Suffit pas d'avoir des ailes pour être un ange

Après l’étonnant et réussi Bakuman, Tsugumi Ohba et Takeshi Obata délaissent la tranche de vie, le questionnement réflexif et la romance pour revenir à leurs premières amours : l’affrontement stratégique couplé au dilemme moral sur fond d’univers légèrement fantastique. La recette est là : on adopte un partir pris initial qui semble inverser celui de Death Note, et on lance la cuisson.


Notre aventure débute ainsi avec Mirai, collégien qui au moment d’entrer au lycée décide de ses suicider du fait du traitement qui lui est infligé chez lui. Alors qu’il se jette dans le vide, un ange du nom de Nasse le secourt et lui offre deux pouvoirs susceptibles de le rendre heureux : la liberté, grâce à des ailes d’anges, et l’amour, par la biais d’une flèche soumettant à sa volonté tous ceux qu’elle frappera.


Sauf que tout ceci s’inscrit dans un cadre plus global, celui d’une guerre de succession dans les cieux. Treize anges se retrouvent en compétition pour désigner le successeur de Dieu, chacun devant choisir comme champion un humain désespéré et le rendre heureux. Mais le bonheur égoïste des uns s’exprime rapidement par la manipulation et l’asservissement d’autrui et l’on découvre que nos anges ne reculent devant rien pour favoriser et bichonner leurs hérauts.


Et c’est là que cela se complique. Dans l’intrigue, et c’est tant mieux : on retrouve un schéma de confrontation tourné de manière originale et fonctionnant pour le moment plutôt bien. Mais dans le propos et le ton aussi, et c’est plus gênant car se dégage, au fil de la lecture, un réel sentiment de malaise devant certaines scènes ou situations.


Le pouvoir de la flèche d’amour sert ainsi à untel à multiplier les conquêtes et se créer un véritable harem, vis-à-vis duquel le lecteur sera en position de voyeur. Et, plus couramment, son usage de base semble viser la manipulation des proches : on est bien loin de Cupidon ! La scène de "vengeance" qui clôt le chapitre inaugural fait ainsi froid dans le dos par le traitement qu’elle réserve à la tante du héros.


Si on retrouve bien une certaine caractérisation amorale qui avait fait le succès d’un personnage comme Light, dans Death Note, sur des ressorts assez similaires, pour le moment le dosage nous semble bien maladroit. Du coup, le discours tenu, sur la corde raide, tend plutôt à se casser la figure, à glisser vers le sordide et le malsain.


Si Mirai apparait pourtant comme garant de la morale, face à ses rivaux et même face à Nasse, il ne remplit pas pour l’heure le rôle de réel contrepoids qu’incarnait L dans Death Note. Par ailleurs, les situations nous semblent plus outrées dans Platinum End, cherchant le sensationnel un peu inutilement, là où Death Note œuvrait plutôt en finesse et en subtilité. Enfin, le rapport entre la question morale et dimension stratégique s’avère pour l’heure renversé : Là où Death Note se servait de la première pour nourrir la seconde Platinum End se sert de la seconde comme prétexte pour mettre l’accent sur la première.


S’il faut certainement attendre que la série soit véritablement lancée pour se faire une idée plus juste, le résultat nous a déconcerté alors que l’on s’attendait à être séduit. L’ambiance, pour l’heure très sombre, plutôt glauque, tente de rejouer la partition de Death Note mais sans en retrouver les accords. Pas sûr que le titre plaise durablement et que le public adolescent qui avait porté aux nues le précédent succès de Tsugumi Ohba et Takeshi Obata adhère de la même manière à Platinum End.


Reste une édition soignée par Kazé, notamment autour des couvertures, un effort pour porter la série à travers la publication de la prépublication en simultané avec le Japon, un mini-site dédié, une soirée de lancement comme avaient pu le faire ses concurrents pour les autres hits du moment, et une traduction de qualité. Et puis, bien évidemment, le manga est porté par le trait élégant de Takeshi Obata, un modèle du genre. Mais cela peut-il suffire ?


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seleniel
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le 3 juin 2016

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