Immanquablement, cet album rappelle la précédente fiction de Jérémie Moreau, « La Saga de Grimr », fort légitimement récompensée par un Fauve d’Or au Festival d’Angoulême 2018. L’époque et le lieu diffèrent, mais on dénote plusieurs points communs : la nature toute puissante, les grands espaces, et au milieu, un personnage solitaire suivant sa propre voie, hors des sentiers battus. Mais à l’inverse de Grimr, qui faisait corps avec les éléments, Penss, dans un contexte préhistorique où le feu vient à peine d’être découvert, cherche quant à lui à s’en dissocier, son but étant de domestiquer la nature. Avec toujours un fond philosophique et poétique, Jérémie Moreau, en remontant très loin dans le temps, nous livre une fable quasi écologique en reprenant l’éternel postulat sur l’opposition entre la nature et l’Homme. Il n’est pas incongru de penser que les problèmes de l’humanité ont commencé dès l’instant où l’Homme a cherché à modifier son environnement, en quittant le nomadisme pour la sédentarité.


Si le sujet peut paraître rebattu — on pense beaucoup au livre de Roy Lewis, "Pourquoi j’ai mangé mon père", et aussi pour une autre raison qui se devine dans son titre —, l’auteur a choisi de le traiter sous un angle original. Penss est un être contemplatif, et comme son nom l’indique, il pense, pense beaucoup, observe des heures durant la nature autour de lui et y décèle, dans ses « plis » innombrables, le secret de la vie. Contraint par les rigueurs de l’hiver de commettre un acte terrible — ce qui donne lieu à la scène les plus déchirante de l’histoire —, il va partir en guerre contre ce monde qu’il juge cruel, se faisant démiurge et créant un jardin potager, afin de ne plus être « esclave » des aléas climatiques et du gibier hypothétique. De manière prévisible, tout cela finira mal, même si les situations peuvent paraître exagérées, vraisemblablement pour les besoins de cette fable sur l’arrogance, tellement humaine… Une question surgit alors : ne vaut-il alors pas mieux se laisser porter par cette nature plutôt que de vouloir la contrôler ?


Graphiquement, Jérémie Moreau développe un style très personnel oscillant entre la peinture et le manga. Les représentations à l’aquarelle des décors, des paysages, et tout particulièrement la flore, sont plaisantes à l’œil par le choix des couleurs, même si on aurait apprécié que les personnages soient un peu plus travaillés. Quant à la mise en page, elle relève presque de l’expérimental, du fameux « pliage-dépliage » cher à l’auteur, avec des cases obliques pour souligner les scènes d’action, ou l’incrustation de vignettes disséminées à l’intérieur des cases ou regroupées en motifs floraux…


Un des bémols serait à chercher du côté de la vraisemblance des dialogues, les personnages s’exprimant dans le même langage que le nôtre, avec des phrases parfaitement articulées, un élément plus plausible lorsque le parti pris est humoristique. Au final, sans atteindre le niveau de « La Saga de Grimr », « Penss et les plis du monde » reste une lecture agréable, mais qui souffre peut-être aussi de la trop grande proximité calendaire et thématique avec son prédécesseur.

LaurentProudhon
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le 10 janv. 2020

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