Le parcours de Tom King est plutôt atypique : après un premier passage dans l’industrie du comics, il rejoint le service de contre-terrorisme de la CIA en 2001 avant de reprendre ses activités de scénariste en 2009. On imagine facilement qu’une telle expérience a pu marquer la production du bonhomme, comme en témoignent son Grayson ou la série Sheriff of Babylon. Omega Men en est un autre exemple, transposé au space opera.
Série exigeante, Omega Men ne fait aucun cadeau au lecteur. Il l’attrape par les cheveux et lui fait subir une longue session de waterboarding pour ne l’en ressortir que 12 épisodes plus tard, exsangue.
Tout commence avec Kyle Rayner, le White Lantern, ligoté à une chaise et égorgé en direct par les Omega Men, que l’on pense pourtant être les « gentils » de l’histoire. L’enjeu sera alors de comprendre comment l’on peut arriver à une telle situation et si celle-ci est justifiable. Ici se situe toute la teneur du propos de King : il n’y a pas de bons ou de méchants, ce qui pour l’un est du terrorisme sera pour l’autre un acte de résistance visant à défendre des intérêts, guidés par la morale, la culture, la religion…. Et pour l’auteur, le résultat final est dans tous les cas à somme nulle.
Refusant tout manichéisme, la série évolue continuellement dans cette zone grise. Si les causes pour lesquelles se battent les Omega Men sont justes, peuvent-elle justifier leurs actes ? De la même manière, certains mesures prises par la Citadelle (pour schématiser, l’empire contre lequel se battent les Omega Men) une fois explicitées et remises dans leur contexte font plutôt penser à de la froide realpolitik plutôt qu’à celles d’un régime fasciste (même si c’est effectivement un régime autoritaire).
King ne prend pas vraiment de parti : il reste dans le factuel et n’épargne aucun de ses personnages se faisant témoin d’un cycle de violence qui semble sans fin. La narration est extrêmement froide, sans empathie pour les personnages malgré le chaos dans lequel ils évoluent. En ressort une sensation d’urgence, le tout se lit très vite mais ne fait aucun cadeau au lecteur. La fin du récit est logiquement rude, le message franchement pessimiste. Les faux-semblants sont partout et l’on se retrouve vite comme Kyle, plongé dans ce torrent de violence, sans être certain que le camp choisi vaille vraiment mieux que l’autre.
Comme souvent avec Tom King, la mise en page est un vrai parti pris graphique. Le récit est en grande partie divisé en gaufrier (3x9 à la Watchmen), avec de nombreux plans rapprochés. En ressort une réelle sensation de malaise, comme si l’histoire était diffusée via une webcam en direct du front. Aux dessins, Barnaby Bagenda livre une prestation générale de bonne facture bien que la fatigue se fasse sentir sur certains passages. L’univers SF qu’il dépeint fonctionne grâce notamment à une très belle colorisation.
Omega Men est une série à part, éprouvante et exigeante. Si King parvient assez habilement à raccrocher le wagon canonique de DC, la série peut se lire sans connaissance de la Distinguée Concurrence. Elle se rapproche plus de l‘indé que du comics de super héros. Très éloigné de la production générale, l’auteur délivre un récit assez brillant, intelligent et pessimiste.