C'est le récit d'une vie bouleversante, extraordinaire au sens propre du terme, que Marjane s'est appliquée à traduire en bandes dessinées, avec ce style si particulier fait de grands aplats noirs dans lequel se retrouvent une grande influence de David B. (l'auteur de l'Ascension du Haut-Mal, également autobiographique) mais aussi un graphisme où percent ses somptueuses influences persanes : certaines cases comportant beaucoup de personnages deviennent stylisées et s'approchent des bas-reliefs assyriens autant que des comics underground des années 70. Les scènes de répression d'une populace révoltée témoignent d'un grand savoir-faire artistique, mais on s'extasiera aussi sur ces planches où Marjane connaît ses premières hallucinations. le reste du temps, c'est un dessin direct, sans fioriture, axé sur des expressions exagérées et misant autant sur un sens du détail inouï (Marjane a la faculté d'avoir une mémoire phénoménale) que sur un recul lui conférant un humour délicat et piquant. Lire les commentaires acerbes sur la façon dont les autorités religieuses justifient le port du voile pour les femmes ou la manière dont les médias occidentaux traitaient l'information sur la guerre Iran/Irak est un réel bonheur.
C'est souvent amer et souvent drôle, toujours lucide et parfois poignant ; de nombreuses scènes, sous leur aspect léger ou tendre, donnent à réfléchir : on s'aperçoit très vite que nous ne savions pas grand chose de ce qui se passait là-bas. Un grand moment de lecture, qui trouve son apothéose au cinéma, puisque Persépolis est aussi un long-métrage d'animation, présenté à Cannes.
Une intégrale excellente, formés de tomes tous aussi réussis les uns que les autres, même si j'ai tendance à préférer les deux premiers, peut-être moins sombres mais aussi plus émouvants, sans doute parce que l'héroïne est encore une enfant et qu'elle basculera ensuite dans l'adolescence. A lire absolument.