Onani Master Kurosawa aborde une thématique si peu exploitée qu’elle constitue son intérêt central… le problème étant que l’on pourrait réduire son intérêt à cela : il ose, et c’est à peu près tout. En dehors de ça, on retrouve un déroulement et des personnages plutôt classiques et approfondis de manière maladroite :
[spoil, comme d’habitude]
- Le jeune garçon ténébreux qui se complaît dans son asociabilité, et qui va soudainement se rendre compte que parler avec des gens rend heureux, parcours initiatique extrêmement original.
- La jeune fille martyrisée qui n’inspire même pas la compassion. L’opposition entre sa passivité lorsqu’on l’embête et son sadisme lorsqu’elle veut se venger fait d’elle un personnage incohérent.
- Le type trop gentil qui, forcément, a un afro, et qui ne recule jamais devant quoi que ce soit pour aider Kurosawa. Sérieusement, ça n’existe pas ce type de personnes, et l’espoir qui est fondé sur sa sympathie est du même coup risible.
- Tokigawa, la fille dont Kurosawa tombe amoureux, qui fait semblant de le draguer mais en fait non, elle sort avec son seul « ami ». C’était tellement gros, prévisible … Quant à leurs relations, le fait qu’elle veuille que Kurosawa intègre une grande école pour devenir écrivain me débecte. (passion inventée et qui sert de prétexte à donner une ligne directrice à son avenir)
- Et enfin Sugawa, la fille sans intérêt pendant tout le manga qu’il drague par dépit à la fin, tout ça pour terminer sur une touche d’espoir, d’amour possible, de carpe diem qui ouvre la voie à diverses possibilités tout en présentant une vision assez restrictive de la vie. Alors que bon, la branlette s’est peut-être déplacée mais elle continue, morale admirable : il ne faut pas se masturber en pensant aux gens que l’on aime, par contre les autres c’est ok.
J’en arrive justement à cette thématique, si mal exploitée à mon goût. En effet, l’auteur passe d’une extrême à l’autre sans faire d’effort pour nuancer : ça commence par un type qui se branle sur toutes les filles sans aucun respect en mode « mwahaha comme je suis diabolique » et ça se termine sur ce même tpye, qui n’a soudainement plus aucun défaut et qui est devenu le plus sociable de tous.
Cette idée du « changement » que l’on retrouve avec Takigawa est intéressante, mais trop d’ampleur lui est accordée. Presque tout le monde passe par cette étape, vous n’êtes pas « pareils » parce que vous avez voulu, tous les deux, à un moment de votre vie, changer. C’est de toute façon vers Sugawa que va se tourner le personnage principal : alliance des contraires, alchimie qui semble finalement plus forcée que naturelle.
L’évolution de la pratique quotidienne de Kurosawa arrive quand même à un tel sommet que l’on en obtient des titres de chapitres comme« La bite qui bat comme un cœur », franchement … je devine bien que la traduction française prête particulièrement à rire (les « would » qui expriment l’habitude au passé sont traduits aux conditionnel voire au futur, un « Since I’ve » dans le sens « Comme je » est traduit par « Depuis que je»… bref passons), mais c’est quand même bien limité ce lien entre les deux organes. L’amour lui dicte d’arrêter de souiller l’image de celle qu’il aime d’une manière physique, je ne sais pas si c’est déjà arrivé à l’un d’entre vous mais c’est quand même assez étrange.
On pourrait penser à un refus du couple amour/sexe, mais c'est davantage une incompatibilité entre amour et pensées perverses que l’on a ici. Il y avait alors tellement de potentiel dans le passage de la masturbation à la vraie relation sexuelle, on peut regretter que ça s’arrête trop tôt mais ça permet toutefois de recentrer le manga sur sa thématique.
Mais voilà le problème : le fait de dissocier trop clairement masturbation/plaisir sexuel et amour révélé/élévation de l’esprit tend à présenter une vision assez étriquée de l’amour où le sexe n’a plus sa place. Bon, j’arrête ce discours de sexologue car ça s’apparente plus à de l’interprétation sur un matériau que l’auteur n’a pas vraiment fourni.
Enfin, l’impact de l’onanisme dans la vie du personnage principal redouble avec le fameux « pacte » imposé par Kitahara. Celui-ci exprime bien l’absurdité de la chose, Kurosawa n’hésitant pas à obéir alors qu’il y aurait mille moyens de contourner les ordres, on est quand même rassuré lors de l’épisode de voyage scolaire où il cherche à faire échouer le plan de la bouteille.
La fait de « salir » ainsi les affaires de ses camarades est assez banalisé dans le sens où l’on a pas d’aperçu net de ce que ressentent les personnages : les uns trouvent ça horrible mais on reste dans le sous-entendu (ce n’est pas forcément un mal, mais comme le manga a pour intérêt de s’arrêter sur la psychologie des collégiens..), le coupable est d’abord amusé puis il a des remords, mais on ne s’attarde pas une seule fois sur ce que peut représenter cet acte au-delà de « c’est dégueulasse », et enfin le professeur retient les élèves 10 minutes puis oublie l’affaire en quelques jours puisque personne ne s’est dénoncé … bien vu.
Mais, au-delà de la question de l’onanisme, c’est finalement vers le thème très commun de la nostalgie du collège/lycée que l’on dérive. Certes, il n’est pas si mal traité que ça, mais ça reste assez pauvre et caricatural.
Le voyage scolaire est le moment idéal pour forger les souvenirs, oui mais bon la mémoire ça sert avant tout à se souvenir que Kurosawa est asocial et qu’il déteste tout le monde. Le fait de penser après coup que finalement, c’était pas si mal ce petit voyage, rend le personnage plus stupide qu’il n’en avait l’air. Voilà ce que donne la confrontation avec l’écureuil dans la grande roue : « personne ne veut être détesté ». Oui bien sûr Kitahara, comme tu es un personnage sensible, mais il n’y a aucune logique dans ton comportement, et c’est quand même très simpliste ce type d’aphorismes.
On retrouve la dissociation en groupes : les otakus .. et les autres, pour faire encore plus simple. Bien sûr Kurosawa n’appartient à aucun groupe, et il les méprise, ce qui est au début assez déroutant car il crache sur les otakus alors que le manga leur est destiné, comme en témoignent les références envahissantes à Haruhi Suzumiya (on peut aussi voir le gourmet solitaire p14 du dernier chapitre). On a donc une brigade SOS qui va faire du karaoke et qui se balade dans le parc d’attractions, mais c’est assez limité. Le moment où Kurosawa découvre le dessin de Takigawa est assez fort, mais on a du mal à trouver une cohérence logique entre le chapitre du voyage scolaire, et ces souvenirs qui semblent renvoyer à quelque chose que l’on a pas réellement vu. L’incohérence et le flou des relations permettent les effets de surprise, pourtant ceux-ci sont souvent décelables à l’avance.
J’ajouterais que le nouvel état d’esprit de Kurosawa est assez irréel : il veut se défaire de son passé de branleur tout en voulant se forger des souvenirs. C’est trop tard, le collège est terminé, ça ne sert à rien d’amener Kitahara, elle se fiche de voir ces visages pour la dernière fois car elle ne les a jamais appréciés. Y a un moment où il faut accepter que tout le monde n’est pas fait pour rire avec les autres, surtout quand on a pas parlé avec qui que ce soit pendant je ne sais combien d’années.
Je n’évoque pas trop le dessin qui a peu d’identité, il sert avant tout à porter une histoire et n’a pas vraiment de valeur en lui-même. On retiendra finalement d’OMK que c’est une œuvre à la thématique originale, empreinte d’une certaine nostalgie, mais que tout cela aurait pu être tellement mieux. On peut espérer que le manga ouvre la porte à d’autres, qui le dépasseront, mais c’est si original qu’il est possible qu’OMK reste le seul à oser traiter l’onanisme de cette manière. Dans tous les cas, OMK ne s’érige pas contre la masturbation et reste assez admirablement impartial, ce qui a hélas pour conséquence de faire de Kurosawa un personnage plutôt fade. Ce n’est pas un manga qui recherche vraiment à dégoûter de cet acte, mais, au vu de l’excès de notes parfaites qui lui sont accordées, on pourrait penser qu’il favorise la branlette en son nom.