Ce tome fait suite à Oblivion Song T03 (épisodes 13 à 18) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome car il s'agit d'une histoire complète en 36 épisodes. Celui-ci regroupe les épisodes 19 à 24, initialement parus en 2019/2020, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Lorenzo de Felici, mis en couleurs par Annalisa Leoni.


Dans la réalité d'Oblivion, Lucy tient son nourrisson Scott dans les bras, dans la cellule qu'elle partage avec une demi-douzaine d'autres habitants du village d'Oblivion. Un des sans visage entre dans la cellule : il désigne Brian en indiquant qu'il est venu le chercher, il va l'aider à s'évader. Brian le suit dans le dédale vide de toute personne. Au bout d'un certain temps, il demande si c'est bon, s'il a réussi à s'évader. Le grand anthropoïde filiforme se retourne vers lui et lui répond que malheureusement pas du tout, en lui tordant la tête, jusqu'à lui briser la nuque. Dans la cellule, Lucy réconforte son enfant en indiquant qu'il va revenir pour les chercher. Dans son appartement, Keith est attablé avec sa femme et sa fille Krissy. Celle-ci s'émerveille des explications de sa mère sur la vie à Philadelphie, en particulier le principe d'avoir une voiture, même s'il faut attendre 16 ans pour passer son permis. Puis elle sort de table pour aller préparer sa leçon, incitée par sa mère. Cette dernière se retourne vers son mari et lui demande s'il va bien. Il explique qu'il pensait à tout ce que sa fille est en train de rater et si ce qu'ils font en vaut la peine. Il commence à se dire que les autres ne méritent pas ce qu'ils sont en train de subir. Sa femme s'emporte : après tout ce qu'ils ont consenti comme sacrifice, là où ils en sont arrivés. Tant pis si les sans-visages veulent plus d'humains à disséquer, il est hors de question qu'elle et sa famille retourne au village. Keith acquiesce. Il sort : il voit des humains entravés subir des expérimentations douloureuses. Il se fait interpeller par un sans-visage lui indiquant que le seigneur Halaak veut le voir.


Les sans-visages sont assoupis en position accroupie dans le grand hall de sommeil. L'un d'entre eux se lève et dirige vers la salle des audiences. Plusieurs autres l'attendent de part et d'autre de l'escalier et le revêtent de sa tenue cérémonielle, un élément supplémentaire à chaque marche. Majestueux, il pénètre dans la grande pièce et salue Keith, le remercie pour ce qu'il a fait. Grâce aux humains qu'il a ramenés, les réponses vont arriver beaucoup plus rapidement. Lord Halaak continue : il ouvre sa main droite dans laquelle se trouve une cartouche de transférence. Keith indique qu'il en a déjà vu, ce qui déclenche une réaction agressive : Halaak le saisit par la cheville et le tient au-dessus du sol, la tête en bas. Il l'accuse de lui avoir dissimulé cette information, et que ces cartouches permettent à certains humains de disparaître. Keith se défend : il n'en sait rien. Il a rencontré un homme qui en avait et qui lui avait dit qu'il pouvait rentrer chez lui avec, mais Keith n'a aucune certitude. Halaak le relâche, le laissant tomber à terre, et il exige de Keith qu'il trouve la vérité. Ce dernier le promet et sort. Ghozan Dakuul, un autre sans-visage, fait son entrée dans la pièce.


La dernière page du tome 3 confirmait l'existence d'individus dotés d'intelligence dans Oblivion, ainsi que leur alliance avec un individu croisé dans le tome 1 : Keith, banni du village d'Edward Cole. Le lecteur est revenu pour ce quatrième tome car il sait que le scénariste ne décevra pas : un savant mélange d'intrigues et de révélations, d'actions et de combats, avec des personnages étoffés dans lesquels le lecteur peut se projeter, et des thématiques sous-jacentes plus nuancées qu'on pourrait s'y attendre. Ça ne rate avec ce tome et il commence très fort. La femme et le fils du frère du héros ont été capturés par les créatures anthropoïdes surnommées sans-visages. L'une d'entre elles, Ghozan Dakuul, vient faire évader un prisonnier de la même cellule que Lucy. La narration visuelle est impeccable : montrant la cité extraterrestre en extérieur avec une ambiance lumineuse nocturne, l'intérieur des cellules avec une ambiance lumineuse rouge évoquant le danger, la créature élancée et de haute taille par rapport aux humains, les passages intérieurs de la base présentant un agencement pas tout à fait compréhensible par un être humain, et l'action meurtrière de Dakuul, avec du sang sur les mains, pour finir par une dernière case de la largeur de la page en plan rapproché sur Lucy et son fils Scott. Le scénariste peut se reposer sur ce qui est montré, n'ayant besoin que de brefs phylactères pour l'intrigue. La dernière case arrivant comme la conclusion de cette scène de 4 pages suffit à installer le suspense : le tour de Lucy et son fils est proche. Le lecteur a peut-être en tête que l'histoire est prévue en 36 épisodes, et il constate qu'elle avance rapidement, les deux étant certainement liés. Cette sensation de ne pas lambiner ajoute encore à son plaisir de lecture.


Robert Kirkman dispose de toute la latitude qu'il veut pour construire et structurer son histoire. Il y a bien un responsable éditorial d'indiqué : Sean Mackiewicz, avec une assistante Kate Caudill. Mais l'auteur a acquis une stature hors norme avec le succès de sa série The Walking Dead, et dans une moindre mesure avec Invincible. Le travail de supervision doit être à la fois très facile, à la fois mission impossible. D'un côté, il s'agit d'un auteur disposant d'un savoir-faire éprouvé à qui il est possible de laisser bride abattue ; d'un autre côté, comment dire à un auteur d'une telle envergure que sa copie mérite des retouches. Quoi qu'il en soit, Kirkman met à profit sa liberté d'auteur, tout en respectant scrupuleusement les contraintes du média qu'il a choisi pour s'exprimer. Ainsi, même s'il n'y a pas de coupure entre chaque chapitre, le lecteur ressent bien ces suspenses présents à intervalle régulier, correspondant à la fin de chaque épisode. Ensuite, le scénariste ne gère pas le découpage de son récit uniquement à l'horizon des 20 pages par numéro. Par exemple, il ne s'oblige pas à avoir un affrontement physique dans chaque chapitre de 20 pages. Tout en prêtant une attention sans faille au rythme de sa narration, il peut très bien se focaliser sur des discussions, des prises de décisions, et des déplacements pendant un numéro, et en consacrer un autre uniquement à une scène d'action. Le lecteur ne prête pas forcément attention à cette cuisine interne, mais il ressent un récit à la fois rythmé, à la fois raconté de manière différente des comics de superhéros mensuels.


Côté intrigues et révélations, le lecteur est servi : il en apprend plus ces mystérieux sans-visages, leur objectif, leur façon d'être, et pour partie la structure de leur société. D'une certaine manière, le récit a basculé d'une exploration, à une première rencontre avec une autre race. Il y a bien sûr conflit, mais comme à son habitude le scénariste se montre très fin pour brouiller les frontières entre bien et mal, chaque côté disposant d'une justification souvent très similaire. Là encore, le travail de l'artiste apporte beaucoup en rendant les extraterrestres vraiment étrangers à la race humaine, tout en conservant une morphologie anthropoïde de manière qu'ils puissent quand même interagir facilement avec les hommes. Il a imaginé des tenues spécifiques pour eux, avec des différences interprétables par le lecteur pour qu'il puisse distinguer entre les fonctions des meneurs. Bien évidemment, le lecteur se retrouve a priori du côté des humains, sauf de Keith, et contre les extraterrestres, ne serait-ce que par instinct de race. Mais les soldats n'hésitent pas à tuer, certes quand ils sont attaqués, et tous les extraterrestres ne sont pas des agresseurs. De la même manière que toutes les factions humaines ne partagent pas toutes les mêmes objectifs et les mêmes méthodes, les extraterrestres non plus. C'est plus compliqué que ça.


Les personnages continuent à être complexes et façonnés par leur histoire personnelle, avec des attitudes physiques qui le montrent. L'artiste sait faire fait apparaître les émotions sur les visages, mais aussi les états d'esprit. Par exemple, le lecteur éprouve une forte empathie pour la compagne de Nathan Cole, comprenant très bien les valeurs et les élans du cœur qui poussent Nathan à l'action quelle que soit l'importance du danger : elle se retrouve déchirée entre son admiration pour lui du fait de ces valeurs, et sa mise en danger au péril de sa vie, le poussant à l'abandonner elle. Il est de tout cœur avec Lucy se raccrochant à toute bribe d'espoir pour pouvoir rassurer son bébé et espérer qu'il survivra à cet emprisonnement. Il note qu'il comprend tout à fait le point de vue du général Ward et qu'il admire le capitaine Marco pour son professionnalisme, son sang-froid pour prendre la bonne décision, et sa capacité d'adaptation. Nathan Cole n'est pas le seul héros, et son frère Edward continue d'être lui aussi imparfait. De manière sous-jacente, les thématiques continuent de courir, en particulier la culpabilité de Nathan qui ne disparaît pas comme enchantement, qui continue de le tarauder même si elle a perdu en intensité, et dont ses proches ont bien conscience. Ces éléments nuancés et sophistiqués n'obèrent en rien le suspense de l'opération militaire menée pour délivrer les prisonniers dans la base des extraterrestres, un grand moment d'action avec une planification aux petits oignons.


Robert Kirkman continue d'épater le lecteur par sa science de la composition du récit, l'équilibre parfait entre ses différentes composantes action + intrigue + émotion. La narration visuelle est fluide et inventive, au point que le lecteur peut ne pas y prêter attention, alors que Lorenzo di Felici se montre aussi habile à faire s'incarner les personnages qu'à transporter le lecteur dans un ailleurs intriguant face à des extraterrestres très bien imaginés et animés.

Presence
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le 20 nov. 2021

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