Ce tome fait suite à Oblivion song T02 (épisodes 7 à 12) qu'il faut avoir lu avant. Il regroupe les épisodes 13 à 18, initialement parus en 2019, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Lorenzo de Felici, mis en couleurs par Annalisa Leoni.


Trois ans plus tard, dans la dimension d'Oblivion, un gros monstre à quatre pattes avec des grandes dents et une bouche baveuse se dirige vers un groupe de quatre individus en provenance de la dimension de la Terre, et récupérant de matériaux. L'un d'eux note la présence de la créature, et a juste le temps d'envoyer le container vers Philadelphie sur la Terre. Leur chef ordonne aux autres d'activer leur transférence, pendant qu'il attire l'attention de la créature sur lui. Il parvient lui aussi à réaliser la transférence vers le camp à l'extérieur de Philadelphie, alors que le monstre s'apprête à lui sauter dessus. Devant lui se tient Cynthia qui l'accueille et le remercie pour leur avoir donné le temps de revenir. Mais le général Ward arrive juste à ce moment-là en jeep, et en tant que directeur de la base, il exige que Marco lui fasse un rapport détaillé de la mission, même si en toute rigueur, Marco fait partie de la fondation Bridget & Duncan Freeman, et pas de l'armée. Le soir même dans la salle de conférence d'un grand hôtel, Heather effectue un discours pour rendre compte des avancées de la Fondation, avec Duncan à ses côtés. Les fonds gouvernementaux et les dons privés ont permis à la Fondation de se développer rapidement pendant ces deux dernières années. En particulier, les échantillons collectés dans Oblivion ont permis de développer de nouveaux antibiotiques, sauvant des milliers de gens, en éradiquant la malaria, le choléra et tant d'autres maladies. Il devrait être possible d'en développer pour de nombreuses autres maladies. Oblivion s'est révélé être une source abondante de matériaux biologiques et il y a encore de nombreuses voies à explorer. Grâce à l'aide des personnes présentes dans la salle, la Fondation continue de rendre le monde meilleur.


Bridget et Duncan quittent l'estrade, ce dernier remerciant la première car c'est elle qui a fait le plus gros. Une fois revenue chez elle, Heather prend sa douche, se change, et est toujours autant attristée par l'absence de son conjoint. Nathan Cole continue de purger sa peine de prison. Son codétenu le remercie d'avoir réparé sa brosse à dent électrique qui fonctionne même mieux qu'avant, alors que Nathan continue sa série de pompes. Un gardien vient le chercher car il est convoqué par le directeur. En passant par le réfectoire, Sam, un autre détenu, lui demande de réparer sa lampe de lecture. Nathan s'y engage et continue de suivre le gardien. Il est reçu par le directeur Ward en personne qui lui demande de s'assoir. Il l'informe des dernières avancées des chercheurs travaillant sur la théorie scientifique de la transférence. À nouveau, ces travaux confirment que l'engin construit par Cole ne disposait pas d'une énergie suffisante pour déplacer un tel quartier de Philadelphie. Il a dû être boosté par une source extérieure.


Le lecteur avait terminé le tome 2 sur une révélation qui lui avait fait comprendre sur l'instant qu'il était hors de question qu'il en reste là, tout en se faisant une idée assez claire dans sa tête de la direction que pouvait prendre la série : un affrontement entre humains et des extraterrestres dotés d'intentions belliqueuses. En commençant ce nouveau tome, il se rappelle à quel point le scénariste maîtrise l'art et la manière de donner envie de lire une histoire, de distiller les mystères et le suspense, de surprendre son lecteur par une situation ou un événement inattendu, et en même temps totalement cohérent et logique avec ce qui précède. Comme à son habitude, il commence par une scène d'action pour retenir l'attention du lecteur. Celle-ci est assez brève, 3 pages, tout en étant plus que simplement fonctionnelle, grâce au savoir-faire du dessinateur qui insuffle de la vie et l'originalité dans ce monstre. Bien évidemment, ce n'est pas la seule scène d'action. Une autre commence à la fin de l'épisode 13 et se déroule sur 13 pages, sur la dynamique d'une course-poursuite haletante dans la végétation extraterrestre d'Oblivion. À nouveau, la narration visuelle atteste de l'implication de l'artiste : apparence des monstres, plan de prise de vue clair et accentuant les mouvements, panique ressentie face à des êtres incompréhensibles dans un environnement défavorable aux hommes.


Par la suite, le lecteur se retrouve tout autant sur le bord de son siège, avec sa respiration qui s'accélère pour l'attaque de la ville dans les hauteurs des arbres, une nouvelle exploration dans les ruines de Philadelphie dans Oblivion avec un affrontement contre des créatures armées, un magnifique vol au-dessus de la forêt sur une créature inquiétante, une opération de sauvetage désespérée dans la ville arboricole défoncée avec un éprouvant combat physique au corps à corps. À chaque fois, le lecteur est frappé par les ressentis des personnages, passant de la panique, à l'agressivité, de la résolution à l'acceptation de la défaite. Il se rend compte qu'il peut suivre chaque déplacement, chaque mouvement, y compris lors d'une filature compliquée dans les ruines, le poursuivant veillant à rester indécelable. L'artiste sait réaliser des découpages immédiatement lisibles, tout en incluant des cases ou suite de cases jouant sur un moment spectaculaire, la violence d'un coup, le péril vital d'une situation ou d'une position. Il y a là une complémentarité et une coordination remarquable entre scénariste et dessinateur pour parvenir à ce degré de tension, tout en s'astreignant à ce que chaque case participe à la progression de l'intrigue, à la narration, sans jamais donner l'impression de n'avoir été réalisée que pour en mettre plein la vue.


L'intrigue progresse également pendant les moments civils sans action ou danger grave et imminent. Le lecteur est devenu familier de chaque personnage qu'il reconnaît aisément et qu'il retrouve avec plaisir, chacun disposant d'une personnalité différente. Même sans y prêter une attention particulière, il perçoit ces petits moments dans lesquels un regard ou une posture en disent tellement avec une justesse extraordinaire. Impossible de résister à la mauvaise foi toute diplomatique du regard de Marco se retournant vers le général Ward, au regard plein de reconnaissance de Duncan envers Heather, le regard attristé de cette dernière en regardant la place vide dans le lit double, et son regard plein de bonheur un autre jour en voyant cette même place avec les draps chiffonnés, la gêne irrépressible de Nathan se retrouvant sous le regard de ses anciens collègues, sa colère frustrée en contemplant le mur des disparus, la posture de soumission et de résignation d'Edward Cole quand le général Ward s'adresse à lui, etc. À chaque fois, le lecteur ressent une empathie immédiate avec ces personnages, avec leur état d'esprit. Du coup, ils s'en trouvent tous fortement individualisés, uniques, et proches, sans que le scénariste n'ait besoin de recourir à des bulles de pensée, ou à des cartouches explicatifs.


Bien sûr, le lecteur est venu pour l'intrigue qui présente un fort potentiel. Nathan Colle finira-t-il ses jours en prison ? La communauté installée dans Oblivion est-elle vouée à une extinction progressive ? Quel peut être le modèle de développement entre Philadelphie et Oblivion ? Cela s'achemine-t-il vers un pillage de ressources pour une société ogresse dévorant tout ? Voire, cette exploration, va-t-elle prendre une forme de conquête militarisée ? Comme d'habitude, Robert Kirkman surprend son lecteur. L'ellipse temporelle de trois ans fait sens, pour donner le temps à la société humaine de s'organiser et de digérer l'existence d'Oblivion, pour que la situation des personnages évolue un peu, pour que les menaces se précisent. Car la dernière page du tome précédent ne laissait planer aucun doute : il y a une vie intelligente en Oblivion. De la même manière que Lorenzo Di Felici sait faire preuve d'une sensibilité nuancée, le scénariste sait exposer ou clarifier des situations sans dicter au lecteur ce qu'il doit en penser. En plus du thème de l'opposition d'une vie moderne et urbaine à une vie plus simple sur Oblivion, le récit charrie le poids de la culpabilité, de la rédemption, de la réintégration, des expériences de vie marquantes éloignant des conjoints, du contact agressif ou non avec l'autre, de l'insolubilité de l'altérité, du rapport à l'autorité entre rébellion et soumission, de l'intérêt commun. Kirkman ne martèle pas ces thèmes, ne pontifie pas : il les met en scène laissant le lecteur libre de les y voir, d'y accrocher ou non.


Ce troisième tome confirme l'excellente qualité de cette série, tant pour son intrigue, que pour ses dessins, que pour la sophistication de la narration complémentaire entre artiste et scénariste, que par les questionnements adultes qu'elle induit. Bien sûr les personnages principaux s'apparentent à des héros, mais leurs actions leur font porter une culpabilité complexe loin de tout manichéisme. Kirkman pousse même le bouchon assez loin sur ce plan-là quand un personnage fait remarquer à Nathan Cole que finalement le crime qu'il a commis et qui a provoqué la mort de centaines de personnes a permis d'en sauver des milliers plusieurs années après, ce qu'il ne pouvait aucunement prévoir. Une réelle provocation à partir du principe d'un mal pour un bien.

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le 29 oct. 2021

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