Il n’est pas bon de naître femme, misérable et mallah, une corporation de pêcheurs et bateliers, l’une des basses castes de l'Uttar Pradesh, au nord de l’Inde. Phoolan Devi (1963-2001) est unie à onze ans à un être immonde, qui la traite comme une esclave après l’avoir violée. Elle parvient à faire annuler le mariage mais est désormais une paria, réduite à la prostitution ou au suicide.
Phoolan refuse, lutte et survit. Vendue par un cousin à des bandits. Elle séduit Vikram, un jeune mallah, qui l’épouse après avoir pris la tête de la bande de dacoits. Éduqué, il lui fait découvrir un nouvel univers. Ensemble, ils s’attaquent aux violeurs et aux tyranneaux locaux. Le petit peuple a tôt fait de faire de Phoola un avatar de Durgâ, la déesse de la paix. Hélas, Vikram est tué par Shri Râm, un dacoït de la caste des guerriers (thâkûr), et Phoolan à nouveau martyrisée. Elle doit la vie à un brahmane, qui sera brûlé vif. Phoolan les vengera. Le 14 février 1981, elle prend d’assaut le village de Behmai, exige qu’on lui livre son adversaire, puis fait exécuter 22 hommes. Le scandale est phénoménal, sa tête est mise à prix et des poupées à son effigie vendues sur les marchés. Indira Gandhi exige sa capture. La traque dure deux ans. Malade, affaiblie, elle négocie sa reddition avec le gouvernement central : elle et ses camarades seront condamnés, au plus, à 8 ans de prison, son frère bénéficiera d’un travail et son père d’un terrain. Coiffée d’un bandana rouge, la poitrine barrée d’une cartouchière, elle dépose son fusil devant des photos du Mahatma Gandhi et de Durgâ. Elle ne sera libérée que 11 ans plus tard, élue députée, puis assassinée par un Thâkûr.
Tour à tour lumineuses et sombres, les planches transcendent la vitalité de cette femme, son extraordinaire courage qui lui permet, après chaque épreuve, de se relever et de lutter. Lutter encore et encore... Le dessin se révèle supérieur au cinéma dans la représentation du vieillissement. Nous nous attachons à une petite enfant innocente, que nous suivrons jusqu’à ses 37 ans. Émerveillés, nous assistons à la découverte par l’enfant martyr de la confiance, de la tendresse, puis de l’amour.
Analphabète, Phoolan a raconté son histoire à des journalistes. Claire Fauvel reprend et illustre ses propres mots. C’est Phoolan enfant, adolescente, puis jeune femme qui nous interpelle violemment. Que savez-vous de la misère ? Qui êtes-vous pour me juger ? Pouvez-vous seulement me comprendre ? Difficile, en effet, tant son monde semble éloigné du nôtre, n’est-il pas plus proche des temps barbares d’un Conan ? Malgré sa violence et son classicisme, cet album est un indispensable rappel à l’ordre. Le mal veille en chacun de nous. Les véritables barbares ne sont guère éloignés de nous.