Brother Eye apparaît pour ce qu'il est : un deus ex machina, l'incarnation même du créateur Jack Kirby dans son comics. Cette façon de dessiner les décors comme un élément pictural renforçant l'ambiance, débarrassé de toute obligation de réalisme (une spécialité de Kirby) imprègne les premiers épisodes et se généralise à partir de l'épisode 6 pour des pages magnifiques où la technologie d'anticipation, mais aussi les murs de maçonnerie, les bâtiments, les armes futuristes sont habitées par une vision conceptuelle suggérant qu'une dimension inconnue et ancienne est là sous nos yeux. L'environnement regorge de points de passage vers cet ailleurs.
Ce mode de représentation qui accentue les figures géométriques et les ombrages déconnectés des sources de lumière va jusqu'à transfigurer la nature également : une double page hallucinée des fonds sous-marins privé d'eau dans l'épisode 7. Pour le plus grand plaisir du lecteur, Bruce Berry encre de manière respectueuse les crayonnés de Kirby (il y a quelques pages crayonnées sans encrage dans le volume, en plus des épisodes), même s'il manque un peu de sensibilité. Les 2 épisodes (1 & 8) encrés par Mike Royer sont parfaits : il parachève les dessins de Kirby en respectant ses traits et en les épurant discrètement.
Bien sûr cette manière de transformer les décors en composants artistiques proches de l'abstraction n'est pas spécifique à la série OMAC, il est possible de l'observer dans d'autres séries de Kirby. Mais ce tome en contient un exemple remarquable. Cette approche graphique plus sophistiquée qu'il n'y paraît (peu de dessinateurs de comics maîtrisent cette technique d'abstraction) est encore renforcée par une imagination visuelle exceptionnelle.
Jack Kirby (le scénariste) concocte des situations à fort potentiel visuel, magnifiées par Jack Kirby le dessinateur : ces femmes objets à monter soi même, des mannequins à tabasser pour employés de bureau stressés, 2 tueurs costumés pour mardi gras, un monstre fantasmagorique dans une réalité virtuelle (double page inoubliable, avec une texture à mi-chemin entre la peau et la pierre), un camion démesuré porte-hélicoptères, une batterie de tank congelés, des cœlacanthes antédiluviens, etc. L'imagination de Kirby ne connaît aucune limite et il marie avec brio une anticipation perspicace avec des archétypes jungiens.
Malheureusement OMAC s'est arrêté en cours d'histoire et il aurait fallu un épisode pour boucler la dernière intrigue. Toutefois, ne vous laissez pas arrêter par ce détail de peu d'importance au regard du plaisir exceptionnel de lecture que procure cette œuvre d'anticipation adulte, aux illustrations en prise directe avec une réalité fantastique, ce qui fait facilement oublier quelques facilités naïves du scénario.