Lorsque Bianca, jeune fille d'une noble famille italienne, rencontre son futur époux, Giovanni, elle s'étonne de la promptitude de ce premier échange. Jeune fille éclairée pour son temps, elle déplore de ne pas le connaitre un peu plus avant de le prendre pour époux. Sa tante lui révèle alors qu'une "peau d'homme" se transmet de génération en génération dans la famille : il suffit de la revêtir pour se glisser dans « la vie et les sensations de l’autre sexe ».C’est ainsi que Bianca devient Lorenzo.
Tout serait bien évidemment très simple si Lorenzo découvrait un Giovanni correspondant aux canons du mari que toute jeune fille de l’époque espère. C’est un Giovanni quelque peu vulgaire et bien peu regardant du bonheur des femmes qui apparait à Lorenzo. Giovanni s’attache pourtant d’une bien étrange manière au jeune homme, ce qui sera le début d’une romance entre nos deux protagonistes masculins. C’est ainsi que l’on passe de Bianca à Lorenzo sans que les deux faces d’un même personnages puissent coexister. Au fil des pages, nous passons d'un amour homosexuel épanoui à un mariage qui bat de l'aile dans lequel Bianca peine à s'épanouir. Aventurière et résolue, elle finira par trouver la voie (peu conventionnelle) qui lui convient.
Hubert utilise la fiction pour nous transmettre sa vision personnelle du monde, de la société et de la sexualité. Ce jeu sur les faux semblants est l’occasion d’aborder des sujets de société contemporains, exacerbés dans le contexte de la Renaissance. Le puratanisme et l’archaïsme sont notamment retranscrits par le biais du personnage d’Angelo, le frère de Bianca, antipathique et caricatural qui, dans un moment d’étrange lucidité, livre qu’il hait « tout le genre humain à part égale pour sa nature pécheresse ». Tout un programme !
Hubert et Zanzim mettent en avant l’hypocrisie d’une société conservatrice, qui se rend à la messe pour laver ses pêchés, mais dont les hommes, le soir venu, sont bien moins vertueux. Les femmes, quant à elles, sont exclues de cette double vie. Si des éléments sont anachroniques et idéalistes pour l'époque, Peau d'Homme représente Bianca, un personnage féminin fort qui trouve sa propre voie, loin des attendus de l'époque.
C’est bien évidemment la dualité qui est au coeur de cette oeuvre dont la construction fine montre la complexité des ressorts psychologiques de chacun des personnages. Si Giovanni est un homme en avance sur son temps, en phase avec sa sexualité et ses désirs, il reste pourtant englué dans certaines idées pré-conçues : « Comment un mari pourrait-il être sûr de la vertu de son épouse si elle aimait être chevauchée ? Elle risquerait de se donner au premier venu ! ». La plupart des personnages évoluent tout au long de l’oeuvre, vers une plus grande tolérance, sauf Angelo qui sera banni de la ville pour vouloir réprimander les hommes autant que les femmes. Joli pied de nez.
Si les thématiques abordées sont parfois sombres, en lien avec l'époque, l’humour occupe une place centrale au sein de l’oeuvre et apporte un vent de fraicheur. Le dessin de Zanzim, qui peut paraître simpliste à première vue, est d'une grande délicatesse. L'amour, le désir, la tristesse la perversion ou encore la honte y sont dépeints avec justesse.
Enfin, en tant que lectrice, j'ai également été transportée par la justesse des personnages féminins : la diversité des portraits brossés, de la tante complice à la mère conservatrice qui fera tout pour aider sa fille, sonne toujours juste. Une délicatesse qui doit être soulignée.