Ce tome comprend les épisodes 1 à 6 d'une nouvelle série indépendante, initialement parus en 2012, ainsi que 3 épisodes de 8 pages parus en prologue dans l'anthologie "Dark Horse presents". Tous les scénarios sont de Brian Wood, et la mise en couleurs de Dave Stewart.


Épisodes 1 à 3 (dessins et encrage de Kristian Donaldson) - Quelques années dans le futur, après le grand Crash (une série de catastrophes naturelles), Callum Israel est le commandant d'un vaisseau "Kapital" affrété par une association écologiste "The ninth wave". Il mène son équipage à la recherche du deuxième navire de l'association : "The Massive". Durant ces épisodes, le lecteur découvre quelques unes des catastrophes ayant mené à ce nouvel ordre, ainsi que les principaux personnages Mary, Mag Nagendra, Lars, Georg, Ryan Porter, tous faisant partie de l'équipage du Kapital. Alors que le Kapital est sur la trace du Massive, en suivant les émissions d'une balise de ce navire, il est pris comme cible par des pirates à bord de Zodiac


Épisodes 4 à 6 (dessins et encrage de Garry Brown) - Callum Isarel se livre à de dangereuses négociations en Somalie pour acheter du carburant pour le Kapital, où il retrouve Arkady avec qui il avait accompli quelques missions en tant que mercenaire. Mary et Ryan Porter effectuent une mission sur le continent antarctique pour essayer de se réapprovisionner en eau potable. Mag Nagendra et Georg montent à bord d'un porte-conteneurs pour s'approprier quelques biens.


"The Massive" est la série que Brian Wood a créé après avoir terminé DMZ. Sa narration est des plus déconcertantes. Le lecteur est tout de suite installé dans le contexte : après des désastres de grande ampleur, les nations se sont effondrées, le réseau de satellites est hors service, la Terre a subi de grandes secousses telluriques, et les des lames de fond ont ravagé les côtes, sans parler de quelques éruptions volcaniques. Le point d'ancrage du récit est donc la demi-douzaine de membres d'équipage du Kapital qui disposent d'un nom et d'une histoire, le reste de l'équipage restant invisible mais bien présent. Il y a de fréquentes évocations des bouleversements occasionnés par les catastrophes lors du grand Crash, ainsi que quelques retours en arrières relatifs à l'histoire des personnages principaux ou à un aspect des voyages du Kapital.


Au départ, l'enjeu semble être de retrouver le deuxième navire "The Massive" qui donne son nom au titre de la série. Mais rapidement, cette recherche ressemble à une chasse au dahu, ou à un McGuffin hitchcockien. Le lecteur doit donc se raccrocher à un autre aspect de l'histoire. Il y a Mag Nagendra et Mary, 2 combattants chevronnés, dont les actions fournissent le quota d'action souhaité pour entretenir le rythme au récit. Malgré les quelques scènes qui leur sont consacrées pour étoffer leur histoire personnelle respective, ils restent des individus assez génériques auxquels il est difficile de s'attacher. Il y a la situation de Callum Israel, un peu plus génératrice d'empathie puisqu'il souhaite poursuivre la mission de l'association (s'interposer pour éviter une dégradation de l'écosystème marin) sans recourir à la force ou à la violence dans un monde où la loi du plus fort a repris le dessus. Mais là encore, la narration est tellement morcelée entre les différents personnages, les différentes actions et les retours en arrière (partagés entre ceux dévolus aux personnages et ceux dévolus aux catastrophes naturelles) que l'attention du lecteur se retrouve divisée, sans disposer du temps nécessaire pour s'investir suffisamment dans ce personnage.


Le lecteur doit alors approcher différemment son immersion dans le récit, et repérer d'autres éléments récurrents. L'une des constantes principales est le Kapital en lui-même, et le point de vue majoritairement maritime. Les expéditions des différents partent du Kapital, et y reviennent. Les déplacements du Kapital constituent le lien entre les différents endroits visités. Mag Nagendra et Mary entretiennent un rapport très particulier avec la mer. À partir de ce point de vue, il est alors possible de rattacher une partie des retours en arrière dans cette optique, ceux qui concernent les catastrophes maritimes : les tsunamis, les traumatismes subis par les baleines, la montée des eaux à Hong Kong, l'assèchement du canal de Suez, etc., et la vague scélérate. Ce phénomène maritime est appelé en anglais "Ninth wave", le nom de l'organisation écologiste menée par Callum Israel. Ce nom évoque la croyance que cette vague apparaissait en neuvième position d'une série. Il évoque également une célèbre toile La neuvième vague d'Ivan Aivazovsky. Étrangement, Brian Wood ne transforme pas son récit en un pamphlet écologiste. Il insiste plus sur le fait que ces catastrophes naturelles ont eu un impact aussi désastreux sur les sociétés humaines que sur les écosystèmes. Il n'y a donc pas d'approche culpabilisatrice ou moralisatrice sur l'activité humaine et son incidence sur la planète. Par contre, ces catastrophes ont produit l'effet dévastateur d'une révolution sur les sociétés humaines, obligeant les individus à repenser leurs modes vie et de gouvernance.


Au final, le lecteur doit donc accepter une narration imprévisible à la direction générale indiscernable, avec des morceaux d'action, des situations complexes, une découverte kaléidoscopique et fragmentée de l'environnement de cette série, au gré des escales du Kapital. Brian Wood prend bien soin de situer chaque scène par sa latitude et sa longitude. D'un côté, il consolide l'approche maritime de la narration, de l'autre le lecteur vient rapidement à regretter qu'il n'y ait pas de carte récapitulant les déplacements du Kapital.


Les 3 premiers épisodes sont mis en image par Kristian Donaldson qui avait déjà réalisé Supermarket (en anglais) avec Brian Wood, ainsi que quelques épisodes de DMZ (par exemple dans Les pouvoirs de la guerre). Il avait également illustré l'un des tomes de la série Vertigo Crime : 99 Days (en anglais). Les dessins de Donaldson ont une apparence réaliste, photoréaliste pour plusieurs éléments de décors, ou bâtiments. Pour partie ces derniers semblent avoir été dessinés avec un logiciel spécialisé délimitant les contours avec des traits très fins (sans variation d'épaisseur), aboutissant à une impression de maquette minutieuse ou de modélisation infographique constituant la dernière étape avant mise en production. Le résultat est un peu froid et clinique. La mise en page est fluide et vivante, contrebalançant ces environnements détaillés et immaculés. Donaldson dessine des personnages d'apparence normale, dans des postures ordinaires, sans aucune influence des exagérations propres aux superhéros. De page en page, le lecteur finit aussi par remarquer que cet artiste n'est pas très à l'aise pour représenter les différents états des flots des océans, ces derniers semblant étrangement uniformes et dépourvues de vie (un comble pour un récit aussi centré sur la navigation).


La mise en couleurs sophistiquée de Dave Stewart assure la continuité des ambiances de la série lors du passage d'un dessinateur à l'autre. Il utilise des teintes dominantes pour chaque type de séquence (en particulier des teintes orangées et ocre pour le passé), avec des nuances pour créer des camaïeux discrets et sophistiqués.


Garry Brown utilise un encrage plus brut, avec des variations d'épaisseur des traits, quelques petites hachures ou griffures qui rendent compte de l'empreinte du temps sur les individus et les objets. Le lecteur retrouve des marques familières qui rendent les cases plus vivantes, moins froides. Il n'a pas recours à l'infographie pour modéliser les navires ou les bâtiments. Sa représentation des masses d'eau reste basique et conventionnelle, mais avec de légères variations qui évitent l'uniformité installée par Donaldson. Brown dessine pour des adultes, dans une approche relevant du récit d'action, mais sans exagération anatomique ou cinétique, installant une atmosphère légèrement inquiétante, sans être étouffante.


Les 3 histoires courtes présentent une mission de Callum Israel sur une plateforme offshore lorsqu'il était mercenaire, la première fois que Mag Nagendra a blessé un homme en l'agressant, et quelques catastrophes naturelles. Ces pages sont dessinées par Kristian Donaldson dans un style un peu plus vivant que les épisodes 1 à 3.


Voilà un début de série qui défie toute attente. Brian Wood développe un point de départ original, avec un mode narratif qui ne l'est pas moins, facile à appréhender, sans jamais donner au lecteur ce qu'il attend, chaque nouvelle scène s'avérant inattendue et déstabilisante. Kristian Donaldson effectue une mise en images au diapason de la narration de Wood, factuelle et précise, mais déstabilisante par ses aspects présentant une forme légère d'incohérence avec ce qui est raconté (eaux identiques quel que soit l'endroit du globe, ustensiles et navires en parfait état malgré leur utilisation et les contraintes qu'ils subissent. Les dessins moins déconcertants de Garry Brown permettent au lecteur de mieux se concentrer sur la narration, pour mieux apprécier ce qu'elle a d'original. Navigant à vue, le lecteur éprouve des difficultés à s'enthousiasmer pour un récit qui reste simple à lire, mais qui sollicite une confiance totale dans le guide qu'est Brian Wood pour ce voyage sans repère classique.

Presence
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le 30 mai 2020

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