Avec Philémon et le Naufragé du "A" (1972), Fred nous embarque dans un univers où la logique prend des vacances prolongées et où l’imaginaire règne en maître absolu. Ce premier tome de la série Philémon est une véritable invitation à lâcher prise, à plonger tête la première dans un monde où les frontières entre rêve et réalité sont joyeusement floues, et où chaque page semble être tirée d’un songe fiévreux.
L’histoire débute dans une campagne tranquille, où Philémon, un adolescent curieux et débrouillard, découvre un message en bouteille venant d’un naufragé… sur la lettre "A" du mot "Atlantique" inscrit sur les cartes marines. Oui, vous avez bien lu : Fred transforme les lettres géantes des océans en continents à part entière, et c’est là que commence une aventure onirique où tout, absolument tout, est possible.
Philémon est un héros atypique, à la fois candide et déterminé. Il n’est pas le genre à poser trop de questions : il plonge dans l’inconnu avec un mélange d’émerveillement et de nonchalance qui le rend immédiatement attachant. À ses côtés, son oncle truculent, Hector, apporte une touche d’humour terre-à-terre dans ce monde complètement perché, créant un contraste savoureux.
Visuellement, Fred fait preuve d’une inventivité sans bornes. Ses dessins, à la fois simples et débordants de détails, créent un univers unique où chaque élément semble avoir sa propre logique décalée. Les paysages du "A" sont surréalistes : des plages de sable mouvant, des arbres qui défient la gravité, et des personnages secondaires aussi bizarres que fascinants. Chaque case est une invitation à s’arrêter, à explorer, à se perdre dans les méandres de cette imagination foisonnante.
Narrativement, Fred joue avec les conventions comme un chat avec une pelote de laine. L’histoire avance par associations d’idées, par rencontres fortuites et par détours inattendus. C’est un récit qui ne cherche pas à tout expliquer ou à tout résoudre, mais qui laisse le lecteur voguer au gré de ses propres interprétations. Cette liberté narrative est audacieuse et peut dérouter, mais elle est aussi terriblement rafraîchissante.
L’humour de Fred est omniprésent, qu’il s’agisse de dialogues absurdes, de situations incongrues, ou de clins d’œil malicieux au lecteur. Mais sous cette légèreté apparente, Philémon et le Naufragé du "A" est aussi une œuvre profondément poétique, qui interroge le sens de l’existence, la beauté de l’inconnu, et la manière dont notre imagination peut redessiner le monde.
Si on devait chercher un bémol, ce serait peut-être le manque de repères pour les lecteurs habitués à des récits plus conventionnels. Mais c’est aussi ce qui fait la magie de cet album : il n’impose rien, il invite à rêver.
En résumé, Philémon et le Naufragé du "A" est une porte d’entrée magistrale dans un univers où l’absurde et la poésie se tiennent par la main pour nous offrir un voyage unique. Fred prouve ici que la bande dessinée peut être bien plus qu’une simple narration illustrée : un espace où l’imaginaire devient tangible, et où chaque page est une aventure en soi. Une œuvre à lire, à relire, et à savourer comme un rêve éveillé.