Il suffit de quelques cases, à peine deux ou trois pages. D'une file de voitures bloquées par un pachyderme étendu en travers de l'asphalte, d'une femme, élégante, qui marche au milieu de la route. Un peu affolée, agitée, elle cherche son mari soi-disant accidenté et nous entraine dans son sillage. Une forêt oppressante, un hôpital comme surgi du néant, et déjà le scénario confesse le fantastique et le songe, détissant méticuleusement le fil de futurs chemins tortueux, des voyages intérieurs que pourraient mal tolérer les esprits cartésiens les plus indécrottables. Mais voilà...

Ce théâtre surréaliste agit comme une embuscade. En jouant le spectacle impalpable d'une réalité qui mue incessamment au gré des rencontres avec ses marionnettes, il annihile tous les repères. Dérouté, sans véritable garde-fou, le lecteur est rapidement happé par le récit, dans une sorte d'errance hypnotique tout en légèreté. Les états d'âme, les secrets et les fantasmes de personnages improbables, parfois inquiétants, souvent intrigants, voire farfelus (cet infirmier au sourire carnassier et à la coupe au bol semble tout droit échappé du trio comique des Stooges !), laissent entrevoir des vérités, la plupart du temps bancales ou éphémères. Autant de poupées russes dans la construction d'une intrigue ésotérique et magnétique, d'un labyrinthe évanescent où l'on prend plaisir à s'égarer et dont la sortie transparait, pourtant, en filigrane. Oui, tout est là ! Les symboles, indices ou métaphores visuels généreusement disséminés. Ce n'est qu'au final que l'on se les remémora, maintenant plus évidents, que l'on comprendra que tout (ou quasiment) ne pouvait que s'expliquer.

Dès l'entame, cet album est une apnée sensorielle. Avec autant de plaisir, on plonge et replonge encore s'octroyant de temps à autre quelques bouffées d'oxygène autorisées par une narration magistrale. Non content de flatter nos pupilles avec son trait libéré et si expressif, ses couleurs et ses décors très typés, Frederik Peeters nous a concocté une mise en scène au cordeau. L'alternance d'ellipses, de flashbacks impromptus, de scènes de réel ponctuelles ou de longues parenthèses muettes plus oniriques instille un tempo syncopé, subtil et très harmonieux. LE point fort de l'œuvre.

Un puzzle irréel, poétique et intelligent pour une lecture en apesanteur.
Sejy
8
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le 19 août 2011

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Sejy

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