Ce tome fait suite à Gideon Falls, Tome 1 : La grange noire (épisodes 1 à 6) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 7 à 11, initialement parus en 2018, écrits par Jeff Lemire, dessinés et encrés par Andrea Sorrentino, avec une mise en couleurs réalisée par Dave Stewart. Ce tome contient les couvertures originales de Sorrentino, ainsi que les couvertures variantes réalisées par Tula Lotay, Jeff Lemire, James O'Barr, Steve Wands, Christian Ward, Mico Suayan.
Encore enfant, Norton Sinclair se tient dans une parcelle abandonnée, servant de dépotoir pour des sacs d'ordures, à genoux devant des sacs. Une voix désincarnée s'adresse à lui, lui enjoignant de la rejoindre et de servir de porte. Une femme s'approche de lui pour savoir qui il est et ce qu'il fait là. Au temps présent, Norton Sinclar est au même endroit, dans la même position en train d'observer un tas de sacs de déchets, avec Angie Xu (sa psychothérapeute) se tenant derrière lui. Ils enfilent des gants pour se mettre à chercher des morceaux de bois. À Gideon Falls, le père Wilfred rend visite à la shérif Clara Miller. Ils évoquent ce qui s'est passé les jours précédents. Elle se souvient de Joe Reddy la tenant en joue et l'attirant à l'extérieur, mais de rien d'autre. Le père Fred demande si elle a des nouvelles de son frère Daniel ; la réponse est négative. Elle lui fait comprendre qu'elle sait qu'il ne reste jamais plus de quelques mois dans une paroisse. Ils se quittent, et Clara Miller rentre chez elle, et retrouve le nounours de son frère.
Ce doudou lui rappelle un voyage scolaire en car, quand elle défendait son frère contre le harcèlement d'autres enfants. Elle se souvient que le chauffeur du bus l'avait admonestée gentiment. Son nom lui revient en mémoire : Joe Reddy. Elle appelle son père le docteur Sutton pour lui faire part de ce souvenir, et de sa conviction que Joe Reddy a enlevé son frère. Angie Xu et Norton Sinclair sont de retour dans l'appartement de ce dernier avec les bocaux contenant des échardes de bois, et le puzzle immense que cela constitue. Sinclair convainc Xu qu'il faut absolument retrouver d'autres morceaux pour reconstruire le bâtiment. Quelqu'un frappe à la porte. Contre l'avis de Sinclair, Angie Xu va ouvrir. Juste avant un grand coup de pied casse la porte, et le docteur Kadri entre avec 2 infirmiers très costauds. En tant que supérieur de la docteure Xu, il lui indique que son comportement avec son patient Sinclair n'est pas professionnel. Il ordonne aux 2 infirmiers de maîtriser Norton Sinclair et de le ramener à la clinique. Angie Xu a beau s'y opposer, elle ne peut pas changer le déroulement des choses.
Comme pour le premier tome, le lecteur est attiré par la couverture qui joue sur la forme de l'arbre pour dessiner une tête, la même forme que pour le tome 1. Parmi les couvertures des épisodes contenues dans ce tome, l'artiste réussit le même type de composition avec des oiseaux, et avec la trace de gouttes d'eau sur une vitre, pour un effet saisissant. Dès la première page, le lecteur retrouve également le dispositif narratif consistant à montrer un dessin tête-bêche, comme pour l'ouverture du premier tome. Cette fois-ci, les auteurs ne l'utilisent qu'avec parcimonie. Le lecteur attend également que les auteurs passent dans un mode plus inventif pour la mise en page, en se souvenant qu'il survenait plus dans les 2 derniers épisodes. Ici, il en va de même : pour chaque épisode 7, 8 et 9, seule une double page est conçue sur une disposition de cases plus aventureuse. La fréquence augmente dans les 2 derniers épisodes, en même temps que les manifestations surnaturelles se font plus intenses. Andrea Sorrentino fait preuve d'une sensibilité visuelle épatante, que ce soit lorsque les cases ne sont plus sagement alignées en bande, mais bousculée et de guingois du fait d'un événement représenté à l'échelle de la double page en arrière -plan par rapport aux cases ainsi chamboulées, ou que ce soit 2 fils narratifs qui s'entremêlent dans une structure à double hélice évoquant celle de l'ADN, ou encore des cases disposées sur une structure d'ondes en train de se propager. Dans ces moments-là, la narration visuelle amène une mise en perspective qui décuple l'impact du récit.
Du coup, le lecteur retrouve également les autres particularités narratives présentes dans le premier tome. Il replonge dans cette intrigue assez déstabilisante. Il est entendu qu'il existe par moment une grange noire, accessible par certains, et ayant une incidence néfaste sur le comportement des individus qui y pénètrent ou même qui perçoivent simplement sa présence. Le scénariste continue donc de faire récupérer des morceaux par Norton Sinclair, et de son côté le père Wilfred en apprend plus sur cette bâtisse difficile à trouver, grâce aux études menées par le docteur Sutton, le père de Clara Miller et de son frère Daniel. Le lecteur éprouve quelques difficultés à se sentir concerné par ce mystère. Il voit bien que le récit ménage le rythme de découverte de nouveaux morceaux de la grange noire, et qu'il est peu probable que Norton Sinclair soit un jour capable de la reconstruire tout seul, ou même avec l'aide d'Angela Xu. Du coup, le lecteur se désintéresse de savoir s'il trouvera de nouvelles échardes, et a du mal à se passionner pour le fait qu'il dispose d'une double porte entière, du fait que le scénariste s'en servira de manière arbitraire. De son côté, l'artiste représente la grange comme un bâtiment banal avec peu de caractéristiques, si ce n'est la lumière rouge visible par la fenêtre et émettant un rai de lumière dans l'encadrement de la porte, fleurant bon la série Z.
Le lecteur concentre plutôt son attention sur la progression en matière d'informations du père Wilfred d'un côté, de Norton Sinclair de l'autre. Là encore la narration donne l'impression que les nouvelles informations arrivent à un rythme très régulier, et fort opportunément. Difficile de croire que Clara Miller ou son père n'aient jamais eu l'occasion auparavant qu'on leur rappelle l'identité du conducteur du bus de ramassage scolaire. Mais, pour cette séance de souvenirs, Andrea Sorrentino réalise des traits de contour plus doux qui la rendent plus crédible, même si Dave Stewart continue d'utiliser des couleurs un peu cafardeuses, juste un peu plus pâles. En termes de péripétie, le scénariste se repose des conventions parfois un peu simplistes. Le lecteur observe avec une trace marquée d'incrédulité l'évasion organisée par Angie Xu, ouvrant de grands yeux quand il la voit enfoncer 5 centimètres d'aiguille de seringue dans le cou d'un garde. Ça fait quand même beaucoup comme longueur. Il ne peut aussi que constater que les 2 fils narratifs (celui à Gideon Falls, et celui dans la grande métropole) progressent au même rythme ce qui permet de manière bien commode aux personnes intéressées de se rencontrer au même endroit et au même moment.
Pour autant, il ne s'agit pas d'une lecture désagréable. Malgré le recours à des artifices narratifs visibles, es 2 créateurs réussissent à insuffler de la personnalité à leurs protagonistes. Le lecteur ressent toujours autant l'obsession de Norton Sinclair pour cette grange et ces morceaux de bois, ainsi que son insécurité, son inquiétude permanente. L'empathie fonctionne également bien pour ressentir la forme de résignation de Clara Miller, toujours aussi affectée par la disparition de son frère et par les actes de violence s'étant produits dans le tome précédent, et celle du père Wilfred qui évoque ici sa faute impardonnable. Il comprend également bien l'état d'esprit du docteur Sutton, totalement impliqué dans ses recherches depuis plusieurs décennies, ce qui l'a totalement coupé des autres êtres humains normaux. Sorrentino utilise régulièrement des gros plans sur les personnages, avec une sensibilité qui lui permet de faire passer leur état d'esprit. Cela n'appauvrit pas la narration visuelle, car il inclut quasi systématiquement des éléments de décor en arrière-plan, rappelant où se déroule la scène, ainsi que le lien entre le dialogue et le lieu. Malgré les choix surprenant (Angie Xu envoyant promener toute sa situation professionnelle pour les beaux yeux de Norton Sinclair à la santé mentale douteuse) et les effets de simultanéité, le lecteur se rend compte qu'il s'implique émotionnellement pour le devenir des protagonistes, grâce à la direction d'acteur, et à la justesse de leur jeu, naturaliste et en retenue. Il compatit avec la situation dans laquelle ils se trouvent. Les principaux personnages ressentent tous l'action d'un destin arbitraire pesant sur leur vie : l'absence de souvenir d'enfance pour Norton Sinclair, la disparition de Daniel pour Clara Miller, la faute pour le père Wilfred, la compassion d'Angie Xu pour Norton Sinclair. Tous se démènent pour comprendre, pour en savoir plus, pour retrouver du sens dans les événements, dans leur vie.
Avec ce deuxième tome, le lecteur reste encore partagé sur cette série. Il ne peut que soupirer à chaque fois que Jeff Lemire utilise un cliché éculé dans son intrigue, qu'un élément ou un autre manque de substance au lieu d'être vraiment mystérieux, ou que la temporalité de la survenance des événements est vraiment très opportune. Il a également souvent l'impression qu'Andrea Sorrentino s'économise, en réservant ses planches les sophistiquées pour les conséquences de l'existence de phénomènes paranormaux. Dans le même temps, il ressent la détresse des personnages, leur volonté chacun à leur manière d'essayer de s'extirper de la mélasse déprimante qu'est leur quotidien, fortement plombé par un événement traumatique qu'ils sont incapables de dépasser, parce qu'ils entretiennent l'espoir de pouvoir le comprendre et d'en annuler ainsi les conséquences.