Pipiktu	 - Djinn, tome 7
6.9
Pipiktu - Djinn, tome 7

BD franco-belge de Jean Dufaux et Ana Mirallès (2007)

Arrive un moment où à force de les caresser, les légendes finissent par vous mordre.

Ce tome fait suite à Djinn - Tome 6 - La Perle noire (2006) qu’il faut avoir lu avant. Il s’agit d’une série qui compte treize tomes et trois hors-série. C’est également le premier tome du cycle Africa, composé de cinq albums. Sa parution originale date de 2007. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario et par Ana Mirallès pour les dessins et les couleurs. Il compte quarante-six pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une introduction d’une page rédigée par Dufaux, évoquant les personnages qui se heurtent à la réalité, le destin des personnages (dévoilant même une partie des événements survenant dans ce tome).


Dans la jungle en Afrique, de nuit, Charles Augery a dégainé son pistolet et il s’apprête à faire feu. Il lui reste encore trois cartouches, la dernière sera pour lui. Il perçoit des points lumineux qui avancent vers lui. Bientôt, il distingue les guerriers Orushi qui viennent droit sur lui : ils se sont décidés, enfin ! Il fait feu une première fois, et un guerrier tombe mort. Il fait feu une seconde fois : un autre homme s’abat sur le sol. Et il tire une troisième fois, sa dernière balle. Le chef s’avance et ramasse le carnet dans lequel l’aventurier a couché ses dernières observations : il l’enflamme à la torche d’un des guerriers. Il ordonne de relever le prisonnier. En son for intérieur, Augery se dit : Quel orgueil de croire que l’on peut maîtriser son destin, le traduire en mots pour l’éternité. Les Orushi le remettent sur pieds, après lui avoir passé une corde au cou, et ils le forcent à marcher à travers la jungle jusqu’au fleuve. Le flux de pensées continue de se dérouler : Les mots sont jetés au feu. Et tout destin ressemble à cette dernière cartouche qui venait de frôler son cuir chevelu. Frôler ! Alors qu’il voulait s’exploser la tête. Il fallait donc vivre. Mais pour combien de temps encore ? Et comment ? Comme une bête que l’on mène à l’abattoir ? Dans la nuit, au travers d’une jungle étouffante. Mortelle pour tout homme blanc qui osait la défier ?


À l’aube, ils atteignent enfin un fleuve sur lequel donne leur village. Il était temps. Augery n’aurait pas pu faire un pas de plus. Ses pieds sont en sang, une fièvre mauvaise le reprend. Les guerriers continuent de le pousser vers l’avant, sinon il serait tombé dans les eaux boueuses du fleuve pour ne plus se relever. Pendant la traversée, il perd connaissance. Après coup, il se souvient seulement de la chaleur du soleil sur son visage, un soleil déjà impitoyable qui incendiait tout sur son passage. Lorsqu’il revient à lui, il est attaché à un poteau, au centre d’une hutte… Face à la déesse Anaktu ! Cette dernière lui demande s’il sait qui elle est. Il répond qu’elle est la déesse des fièvres et des anéantis, celle qui commande aux Orushi. Elle continue : ils l’ont choisie comme une évidence, elle sera cette évidence. Qu’est-elle pour lui ? Pour lui, ça dépend si elle est celle qu’il recherche. Il lui demande si elle connaît une femme blonde du nom de Lady Nelson. Anaktu répond que ce nom lui dit quelque chose, ce devait être dans une autre vie, car une déesse a plusieurs vies. Augery évoque le mari de Lady Nelson. Anaktu frappe dans ses mains en lui indiquant qu’il y a un bien un mari, et qu’il va pouvoir s’en assurer.


Le lecteur s’y était préparé : le tome 5 était consacré au trouple des Nelson et de Jade, le 6 à Kim Nelson, il était logique que le présent tome soit à nouveau consacré au trouple. D’ailleurs la scène d’introduction focalisée sur Augery dans la nuit, constitue la suite de la scène d’introduction du tome 5 avec l’aventurier au même endroit. Le scénariste continue à jouer avec l’ordre chronologique. Pour entretenir le suspense, le temps présent de ce fil narratif se situe alors que les personnages se trouvent dans une situation périlleuse, risquant d’être mis à mort d’un instant à l’autre, au gré de la fantaisie d’un guerrier ou d’une déesse. Dufaux se montre imaginatif avec les tourments potentiels : le lecteur n’est pas près d’oublier la mort atroce d’un des porteurs de l’expédition de Lady Nelson. Alors qu’ils progressent dans la jungle, elle le voit tomber devant elle, dans un trou à piriquis. La voix intérieure d’Augery commente : il hurla, se débattit. En vain. En quelques secondes, les piriquis s’étaient faufilé le long de ses jambes pour pénétrer dans son anus. De là, ils remontent le long de vos boyaux, écartent leurs mandibules qui agissent comme des hélices, ouvrant des tunnels de chair dans votre organisme. C’est une mort horrible, abjecte…. Il n’y a qu’une façon de s’en délivrer. Or au temps présent, Augery se retrouve au fond d’un grand trou servant de cellule, avec le risque très probable de l’arrivée des piriquis. L’artiste fait en sorte que cette menace reste invisible, pouvant donc frapper à l’insu du lecteur, et des personnages.


Les personnages principaux, Miranda Nelson et son époux Harold, Jade / Anaktu, avec l’aventurier Charles Augery, se retrouvent à la merci des membres de la tribu des Orushi, et en plein cœur de l’Afrique noire. Dans le tome précédent, le scénariste évoquait le caractère inévitable des clichés sur cette partie du globe à cette, sur la vision colonialiste dans laquelle baigne la littérature d’aventure de l’époque. Dans la présente introduction, il y fait à nouveau référence. Il écrit : Arrive un moment où à force de les caresser, les légendes finissent par vous mordre. L’on pourrait croire le moment privilégié s’il n’était aussi surprenant déstabilisant. Ce moment est arrivé pour deux de nos personnages. Alors que nous nous trouvons au centre, au cœur de notre récit. Là exactement où les dieux attendent. Où ils vous jugent. Où ils vous punissent de vos rêves insensés. De fait, les personnages s’enfoncent dans l’horreur. Le pauvre Charles Augery en est réduit à la dernière extrémité, et il rate son suicide. Il se retrouve dans une fosse où sont jetés les déchets du village, un crâne lui tombant sur la tête. Le noir s’impose en fond de case : pas de lumière pour distinguer ce qui pourrait se trouver dans l’eau sale et stagnante. Et une grille posée sur l’ouverture pour empêcher toute évasion, même s’il parvenait à remonter le long des parois glissantes et meubles. Quelques pages avant, Augery se levait et sortait de la case d’un village pour découvrir une vision terrifiante à couper le souffle : dans une illustration en pleine page, le lecteur découvre lui aussi une magnifique colline verdoyante, sur laquelle se tiennent des dizaines de guerriers armés de lances et de boucliers, avec des peintures de guerre blanches sur leur corps.


À plusieurs reprises, le lecteur ressent ce sentiment d’effroi grâce à la fusion parfaite entre les idées du scénariste et leur mise en images par l’artiste. En pages 28 & 29, une femme est attachée nue à un poteau, la nuit, lors d’une cérémonie : l’ombre chinoise des arbres est à la fois magnifique et exotique, rouge sur fond noir, l’onomatopée des tambours se répète en lettres blanches d’un bord à l’autre de chaque case, une idole en bois au regard impénétrable apporte une touche mystique, les membres de la tribu sont silencieux. Le lecteur est à la fois envouté, terrifié et révulsé. Quelques pages plus loin, un blanc en pagne est assis en tailleur avec une machette devant lui, et les membres de la tribu en cercle autour de lui, toujours aussi mutiques : le lecteur retient son souffle pour découvrir quel sera le geste de l’homme, tout étant éprouvé par son regard fiévreux. Du grand art. Ana Mirallès dose à merveille la densité d’informations visuelles, jouant sur l’épaisseur et la sécheresse des traits pour accentuer le visage marqué, sur une couleur gris bleu cafardeuse pour les fonds de cases pour montrer l’état d’esprit du blanc oublieux et déconnecté de ce qui l’entoure, traumatisant.


Comme dans les tomes précédents, la nudité, surtout féminine, reste au cœur du récit, mise en scène quand elle nourrit le récit. Ainsi, le corps d’Anaktu (Jade) a été orné de motifs géométriques blancs, de manière rituelle : dans un premier temps, elle se tient assise, le dos très droit, il ne se dégage aucune sensation d’érotisme de sa silhouette, elle est devenue semblable à une statue au port hiératique, plus une idole qu’une femme de chair et d’os, rendant ses paroles encore plus terribles pour l’homme neutralisé par des entraves, devant elle. Quelques scènes plus loin, la déesse s’unit aux hommes de la tribu, de nuit, l’un après l’autre. À nouveau, nulle saveur érotique : chaque homme se présente, après avoir laissé sa lance à l’extérieur de la case ; elle indique à chacun qu’elle va juger de la force de son désir. L’artiste utilise une couleur rouge orangé évoquant à la fois la lumière des torches et l’intensité du désir de la déesse. Le commentaire indique que : Elle est la déesse qui prend et qui épuise… jusqu’au dernier. À la fin du tome, Anaktu accueille Kémono dans sa tente, un magnifique guerrier : à nouveau les dessins attestent qu’elle commande, et que son autorité est incontestable. Alors qu’elle vient de gifler Charles Augery, Miranda Nelson rentre dans sa chambre à elle, et elle souffre d’une montée de désir en pensant à Jade, qu’elle ne peut pas assouvir, dans une page d’une incroyable beauté, d’une sensualité magnifique et terrible.


Page après page, le lecteur déguste le charme visuel de la narration, notant de ci de là que l’artiste a encore gagné en assurance, réalisant des cases avec des techniques différentes, s’éloignant parfois des contours méticuleux et minutieux, pour se reposer sur le pouvoir d’évocation de la couleur directe. Le scénariste continue lui aussi de gagner en assurance, mettant à profit les scènes des tomes précédents pour emmener ses personnages encore plus loin : les dieux attendent les personnages, ces derniers se heurtent à la puissance des croyances, à la ferveur des hommes animés par leurs croyances. Ayant mis en scène les clichés colonialistes précédemment, il peut maintenant montrer comment la ferveur d’un peuple peut donner vie à ses croyances. Il évoque le colonialisme dans sa réalité concrète, cette domination ignoble, sans être contraint par des spécifications historiques, sans aucune forme de supériorité culturelle ou même de condescendance inconsciente. Le récit s’est confronté aux stéréotypes du genre aventure africaine du début du vingtième siècle, les reconnaissant et les prenant en compte, et parvient à rester dans ce genre, sans appropriation culturelle, ni relent nauséabond ou même douteux. Le thème de la puissance féminine reste également au cœur de l’intrigue, au travers du personnage de Jade, habitée par la manière dont les hommes la voient (en l’occurrence la tribu des Orushi) et maîtresse de l’usage de son corps.


Avec la décolonisation, le lecteur pouvait croire que le roman d’exploration dans le continent africain avait fini d’agoniser. Les auteurs montrent qu’ils savent raconter une aventure de ce type, en pleine conscience des stéréotypes qui y sont associés, en les débarrassant de leur racisme. Le lecteur déguste à nouveau chaque page, totalement sous le charme de l’élégance de la narration visuelle. Il retrouve le thème cher au s

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le 14 déc. 2024

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