Ce tome constitue un recueil de 9 histoires courtes, d'une page à 16 pages. Elles sont toutes en couleurs. L'album comprend 44 planches de bandes dessinées. Il a été réalisé par Daniel Goossens qui a tout fait : scénario, dessins, couleurs. La première édition date de 2014.
(1) Les bidoches (4 pages) - Louis indique à Georges qu'il souhaite réaliser une adaptation de la célèbre bande dessinée des Bidoches, mais à sa manière, parce que la vie en HLM ça ne fait pas rêver, et en ajoutant aussi du drame parce que l'humour ça ne suffit pas. Le titre : Autant en emporte la Bidoche. (2) La piste des Magombos (16 pages) - Le guide Mac Cabe conduit Brenda Willis à travers la brousse jusqu'à la mission où se trouve son mari. Elle tombe sous le charme du chasseur Butch Braddock, un individu qui n'a plus son bras gauche. Elle l'accompagne dans la brousse. Il lui fait rencontrer les indigènes de la tribu Magombos, et elle assiste à une scène terrible de mise à mort d'un bébé sauvage, avec récupération de couche sale. (3) - Chagrin (5 pages) - Louis rend visite à sa mère ; il est assis dans le fauteuil en face d'elle, son chapeau à la main, pendant qu'elle tricote. Il évoque une femme qu'il voyait en bas d'un immeuble qu'il ne pouvait pas aborder faut d'avoir de quoi se payer ses tarifs. Ensuite, il évoque le sourire vertical, celui de la braguette ouverte. (4) Charmes (2 pages) - Louis continue à parler avec sa mère de son besoin d'argent pour aller voir une prostituée, qui a besoin d'argent pour se faire refaire la poitrine. Ils parlent ensuite de son charme, ou plutôt de son absence de charme à lui.
(5) Solitude (1 page) - Louis papote avec sa mère et évoque sa difficulté à mettre des femmes dans son lit. Il arrive à les faire bailler, parfois à les faire rire ; sa mère ne réagit pas. (6) Place aux jeunes (2 pages) - La mère de Louis revient de faire les courses et son fils l'attend pour lui demander de l'argent afin d'aller voir une professionnelle. Sa mère lui fait observer qu'il s'est déjà reproduit. (7) Une fille formidable (5 pages) - Louis lit un poème en prose à Georges, écrit par une femme et d'un érotisme torride. Il lui indique qu'il va rejoindre l'autrice qui est dans la pièce d'à côté. (8) La fureur du désir (3 pages) - Georges et Louis sont sur leur transat dans le joli jardin de leur pavillon. Pour sortir de la routine, Louis envisage le fait que Georges soit une péripatéticienne et que lui Louis soit son client, ce qui les met en indélicatesse face à son mac qui fait irruption dans la chambre. (9) Passions (6 pages) - Louis et Georges sont sur leur transat dans le joli jardin de leur pavillon et Louis indique à Georges qu'il ne le fait plus rêver, en se laissant pousser des doubles mentons. Ils entrent se reposer dans leur fauteuil devant la cheminée, et Louis évoque sa vie rêvée de conquêtes amoureuses.
Daniel Goossens participe à la revue Fluide Glacial depuis 1977, ce qui en fait de lui un des piliers. Il est connu et reconnu pour son humour absurde s'exprimant aussi bien contre les bébés dans L'encyclopédie des bébés, que pour révéler La vie d'Einstein. Il n'y a pas de raison objective ou logique à découvrir l'œuvre de cet auteur à l'humour fin, froid, glacé et sophistiqué, par cet album plutôt qu'un autre, ou le contraire. Le lecteur plonge donc dans une suite d'histoires courtes et il remarque que pour une raison inexplicable et qui reste inexpliquée, celle portant le titre de Le sourire vertical n'est pas répertoriée dans le sommaire, et que les pages des histoires (3) à (6) sont en fait numérotées comme s'il s'agissait d'une unique histoire. Le lecteur observe que l'auteur met en scène Louis dans toutes ses histoires sauf une (la numéro 2), sans que cela n'ait non plus d'importance. Il ne peut rien déduire non plus du nombre de pages par histoire ou du nombre de personnages mis en scène. Il ne lui reste plus qu'à prendre ces séquences comme elles viennent, sans essayer d'y retrouver un horizon d'attentes sans fondement.
Daniel Goossens fait comme tout le monde et appâte le lecteur avec une magnifique couverture, vaguement évocatrice du souvenir que le lecteur peut se faire d'Autant en emporte le vent. Il observe un coup de crayon agile et élégant qui croque des personnages avec un gros nez. Il n'y a que les protagonistes du récit La piste des Magombos qui échappent à un appendice nasal surdéveloppé. Étrangement, ça ne les rend pas plus crédibles. Au contraire, l'auteur se déchaîne avec l'humour absurde, ce qui ne fait que plus ressortir le ridicule de la tonalité romantique de ces beaux acteurs. Les gros nez deviennent la manifestation de l'intention comique, l'élément qui assure la cohérence des personnages avec leur fonction de ressort comique. Pour le reste, le lecteur est frappé par la qualité descriptive des dessins et leur richesse. En tant qu'artiste Goossens réalise des planches à l'identique de ce qu'il ferait pour une comédie dramatique ou un récit d'aventures. Les acteurs présentent des morphologies bien distinctes. Ils bénéficient de tenues vestimentaires spécifiques, parfois teintées d'une touche d'exagération : le décolleté pigeonnant du chemisier rouge de Brenda Willis, les pagnes et les parures stéréotypées des Magombos, la robe et les charentaises très confortables de la mère de Louis, les tenues racoleuses et voyantes des différentes prostituées.
De séquence en séquence, le lecteur peut se projeter dans chaque endroit grâce à un travail soigné du chef décorateur. La recréation du salon d'une maison de riches propriétaires du Sud est consistante et cohérente. La page d'ouverture du deuxième récit montre les différents animaux qu'évoque le guide : serpent, alligator, toucan, calaos, grenouille du Brésil. Le Citroën type H (utilitaire léger de type fourgon automobile) est d'une authenticité remarquable. Le salon de la mère de louis est confortable et accueillant. Le lecteur se dit qu'il aimerait bien profiter du soleil sur un transat, dans le jardin de Georges et Louis (mais de préférence sans eux). L'opulence des différents intérieurs décrits dans la dernière histoire atteste de l'aisance financière des différentes femmes de Louis. Pour ses découpages de planche, Goossens privilégie les cases bien détourées et sagement alignées. Le nombre de case par page est en moyenne de 6, mais il peut monter jusqu'à 12 quand il s'agit d'une discussion entre Louis et sa mère, et que l'intérêt visuel réside dans le langage corporel des interlocuteurs : variation des postures, expressions des visages. Il n'y a que dans l'histoire Une fille formidable, où Goossens se lâche un peu avec des dessins différents coexistant au sein d'une même case, ou des cases sans bordure, pour que la forme de la narration soit à l'unisson du poème en prose.
Le lecteur plonge dans une suite de 10 saynètes (ou 5, ça dépend comment il compte, mais on ne va pas revenir dessus) grâce à des images soignées, des acteurs avec une trogne marquée, mais avec un jeu d'acteur naturaliste, des décors réalistes et détaillés. En total décalage, dès la première histoire, il est confronté sans ménagement à l'humour puissant de l'auteur. Cela commence par un jeu sur une référence, celle aux Bidochon et à Binet dont les noms sont écorchés. Par la suite, Goossens effectue d'autres références plus ou moins marquées, parfois à ses propres œuvres (L'encyclopédie des bébés), parfois à des films précis (Autant en emporte le vent dans la première histoire), parfois de manière plus générique (le héros viril et marqué par ses aventures), parfois à des stéréotypes culturels (à de nombreuses reprises sur les prostituées dans ce tome), d'autres fois à des humoristes comme Fabrice Luchini ou Édika (une maladie imaginaire appelée Delirium Profondicum). Il peut aussi effectuer des variations humoristiques sur des expressions toutes faites comme Femme qui rit à moitié dans son lit, Couvrir une femme de bijoux, Un individu dans sa tour d'ivoire. Il s'amuse également beaucoup avec les conventions propres aux publicités télévisuelles pour les couches. Enfin il n'hésite pas à utiliser une citation totalement inventée de René Chateaubriand : Le désespoir, c'est une culotte vide ; à quoi bon mettre les mains dans le désespoir ?
Le lecteur peut prendre la première saynète comme une aimable moquerie des producteurs ou auteurs se lançant dans l'adaptation cinématographique d'une œuvre (ici une série de bande dessinée) sans rien en connaître et en la transformant tellement qu'il ne reste plus rien de la création originelle. La deuxième histoire commence comme un pastiche d'une comédie dramatique où une femme va découvrir les vraies valeurs de la vie au contact d'un homme marquée par la nature, et des indigènes africains. Mais rapidement, l'histoire se transforme en une réclame pour les couches pour bébé (avec les petites fronces à l'entrejambe), aboutissant à un manteau de couches sales que même Lady Gaga n'aurait pas eu l'audace de concevoir. Goossens met en œuvre un humour absurde à froid, en utilisant des conventions et des stéréotypes de différents genres littéraires en dehors de leur contexte, à contretemps, les désamorçant totalement. Parfois, le lecteur a besoin de prendre un peu de recul pour mesurer l'absurdité d'une situation allant jusqu'à l'obscène, par exemple Louis taxant sa mère pour aller voir les prostituées, en lui expliquant leurs difficultés économiques. En fonction de son état d'esprit, le lecteur peut trouver les situations juste absurdes sans aucune dimension comique (les blagues filées sur les couches souillées), ou au contraire d'une perspicacité pénétrante et élégante (la transposition des formes de poitrine et de seins, à la forme des portefeuilles des hommes). Dans tous les cas, il sait que l'auteur maîtrise chaque abus de langage, chaque situation absurde, et qu'il le fait sciemment.
L'appréciation de ce tome et de cette forme d'humour dépend beaucoup de l'état d'esprit du lecteur. Le savoir-faire et les compétences de l'auteur apparaissent comme une évidence, qu'il s'agisse de la qualité de ses dessins et de sa narration visuelle, ou de l'inventivité des différentes situations. Pour ressentir l'effet comique des situations et des propos, le lecteur doit y participer activement, en se moquant de ce qui lui est montré, soit de la bêtise des personnages, soit de leur misère affective. Ce sens de l'absurde repose sur la conviction profonde que la vie est dépourvue de sens et que chacun est prisonnier de sa finitude ce qui fait de lui un idiot se heurtant à ses limites. De ce point de vue, il devient drôle que Louis s'ouvre de sa misère sexuelle à sa mère, ou que la frustration soit au cœur de la vie de tout être humain, sans espoir d'y échapper. C'est un humour qui ne peut pas laisser indifférent, mais qui peut aussi s'avérer très dérangeant. 4 étoiles pour une inventivité extraordinaire, et pour une vision de la vie peut-être trop décapante, trop décillée qui fait que le lecteur n'éprouve pas d'envie de s'identifier aux personnages.