Petites Eisneries
J'avais entendu parler de Will Eisner comme de l'un des "grand nom" de la bande dessinée mais j'avoue que jusqu'ici je n'avais jamais rien lu de lui et décidé de commencer par Petits Miracles,...
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le 12 janv. 2016
Dans la carrière de l'auteur, ce tome est paru entre Mon dernier jour au Vietnam (2000) et Fagin le juif (2003). Il est initialement paru en 2000, écrit, dessiné et encré par Will Eisner, C'est une bande dessinée d'environ 110 pages, en noir & blanc, comprenant 4 histoires courtes. Une citation de William James (1842-1910) est mise en ouverture sur les petites forces invisibles passant d'humain à humain. Suit une introduction d'une page rédigée par Will Eisner en 2000, où il évoque la notion de miracle, à la fois des coïncidences fortuites, à la fois une manière d'expliquer des choses inexplicables.
The miracle of dignity (16 pages) - Dans sa famille, l'oncle Amos était considéré par certains comme shnorrer (un mendiant doué), et par d'autres comme un individu incarnant littéralement la dignité. Un jour d'hiver, alors qu'il neige, le riche cousin Irving remarque l'oncle Amos en train de fouiller dans les poubelles. Il s'approche pour lui donner quelques pièces (5 dollars), mais Amos lui dit que c'est une bien piètre aumône. Irving finit par accepter de lui prêter 10.000 dollars sous la forme d'un chèque, sans reconnaissance de dette. Reconnaissant de cette bonne fortune, Amos invite Irving au restaurant pour déguster une bouteille de leur meilleur vin. Au cours de la discussion Irving accepte de lui céder une concession pour vendre ses produits sur une belle rue. Quelque temps plus tard, Irving vient trouver Amos dans son magasin pour lui demander de rembourser car il se trouve dans une situation financière délicate.
Will Eisner se montre aussi à l'aise dans les formes longues que dans les nouvelles. Le lecteur familier de l'auteur sait qu'il est autant susceptible de trouver des histoires remarquables dans les 2 registres. Par contre, il ne sait pas trop ce qu'Eisner entend par le terme de miracle. L'introduction l'éclaire un peu, mais il se doute que ce seront les histoires elles-mêmes qui vont définir le terme. L'histoire de l'oncle Amos brosse le portrait d'un individu digne, et plutôt fier. Il refuse la simple aumône et fait face aux difficultés de la vie avec une certaine assurance qui lui permet de conserver ladite dignité. Comme toujours, les dessins insufflent une vie incroyable aux personnages. L'artiste utilise des cases sans bordures, comme à son habitude pour que le regard du lecteur ne soit pas arrêté par les bordures, ne se sente pas prisonnier des bordures. Les traits de contour apparaissent un peu moins lâches et fluides que dans certaines autres œuvres d'Eisner. Il habille ses dessins d'élégants lavis de gris, dans des nuances différentes. Dès les 2 premières pages, le lecteur se retrouve transporté aux côtés de l'oncle et du cousin, et il ne fait plus attention à la technique de l'artiste. Il éprouve la sensation la sensation de se trouver dehors sous la neige douce, dans une sorte de grisaille qui gomme l'arrière-plan. Par la suite, il ressent la chaleur du restaurant, il observe le confort des fauteuils dans le magasin de l'oncle Amos. Il imagine les bonnes dimensions de la pièce où se déroule la fête de famille. Eisner n'a pas besoin de dessiner tout cela avec précision pour donner la sensation d'y être. Mais il sait aussi dessiner dans le détail si la scène le nécessite par exemple pour la façade d'immeuble où se trouve le magasin de l'oncle Amos.
Ces 16 pages sont l'occasion d'observer Amos vivre sous les yeux du lecteur. Will Eisner est un maître en direction d'acteur, que ce soit pour le langage corporel ou pour les expressions du visage. Le lecteur éprouve tout de suite une sympathie doublée de prudence vis-à-vis d'Amos qui donne l'impression d'être en représentation, avec une façon bien à lui d'ajouter de l'emphase à chacun de ses gestes, comme pour mieux communiquer son émotion ou y faire croire. Ce n'est pas vraiment un cabotin, mais plutôt un individu conscient qu'être c'est jouer un rôle social et il se doit d'être à la hauteur. Le lecteur éprouve une forte empathie, et une compassion irrépressible lorsqu'il est dans la dèche, mais aussi par la suite quand son rôle l'oblige à se montrer généreux une fois que la fortune lui a souri. Will Eisner reste égal à lui-même, à la fois humaniste par son don à donner vie à des individus inoubliables, à la fois vachard avec ses personnages qu'il n'hésite pas à faire souffrir, ne serait-ce que du fait de l'absurdité de la vie.
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Street magic (8 pages) - Cousin Mersh (un garçon d'une dizaine d'années) raccompagne son jeune cousin (5 ou 6 ans) chez lui, en passant par une rue ou des adolescents du coin font la loi. En les voyant arriver de loin, ils préparent un chapeau avec 2 papiers, pour en faire tirer un à Mersh. S'il tire celui avec marqué Coupable, il va se prendre une dérouillée. Il y a marqué coupable sur les 2 papiers.
Une courte scène basée sur la rouerie de jeunes costauds, et sur la capacité d'anticipation de Mersh, grâce à une solide expérience. Une fois qu'il a planté le décor de la rue dans les 2 premières pages (les façades et les marches d'escalier où les mauvais garçons attendent leur prochaine victime), tout se joue dans la direction d'acteurs pendant 4 pages. À chaque dessin (toujours sans bordure), le lecteur regarde la posture des 3 lascars et des 2 garçons, l'assurance des uns en train de se préparer à tabasser leur victime, le calme de Mersh réfléchissant à la manière dont il va s'en sortir. L'état d'esprit des uns et des autres se lit dans chaque posture, chaque visage avec une évidence déroutante. Le lecteur n'a pas simplement l'impression d'assister à la scène, il bénéficie du décodage effectué par Will Eisner, les dessins faisant apparaître l'intention de chacun comme si un observateur expliquait en temps réel ce qui se passe dans l'oreille du lecteur.
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A new kid on the block (46 pages) - Un jour, un très jeune homme fait son apparition dans le quartier. Personne ne l'a jamais vu avant, et il ne parle pas la langue, en fait il ne sait pas parler du tout. Tout le monde le regarde bizarrement, mais il finit par trouver un coin de trottoir assez abrité pour y dormir la nuit. Le matin, il se lève et va faire du lèche-vitrine devant une boulangerie. La boulangère lui donne du pain et du lait. Il mange en flânant et passe devant un couple qui se dispute. Après son passage, ils décident de faire la paix. Il va s'installer dans une ruelle déserte, et 2 voleurs y jettent leur butin pur éviter de se faire serrer par la police. Il ramène la caisse à la libraire Melba, et la propriétaire (Melba) décide de lui trouver une chambre où dormir pour le remercier.
Le lecteur passe ensuite à 2 récits plus long. Le premier est très étrange : le jeune garçon agit comme un catalyseur permettant à des situations conflictuelles d'aboutir à une résolution apaisée et dans le calme. En cours de route, Melba se lance dans une courte enquête pour essayer de découvrir sa véritable identité. Le lecteur retrouve toute la verve graphique de Will Eisner avec des personnages de papier incroyablement incarnés, des lieux extérieurs et intérieurs donnant l'impression de pouvoir s'y déplacer, s'y promener, et une direction d'acteurs toujours aussi vivante. Le lecteur se prend tout naturellement d'amitié pour cet adolescent perdu, pour Melba et son élan maternel, pour Missis Rizzo et son autre forme d'élan maternel, et pour les habitants du quartier, tous plus vrais que nature. Le lecteur suit la manière dont la présence et la vie du jeune garçon s'entremêle à celle des habitants du quartier, les effets qu'il a sur eux et la réciproque. Il envisage ce récit sous l'angle du concept de petit miracle, mais les différents ingrédients ne parviennent pas à un plat équilibré : un peu trop de mélodrame, un peu trop de rebondissements, un peu trop de comportements soudains.
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A special wedding ring (38 pages) - Shloyma Emmis est un célibataire d'un certain âge qui mène une vie bien réglée, vivant de la vente de bagues avec diamant, et étudiant la Torah et le Talmud tout le reste du temps. Dans le même quartier vit miss Fegel qui prend soin de son fils adulte infirme Marvin, une jambe mal formée, et miss Grepps qui prend soin de sa fille Reba adulte sourde et un peu attardée. En papotant, elles finissent par se dire que le mieux pour leur enfant respectif serait d'épouser l'enfant de l'autre, afin qu'ils prennent soin l'un de l'autre. Après un peu de travail de conviction qui emporte un accord du bout des lèvres de Reba et Marvin, Missis Fegel va acheter une alliance à Shloyma Emmis.
En entamant ce deuxième long récit, le lecteur se dit qu'il risque de se produire le même ressenti que pour le précédent : démarrage du récit avec Shloyma Emmis, pour partir ensuite sur les deux jeunes adultes handicapés et leur mère. En fait le récit vire au mélodrame, avec quelques touches d'humour un peu vache, comme l'auteur sait si bien en distiller. À nouveau le petit miracle semble artificiel, mais dans le même temps les personnages sont toujours aussi proches et émouvants, la narration graphique fluide et facétieuse. Le lecteur dévore les pages, ému par l'évolution de la relation entre Reba et Marvin, tout entier absorbé par l'histoire de ce couple.
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Comme d'habitude, ce recueil est d'abord une leçon de narration graphique aussi élégante que virtuose, aussi sensible qu'amusante. En fonction de sa sensibilité le lecteur apprécie plus une histoire qu'une autre, trouvant forcément 2 pépites dans le lot, et le reste largement dans le dessus du panier.
Créée
le 16 déc. 2019
Critique lue 97 fois
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