Dans une enquête nocturne foutraque,
Florent Chavouet invente son format graphique
pour livrer une bande-dessinée frénétique. L’enquête vague d’un petit commissaire de quartier après une nuit agitée nous emporte dans une course poursuite hors des cases, rythmée au mélange de notes vagues et de dessins superbes.
Techniques d’aquarelle, traits épais et précis de feutres et aplats griffonnés aux crayons de couleurs, le dessinateur propose un recueil impressionnant de son art à saisir les différentes ambiances d’une ville, la lumière tamisée et chaude des étals de plein air, les silhouettes dans la nuit, le néon vert malade des commissariats le fatras gribouillé des notes de l’enquêteur dans un cahier usé. C’est riche, foisonnant, ça se lit et se relit avec plaisir pour se perdre dans les détails innombrables. De même toute la dynamique du récit innove. Emporté par un montage neuf, vivant, l’œil se perd, ravi, dans la nuit japonaise.
Mais, si les personnages sont intéressants, attachants, et l’envie amusante, le scénario est bien trop faible, décevant même quand en refermant l’album on comprend que l’auteur ne raconte rien. Ni début ni fin à cette poursuite inexpliquée,
ni enjeu ni message.
La jeune Junko courre dans les ruelles de Shioguni, pas si fragile qu’elle en a l’air, elle tente d’échapper aux trois yakuzas à ses trousses, croise un taxi bavard, un jeune chef charmé, un pauvre employé d’approvisionnement de distributeurs automatiques, et quelques flics incapables. Petites Coupures à Shioguni déconstruit son récit pour ne rien dire d’autre qu’un inventaire des petites gens de la nuit confrontés les uns aux autres dans un imbroglio sans clé.
Beau oui, mais décevant.
Le dessinateur Florent Chavouet, extrêmement doué, manque d’un scénariste pour donner un élan réel et une profondeur à son récit. Pour trancher dans l’imbroglio, donner un destin à ses personnages et faire plus que du dessin dans un livre, faire du sens.
Matthieu Marsan-Bacheré