Le dessin ? Du Master Keaton déteint sur du City Hunter, des esquisses dont les trames graphiques auraient alors été plus acérées et noircies pour les besoins de l’œuvre. La marque du temps ; de la décennie, y est en tout cas lourdement perceptible Le scénario ? Quelque chose dont j’espère qu’il n’aura rien à voir avec l’adaptation cinématographique du manga.
Old Boy, nous y voilà.
La scénographie de la première page, mal agencée, est si peu limpide qu’on ne comprend trop ce qui se passe ou s’est passé. N’aurais-je pas vu le film ou lu le synopsis que je n’aurais en tout cas pas exactement compris ce dont il en retournait. Le prélude est en tout cas rapide pour nous jeter dans le vif du sujet sans traîner des pieds ou hésiter dans sa trajectoire. Nobuaki Minegishi, en trempant pour la première fois sa plume dans l’encrier, savait où se dirigerait et se conclurait son ouvrage. Le récit n’en ressort que plus appréciable de ce fait. L’œuvre ne cherche pas ici à durer, mais à raconter.
Goto, tout juste sorti de sa prison privée, s’improvise Terminator. Et ça pourquoi ? Mais parce qu’il a fait des pompes et regarde la télé pendant dix ans ma brave dame. Parfaitement. Faites-en autant et vous pourrez parer les attaques au couteau de quatre charmants jeunes gens en pleine nuit.
Même les motivations du pouvoir de Saitama sont mieux écrites. Et pourtant, elles se voulaient parodiques.
Pour un homme méfiant, le voilà bien ingénu le protagoniste. Tout juste sorti de sa cage, le soir même, une jeune fille l’invite spontanément à venir dormir chez elle et lui offre sa virginité en dépit de sa dégaine de clochard patibulaire. Et il ne se doute de rien. Si encore on justifia son imprudence par le besoin d’être avec une femme après si longtemps ; mais il se montrera froid à toute approche potentiellement chaleureuse, occupé plutôt à regarder devant lui en fumant sa cigarette. Voilà ce qui arrive quand on regarde trop la télé.
Qui, au juste, paye trois-cent millions de yens – soit environ deux millions d’euros – sans qu’à un moment donné le fisc ne trouve curieux que tout cet argent circule d’un coup ? Faut s’accrocher fermement pour pas la lâcher la suspension de crédibilité. Parce qu’à bien y regarder, elle plane.
L’enquête du personnage principal met en tout cas du temps à démarrer. On nous relate, près d’un tome durant, ce que l’on sait déjà où que l’on aurait en tout cas pu deviner par nos propres moyens. Un huitième de l’œuvre – sans compter les innombrables cases sans une ligne de dialogue et où rien ne se passe – à ne rien faire avancer, c’est long.
Puis, sur les chantiers, usant d’un je ne sais quel « Spider Sens », Goto nous dit qu’il « sent » ses ennemis approcher. N’ayant pas la télé à la maison, j’ignore s’il est possible de développer pareille capacité à force de s’y exposer. Je sais en tout cas que, ne pas la regarder, cette télé de merde, permet encore de préserver ce qu’il faut d’esprit critique pour déterminer une avarie dans un récit. Et si je n’en avais repéré qu’une…
Cet homme qui n’avait aucune compétence particulière avant d’être interné dix ans dans une prison clandestine, à sa sortie, peut repérer une filature en trois coups d’œil.
En dépit des quelques réserves quant aux raccourcis opérés pour faire de Goto un surhomme, Old Boy se lit comme un chouette polar sans qu’on n’ait vraiment envie d’arrêter sa lecture. Le récit est assez bien conduit pour nous amener à vouloir en savoir davantage sans avoir recours à quelques procédés tapageurs pour créer du suspense en fin de chapitre. C’est un roman noir écrit et dessiné avec du blanc entre les lignes. Pas un qui soit grandiose pour ce qui tient à l’enquête ou aux personnages – quoi que ceux-ci ne sont pas insupportables –, mais un polar qui se laisse lire en tout cas.
Rien n’explique pourquoi celui qui a organisé l’enlèvement de Goto se révèle à lui aussi tôt si ce n’est la nécessité pour l’intrigue de gagner un nouveau souffle après avoir trop traîné. Cela a indéniablement donné plus de force à la trame. Toutefois, la transition aura été amenée assez maladroitement.
Quelques fausses pistes n’auraient pas été de trop. Que Goto soit si rapidement envoyé par son ancienne professeur vers l’exact élève qu’il recherchait hâte quelque peu l’intrigue. Autre chose. S’il avait voulu déterminer quel ancien camarade de classe était le grand méchant, il lui aurait suffi de chercher la trace de chacun d’entre eux. Fatalement, ne serait-ce que par élimination, il aurait alors pu déterminer qui était le conjurateur.
Et tout ça pour une révélation bien décevante. Takaaki « dégageait une aura sinistre » et on le haïssait en silence pour cela. Tout le monde aura passé son temps à se monter le bourrichon à son égard parce qu’il avait un petit air inquiétant. Enseignant compris. Après le « Spider Sense » (que Takaaki éprouvera lui aussi plus tard lorsqu’il s’agira de retrouver Eri), on eut alors en plus droit au « Regard pénétrant qui permet de tout deviner » projeté des prunelles de cet enfant démoniaque ou encore l’hypnose instantanée en trois coups de pendule sans compter le sérum de vérité.
Y’a rien de mieux pour décrédibiliser un polar que d’y insérer des éléments scénaristiques aussi douteux pour ce qu’ils ont de fantasque. Il n’empêche que si Goto avait un semblant de mémoire tout cela n’aurait certainement pas pu durer plus de deux tomes.
Et tout ça pour quoi ? Pour ne pas avoir de réponse concrète ou concluante. Ça n’est pas frustrant à ce stade, c’est simplement du sabotage. Oh cette révélation… que c’était mauvais. Si mauvais que je me sens de subir une séance d’hypnose pour oublier.
D’ailleurs, on ne saura pas, dans le manga, à quoi aura servi que Eri et Goto soient hypnotisés pour tomber amoureux. Ça ne recouvrait strictement aucun enjeu. L’auteur savait peut-être où il allait en écrivant Old Boy, mais tout prête à penser qu’il se sera trompé de direction en entamant son périple. Rien qu’un jeu de piste conçu pour mener strictement nulle part.
Oh cette fin… on aura fait monter la mayonnaise huit volumes durant pour ne plus laisser qu’une flaque huileuse à l’arrivée. Old Boy franchement, ce vieux gars…