Les Valseuses, Coup de tête, Un mauvais fils ou encore Adieu poulet : Patrick Dewaere a incontestablement marqué le cinéma français des années 1970 et du début des années 1980. On se souvient pourtant davantage de lui pour ses fresques et sa fin tragique que pour une carrière de comédien qui fut aussi riche que brève. Une bande dessinée parue aux éditions Glénat relate des pans entiers de sa vie et de son œuvre.
« J’ai toujours été comme ça. Imprévisible, et insaisissable qu’ils disaient… Au point de me flinguer à 35 ans, un beau jour d’été, alors que j’avais rendez-vous deux heures plus tard dans une salle de boxe pour m’entraîner, et que le matin j’étais encore au boulot… » Les premières pages de Patrick Dewaere s’ouvrent sur le suicide de l’un des acteurs les plus emblématiques du cinéma français des années 1970. Et cette citation, édifiante, résume pour partie l’existence qu’il menait alors. Sa mort à 35 ans fait écho à celle de son père, un chef d’orchestre qui ne l’a jamais reconnu, et disparu au même âge que lui. La boxe, c’était son exutoire, une manière de se libérer de ses souffrances intérieures, qu’il jugeait bien plus judicieuse qu’une quelconque séance de psychothérapie. Son boulot, c’était le cinéma, où il pouvait laisser libre cours à ses qualités artistiques et à sa sensibilité, mais aussi jouer à l’écran le trublion qu’il était dans la vraie vie, à l’instar de son rôle dans Les Valseuses.
La bande dessinée de Laurent-Frédéric Bollée et Maran Hrachyan revient abondamment sur la relation spéciale qui unissait Patrick Dewaere et Gérard Depardieu. Leurs rôles communs, leur amitié, leur rivalité cinématographique et, disons-le, le complexe d’infériorité du premier vis-à-vis du second irriguent de larges pans du récit. « Je suis le désespéré de service ! Quand on fait un film de paumé ou de loser et que le gros est pas disponible, on fait appel à moi ! Toujours pareil ! » Le « gros » auquel fait référence Patrick Dewaere (en qualité de narrateur), c’est évidemment son copain Gégé. Leur relation est ambivalente et la conclusion de l’album, belle, très poétique, en traduit toutes les nuances. Avec Coluche, les liens sont également forts, et probablement moins antagoniques. Le célèbre humoriste fait partie du groupe du Café de la Gare, comme Miou-Miou. Il a parfois une attitude de caporal qui irrite ses acolytes, mais cela n’empêche pas Patrick Dewaere de le tenir en haute estime. C’est Coluche qui lui a offert l’arme dont il s’est servi pour se suicider. C’est aussi chez lui, en Guadeloupe, que la femme et la fille de Dewaere séjournaient au moment où il mit fin à ses jours.
Page après page, l’album s’appréhende comme une balade elliptique à travers la vie de Patrick Dewaere et ses rôles au cinéma. On croise, sous les traits affûtés du dessinateur Maran Hrachyan, Bertrand Blier, Serge Gainsbourg, Lino Ventura, Alain Corneau ou encore Claude Miller. On découvre les états d’âme de Patrick Dewaere à travers plusieurs citations. « Y a des hauts et des bas. Je fais le mariole et puis après j’ai envie de chialer comme un môme… » Ou, sur ses jeunes années turbulentes : « J’étais un enfant assez rebelle, un peu à problèmes, quoi… Je me mettais souvent en colère. » Le portrait se construit par bribe, et il est vertigineux. Patrick Dewaere a été abusé sexuellement. Il a eu une vie de famille tumultueuse. Il déteste la police, se passionne pour la musique (au point de composer des BO), travaille ses rôles avec une rigueur insoupçonnée, vomit les faux-semblants, aime passionnément les femmes tout en étant séduit par certains hommes. Surtout, il semble mal dans sa peau, enclin à l’affliction, aussi talentueux que borderline. Et puis, et ça représente bien le comédien, qui a longtemps été ostracisé dans le cinéma français, il y a cette fameuse malédiction des nominations aux grandes cérémonies du cinéma, jamais traduites par des prix – tout particulièrement aux César. C’est un peu ça Patrick Dewaere : une ivresse, une douleur ; un talent, une faille ; un succès, un échec.
Sur Le Mag du Ciné